par Jean-Marie Mercadal, Directeur Général Délégué en charge des gestions chez OFI AM
Cette très longue et pénible année 2020 s’achève comme elle avait commencé : les marchés sont optimistes ! Entre temps, nous aurons vécu la pire récession de l’après-guerre, l’un des krachs boursiers le plus rapide et violent de l’histoire, suivi par un puissant rebond. Cette année restera donc dans la mémoire des investisseurs, mais pas seulement : les populations et les modes de vie ont été sérieusement bousculés, ce qui aura des conséquences à moyen et long terme.
2020 avait bien commencé : les principaux indices actions avaient gagné pratiquement 10 % en janvier. Elle se termine bien aussi : ils viennent de progresser de plus de 20 % depuis les plus bas niveaux de fin octobre. Ce qui fait que le krach de février/mars a été effacé et les performances de cette année 2020 sont finalement assez anodines. L’indice des actions internationales gagne près de 3 % (en EUR), les actions américaines près de 15 % (en USD), alors que les actions européennes sont en recul limité : – 3 % pour l’indice Stoxx 600, – 7 % pour l’indice CAC 40. Parallèlement, les indices obligataires progressent également : + 4,10 % pour l’indice « agregate » des obligations internationales et + 4,65 % pour celui des obligations de la zone Euro.
Ce regain d’optimisme récent est principalement lié à la découverte de vaccins. Cette épidémie, qui pèse si lourdement sur les économies, serait ainsi jugulée et la reprise s’amorcera. Viendra ensuite l’heure de la réflexion et du bilan que nous pourrons tirer de cette crise sanitaire qui a mis en évidence quelques lacunes dans l’organisation de nos sociétés et qui laissera des traces financières bien sûr, mais aussi sociétales. Elle s’inscrit en effet dans une période de mutation des modes de pensée : montée dans les esprits des thèmes liés au risque de réchauffement climatique et, sur le plan sociétal, développement des idées sur les thèmes de la consommation vertueuse… Par ailleurs, l’envolée des marchés financiers contribue à accentuer le sentiment de déconnexion de plus en plus grande entre la sphère financière et l’économie réelle, ce qui alimente les débats autour des politiques menées actuellement par les Banques Centrales, suspectées d’alimenter des bulles. Dans la lignée de ces observations, se posera tôt ou tard la question d’une inégalité mal acceptée entre ceux qui possèdent des actifs et les autres, ce qui influera sur les programmes politiques pour les futures échéances électorales.
Bref, les esprits ont été sérieusement remués par les événements de ces derniers mois. Il convient d’essayer d’en déceler les principales conséquences à court, moyen et long terme.
À court terme, la découverte de vaccins va accélérer la reprise économique. Les campagnes d’injection ont déjà commencé dans quelques grands pays et les déconfinements successifs jalonneront les prochains mois. Vu les retards pris en matière d’investissement des entreprises et de consommation, la croissance 2021 pourrait être un bon cru, meilleur que ce qui est pour l’instant anticipé par les grands organismes de conjoncture.
Sur le plan mondial, l’indice PMI(1) monde manufacturier a atteint son plus haut niveau depuis 2018, à 53,7, donc nettement au-dessus du seuil de 50 qui marque la limite entre expansion et récession. En revanche, cette accélération est principalement due au rebond observé aux États-Unis et en Chine alors que l’indicateur continue à reculer pour l’instant en zone Euro. La situation est plus critique dans les services, mais les perspectives de déconfinements d’ici quelques semaines devraient engendrer une nette amélioration, d’autant que les taux d’épargne ont globalement augmenté du fait des mesures de soutien à l’emploi. Par exemple, aux États-Unis, il atteignait 13,6 % en octobre contre une moyenne de 7,6 % en 2019. À terme, cela devrait constituer un puissant soutien à la consommation des ménages. Du côté des entreprises, le retard dans les programmes d’investissement constitue également une réserve de croissance, même si les défaillances d’entreprises pourraient se multiplier une fois que les mesures de soutien s’estomperont. La mobilité va également reprendre et, là aussi, il y aura des retards à combler qui peuvent engendrer une accélération ponctuelle avant une forme de normalisation nouvelle, du fait du développement des pratiques de visio-conférence et de télétravail. Finalement, les perspectives de rebond de l’activité en 2021 apparaissent solides et une croissance mondiale de l’ordre de 6,0 % semble crédible, alors que le dernier consensus recueilli par Bloomberg s’établit à 5,2 %, mais ne prend probablement pas encore en compte la découverte des vaccins. La croissance américaine pourrait ainsi se situer autour de 4,5 % et celle de la zone Euro de l’ordre de 6,0 %. En Chine, l’accélération se poursuit car le pays n’a pas connu de deuxième vague de l’épidémie et l’économie pourrait rebondir de 9,0 % en 2021, après 2,0 % en 2020. Cette amélioration économique se traduira dans les comptes des entreprises et les résultats attendus devraient être nettement révisés à la hausse.
