par Philippe d’Arvisenet, chef économiste de BNP Paribas
Quel que soit le souhait de la Fed de voir le crédit aux ménages redémarrer, un rebond ne semble pas devoir être imminent. A l’inverse de ce qui a pu être observé au début des années 2000, il est impossible de compter sur une hausse de l’endettement pour pallier les effets négatifs de la modération du revenu et du recul de l’emploi. Le chômage pèse sur la formation des salaires nominaux, le rebond de l’indice des prix à la consommation, consécutif à l’effacement des effets de base liés à la baisse des prix de l’énergie de l’automne 2008, s’y ajoute pour amputer les salaires réels.
La poursuite du recul de l’emploi exerce aussi, bien évidemment, un effet négatif sur le revenu disponible et annonce la poursuite de la hausse des taux de défaut (une variable retardée du cycle). Sans surprise, la confiance s’établit à un niveau bien inférieur à sa moyenne historique en dépit d’un récent redressement (l’indice établi par l’Université du Michigan ressort à 70,2 en septembre contre 65,7 en août, sa moyenne de longue période est de 86,7). Rien de cela ne joue en faveur d’un retour de l’appétit pour l’endettement. Par ailleurs, le taux d’endettement reste élevé malgré sa correction récente (125,6% au T2 2009 contre 130,6% début 2008 et 124% en 2006), et l’impossibilité de mobiliser les actifs comme collatéral après la chute de leur prix -la valeur des actifs tangibles affiche une baisse de 10,8% par rapport à la fin 2007 et celle de actifs financiers, de 16,5% après 20% au T1- augure tout aussi mal une reprise du crédit.
La richesse nette représente 4,87 fois le revenu (contre 6,14 fois fin 2007), la part de l’equity dans la richesse immobilière, passée de 58,7% en 2005 à 41,9% début 2009, ne s’était que marginalement redressée au deuxième trimestre à 43,1%. La situation financière des fonds de pension, dont les actifs affichent une chute de 25,5% par rapport à la fin 2007, constitue également une source de préoccupations. Le souci d’épargner est patent comme en témoigne, après une longue période de ventes nettes, le retour des achats nets d’actions en territoire positif (USD 125,3 mds au T1, soit 1,2 point de revenu disponible et USD 72 mds au T2, 0,7 point de RDB) ou encore de parts d’OPCVM (USD 170,7 mds au T2, soit 1,6 point de revenu après trois trimestres consécutifs de chute).
La situation financière des sociétés a commencé à se redresser avant même la fin de la récession
Au deuxième trimestre, les profits bruts avant impôt des sociétés non financières ont de nouveau progressé (+7,5% au T2 après 13,4% au T1), ce qui est remarquable dans un contexte de contraction de l’activité. Cela n’efface cependant pas encore la forte chute de la fin 2008 (-32,4% au T4 2008).
Les dépenses d’investissement s’étant repliées de 20,2% au premier trimestre et de nouveau de 11,4% au deuxième, les sociétés ont dégagé une capacité de financement nette de 1,1 point de PIB après 0,3 point au premier trimestre. Il faut remonter à 2005 (année où le Homeland Investment Act avait favorisé des rapatriements de fonds) pour retrouver une configuration similaire. La tendance lourde au rachat d’actions s’est interrompue au deuxième trimestre pour laisser place à des émissions nettes positives (USD 22 mds à comparer à des rachats nets de USD 334,9 mds en 2008 et USD 790,1 mds en 2007). Il faut remonter au premier semestre 2002 pour retrouver une telle situation. Un recours massif au marché obligataire depuis le début de l’année n’a pas empêché l’endettement total de plafonner (+0,2% au T2), compte tenu d’un moindre appel au crédit bancaire et au marché du commercial paper. Les sociétés ont réduit leurs investissements directs à l’étranger (USD 42,6 mds au premier semestre contre 264,4 en 2008) et ont donné la priorité à la reconstitution de liquidités. Celles-ci représentent 40,9% de la dette à court terme contre 35,1% au troisième trimestre 2008.
Parallèlement, la dette a été consolidée : la part de l’endettement court ressort à 28,5% de la dette totale (contre 31,2% au T3 2008), ratio proche des points bas historiques.