À moyen terme, tous les pays ressortent de cette crise avec un stock de dettes encore plus important. Les réponses budgétaires ont été massives et les niveaux d’endettement public par rapport au PIB deviennent impressionnants et préoccupants : en effet, les efforts passés et à venir (plans de relance mis en place en 2021) sont de l’ordre de 15 % de PIB pour la zone Euro, de 20 % à 25 % pour les États-Unis, si bien que le ratio dettes/PIB dépasse désormais 100 % aux États- Unis, 120 % en France, 150 % en Italie (l’Allemagne passerait de 60 % à 75 %)… L’endettement des entreprises a également progressé. Dans ces conditions, les Banques Centrales n’ont pas d’autre choix que de maintenir des conditions très accommodantes, par des politiques de taux d’intérêt très bas et des stratégies de soutien aux marchés obligataires via des programmes d’achats de titres. Cela permettra aux entreprises, et surtout aux États, de se financer à bon compte, avec des charges d’intérêt supportables. Ceci apparaît d’autant plus nécessaire qu’il sera difficile d’adopter rapidement une gestion rigoureuse des budgets nationaux compte tenu de la situation sociale assez tendue dans les principaux pays occidentaux et à l’heure où des investissements massifs devront être réalisés en vue d’adapter nos économies à la transition énergétique. Les plans de relance seront de ce point de vue particulièrement intéressants à suivre, en espérant qu’ils soient de nature à stimuler structurellement une croissance potentielle qui faiblit. En attendant, les porteurs d’obligations verront leur « pouvoir d’achat » s’éroder inexorablement car les taux d’intérêt réels risquent de rester en territoire négatif pendant quelques années.
Par ailleurs, cette crise a montré une première vraie décon- nexion entre les marchés chinois et occidentaux : les actions chinoises ont progressé de plus de 20 % et leur monnaie, le Yuan, a gagné 6 % vis-à-vis du dollar.
Ce mouvement pourrait s’accentuer au cours des prochaines années. Le pays est engagé dans une mutation de son économie. Le 26 novembre dernier, le 14e plan quinquennal a été dévoilé, et s’inscrit dans le plan de marche stratégique « Chine 2035 ». L’objectif est de doubler le PIB de la Chine en 2035, ce qui implique de fait un taux de croissance moyen de l’ordre de 4,5 % entre 2021 et 2035 (contre 7,0 % entre 2011 et 2015 et 6,5 % entre 2016 et 2020). Plus l’économie se développe et devient mature, plus cette baisse de rythme est logique. Et il faut accepter une baisse du taux de croissance, car cela évite trop de stimulation par le crédit pour maintenir des objectifs trop élevés comme cela a pu être observé par le passé. L’accent est mis désormais sur le développement interne, ce qui ne veut pas dire que le pays va complètement abandonner les marchés internationaux, son industrie étant établie et compétitive. En termes de secteurs, le plan chinois vise une autonomie et un savoir-faire de pointe dans la technologie des semi-conducteurs, l’intelligence artificielle et les biotechs, notamment en stimulant les investissements en recherche et développement et dans l’éducation. Parallèlement, le pays ouvre son marché de capitaux. Les actions et obligations chinoises entrent progressivement dans les indices internationaux. Ce sont des marchés profonds, liquides et très diversifiants, qui donnent davantage de robustesse aux portefeuilles. L’internationalisation de la monnaie chinoise devrait ainsi s’accentuer.
À long terme, plusieurs questions se posent. Comment sortir de cet endettement massif ? Plusieurs débats commencent à émerger sur l’annulation possible des dettes publiques, particulièrement en ce qui concerne la partie détenue par les Banques Centrales. En zone Euro, les fondements du Pacte de stabilité de la monnaie unique devront être revus. Les principaux critères de Maastricht (limitation de la dette à 60 % du PIB et du déficit budgétaire à 3 %) ont volé en éclats et la redéfinition de règles communes devient nécessaire à la sauvegarde de l’euro. Plusieurs idées commencent à apparaître sur ce sujet à propos de nouveaux critères possibles : indicateur de soutenabilité de la dette, annulation des dettes « Covid-19 », objectifs d’investissement et de croissance… Un immense chantier donc. Cette question de l’harmonisation des politiques budgétaires dans la zone Euro pourrait animer l’actualité et créer un peu de volatilité sur les marchés à l’automne prochain, à l’occasion des élections en Allemagne qui désigneront une nouvelle coalition et un(une) nouveau chancelier. La question de l’inflation se posera également à long terme. Cette création monétaire massive induite par les achats des Banques Centrales pourrait provoquer une baisse de la valeur des monnaies par rapport aux actifs réels, ou en tout cas, de la confiance envers elles. C’est la raison pour laquelle le mouvement en faveur des cryptomonnaies n’est pas anodin. L’envolée récente de la plus connue d’entre elles, le « Bitcoin », montre que les investisseurs commencent à intégrer ces sujets. Certains stratèges conseillent d’ailleurs déjà d’y exposer une (petite) partie des portefeuilles, maintenant que certains produits financiers permettent d’investir sur leur performance indexée.
Nous n’avons pas d’avis particulier sur les cryptomonnaies, mais nous observons ce mouvement avec intérêt. Nous pensons que l’or et les métaux précieux sont plus sûrs et permettent de couvrir ce type de risque à long terme.
Taux d’intérêt : le potentiel de hausse des taux reste limité malgré la reprise
L’épisode « Covid-19 » a été un choc déflationniste et il est trop tôt pour élaborer des scénarios de remontée significative de l’in- flation, même s’il y a quelques arguments en faveur d’un tel cas de figure à moyen terme. En réalité, à court terme, les Banques Centrales vont maintenir leurs politiques accommodantes pour ne pas entraver le rebond cyclique, mais surtout, pour permettre aux États de se refinancer sans trop peser sur les budgets nationaux. Les taux monétaires seront inchangés au cours des prochains mois, voire années, à – 0,5 % en zone Euro et à 0,0 % aux États-Unis. Les programmes d’achats seront également main- tenus bien que réduits logiquement compte tenu de l’amélioration économique. La Fed pourrait procéder à des opérations de « twist », c’est-à-dire rallonger les maturités des achats de titres, ce qui limitera les velléités de tension sur la partie longue de la courbe des taux.
Dans ces conditions, nous envisageons une remontée très limitée des taux d’intérêt à long terme, jusqu’à la zone de 1,25 % pour le T-Notes 10 ans américain et – 0,30 % pour le Bund 10 ans. Les investissements en obligations restent donc dans l’ensemble peu attractifs, près de 70 % du gisement obligataire de la zone Euro étant en rendement négatif. Les obligations « High Yield » restent toujours intéressantes pour leur rendement relatif uniquement. Mais à moins de 3 % désormais sur le gisement, il faut avoir conscience du risque pris, en matière de qualité de signa- ture, comme de liquidité. Nous pensons que les obligations émergentes offrent globalement un meilleur couple rendement/ risque. Les devises émergentes ne sont pas trop chères intrinsèquement et bénéficient traditionnellement des phases baissières sur le dollar. De ce point de vue, le consensus est plutôt unanime pour un affaiblissement du dollar contre les principales monnaies, dont l’euro. Nous sommes d’accord avec cette vue, mais le « momentum » ne nous semble pas très puissant. La zone autour de 1,25 contre euro est très possible, au-delà, il faudrait des éléments nouveaux.