Au deuxième trimestre, malgré un PIB toujours en contraction, on a assisté à un très fort rebond des gains de productivité qui a entraîné une chute des coûts unitaires du travail (voir mon éditorial dans Ecoweek du 18 septembre 2009), ce qui a permis le redressement des profits. Le retour à une croissance positive, à compter du troisième trimestre, devrait consolider cette tendance, le redressement de la situation financière des entreprises, entamé avant même la fin de la récession, est incontestable.
Curiosités : rééquilibrage temporaire des paiements courants et détérioration de la position nette
Dans les dernières années, le déficit courant américain s’est nettement replié, revenu de USD 798,4 mds en 2006 (6 points de PIB) à 707,2 en 2008, il a chuté à USD 409,5 mds en données annualisées au premier trimestre 2009 puis à USD 378 mds au deuxième trimestre (2,7 points de PIB). Cette évolution est essentiellement imputable à un recul des importations (-30,6% en glissement annuel et -3%T/T), lié à la baisse du prix du pétrole mais surtout à celle de la demande interne, plus marqué que celui des exportations (-21,5% en g.a., -1,1% t/t). Le taux de couverture s’est nettement redressé, passant de 65,6% en 2006 à 81,5% au deuxième trimestre 2009, l’effet de base reste défavorable, autrement dit, les exportations doivent toujours connaître une évolution nettement plus dynamique que celle des importations pour que le déficit poursuive sa correction.
Cette dernière devrait s’interrompre avec la reprise et avec, notamment, la correction des stocks qui est arrivée à son terme.
Les revenus reçus de l’étranger ont affiché un recul plus marqué que les revenus versés (respectivement -36,1% et -33,1% en g.a., -5,2% et -2,9% t/t au T2), les premiers demeurent supérieurs aux seconds, en dépit d’une contraction des avoirs extérieurs des Etats-Unis, plus marqué que celle de leurs engagements. On retrouve l’effet connu de l’écart de structure entre avoirs à l’étranger et avoirs détenus par les non-résidents, ces derniers se caractérisant, phénomène bien connu par une place nettement plus forte des produits de taux à faible rendement (treasuries…).
Du côté de la balance des mouvements de capitaux, les effets de la crise sont patents. Les sorties nettes de capitaux se sont considérablement modérées et sont passées en territoire négatif (USD 1095,8 mds en 2007, USD 143 mds en 2008, USD-188,5 mds en données annualisées au T4 2008, USD -601 mds au T1 2009 et -363,9 au T2 2009), conséquence de la baisse des dépôts privés ininterrompue depuis le début 2008, et de celle des encours de devises étrangères détenues par le secteur privé (suite à une forte hausse au 1er semestre 2008). Le recul des placements en obligations et commercial paper du deuxième semestre 2008 s’est en revanche interrompu. Sans surprise, avec le repli des sorties de capitaux et la correction du déficit courant, les entrées de capitaux se sont, elles aussi, affaissées et ont fait place dans les deux derniers trimestres à des ventes nettes. Les postes les plus touchés sont les dépôts bancaires, suite à une forte poussée fin 2008, et les titres d’agences. Les achats de treasuries sont pour leur part restés très soutenus avec une place prédominante des banques centrales.
Enfin, les investissements directs aux Etats-Unis se sont contractés (USD 100 mds en données annualisées au 1er semestre contre USD 320 mds en 2008), tout comme les flux sortants (USD 170,2 mds contre USD 332 mds en 2008).
La position extérieure nette des Etats-Unis, écart entre leurs dettes et leurs avoirs, y compris les actions détenues à l’étranger en valeur de marché, a continué à se dégrader très significativement dans les derniers trimestres, alors même, nous l’avons vu, que le déficit courant se contractait considérablement. Comme le montre le tableau infra, la dégradation a été en partie imputable à la chute de valeur des avoirs, affectée essentiellement par les rapatriements de capitaux (dépôts) et par la baisse de l’encours de commercial paper et d’obligations (fin 2008) et d’actions (-51,3% de fin 2007 jusqu’au T1 2009 et +27,9% au T2 2009). Cela a touché plus fortement les avoirs américains à l’étranger qui comprennent 37,3% d’actions (fin 2007) contre 17,5% pour les avoirs étrangers aux Etats-Unis.