Actions : bulle ou pas ?
Les événements récents nous remémorent la période de la bulle « technologique » de la fin 1999/mars 2000 : introduction de Tesla dans l’indice S&P 500 le 21 décembre 2020 après une hausse de plus de 500 % depuis les plus bas de cette année, et +50 % depuis l’annonce de son entrée dans l’indice phare américain, ce qui donne à la valeur désormais un PER(2) 2020 proche de 160. Pour l’anecdote, elle représentera 1,5 % de l’indice, soit la 8e capitalisation, ce qui engendrera des réajustements de la part des gestions passives, dont les « tracker ». Nous pensons qu’il s’agit d’une opportunité pour la gestion active, mais c’est un autre débat. Effectivement, cela nous ramène plus de 20 ans en arrière : en décembre 1999, l’action Yahoo avait progressé de près de 60 % après l’annonce de son entrée également dans l’indice S&P 500. S’ajoutent à ces éléments les récentes introductions en bourse très médiatiques, dont celle de l’action Airbnb qui a vu son cours doubler le jour même de sa cotation. Nous n’adhérons pas à cette thèse de bulle. Rappelons-nous aussi que, entre l’automne 1999 et juin 2000, le taux des Fed Funds avait été porté de 4,75 % à 6,50 %. Aujourd’hui, les taux sont très bas et la valorisation des principales actions ne nous semble pas si chère dans ces conditions. Les bénéfices par unité d’indice S&P 500 pourraient se situer autour de 170 dollars l’année prochaine, en progression de l’ordre de 25 % par rapport à cette année, ce qui donne un PER 2021 de l’indice S&P 500 à près de 22. Celui des « GAFAM »(3) est de l’ordre de 40, ce qui est élevé, mais avec de réels profits et une croissance solide. C’est effectivement élevé au regard des normes historiques, mais il y a peu d’alternative d’investissement actuellement. En Europe, le raisonnement d’ensemble est similaire, bien que la composition des indices soit différente. Avec la dynamique de croissance économique, les croissances de bénéfices pourraient progresser de plus de 50 % en masse l’année prochaine et dépasser les prévisions du consensus actuel. Les actions deviennent ainsi incontournables d’autant plus que les rendements des dividendes restent attractifs : autour de 2 % sur les actions américaines et 3 % en Europe. Les secteurs plus « cycliques », et plus généralement le style « value », devraient continuer à surperformer dans les prochains mois.
Pour résumer notre vue, nous pensons que les actions restent très attractives intrinsèquement et surtout en relatif des autres choix possibles d’investissement. À court terme, le sentiment d’ensemble est trop optimiste : le dernier sondage réalisé par « American Association Survey » montre que le sentiment haussier est désormais largement répandu et atteint un point haut historiquement. Cela milite pour une phase de correction à court terme, qui donnera l’occasion de renforcer les positions.
Notre scénario central
Cette année atypique résulte d’une logique implacable : l’éco- nomie repart et les dettes créées sont absorbées par des Banques Centrales qui ont été très réac- tives, et qui resteront très vigi- lantes sur les conditions de refinancement. Ce constat, avec la découverte des vaccins, redonne de l’optimisme aux marchés. Cela n’est pas forcément intuitif compte tenu des difficultés de la vie quotidienne de la majorité des populations. Mais n’oublions pas que les marchés, par défini- tion, anticipent, et ils voient un monde en progression, sentiment que nous partageons, même si tout est allé « un peu vite » ces dernières semaines.
NOTES
- PMI manufacturier : indice mesurant le niveau d’activité des Directeurs d’Achats dans le secteur industriel.
- PER : Price Earning Ratio. Indicateur d’analyse boursière : ratio de cours divisé par le bénéfice.
- GAFAM : Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft.