par Elsa Dargent et Inna Mufteeva, économistes chez Natixis
Nous avons revu notre prévision de croissance à la hausse pour 2010 à 1,8% en moyenne annuelle (contre 1,3% estimé précédemment) principalement en raison d’une prolongation des certaines mesures du stimulus qui avaient déjà soutenu la consommation des ménages au T3 2009. Les chiffres du T3 ont certes été révisés à la baisse: le PIB a augmenté de 2,9% T/T ra en T3, au lieu de 3,5% estimé précédemment. Néanmoins, nous avons relevé notre prévision pour T4 2009 en raison des hausses de la consommation privée et de l’investissement résidentiel plus importantes qu’attendues.
Avec une forte propension à importer, la prévision de la croissance de 2009 augmente toutefois marginalement de – 2,6% à -2,5% en moyenne annuelle.
Au-delà de ces ajustements, les grandes lignes de notre scénario restent inchangées :
- Stimulus fiscal, baisse des taux hypothécaires, forte désinflation et effet cyclique des stocks permettront à la croissance de rester faiblement positive dans les mois prochains.
- L’activité immobilière est toujours soutenue par les politiques publiques.
- Toutefois, le désendettement structurel et la remontée en corollaire du taux d’épargne des ménages ne permettront pas à la croissance de revenir à son rythme potentiel en 2010.
- La consommation privée et publique, l’investissement résidentiel et la variation des stocks contribueront positivement, tandis que le commerce extérieur et l’investissement non-résidentiel apporteront une contribution négligeable à la croissance.
- Politiques économiques durablement expansionnistes : peu d’amélioration sur le déficit public et maintien des taux d’intérêt à un bas niveau et d’une taille élevée au bilan de la Fed.
Les ménages américains continuent de consommer au T4 2009 et T1 2010
La partie du stimulus fiscal injectée dans l’économie américaine en 2009 a eu pour objectif principal de soutenir la demande privée, soit par incitations directes (primes à la casse) soit en suppléant au revenu des ménages dans un contexte de baisse de la masse salariale. Parmi les mesures qui ont eu l’impact le plus important sur la consommation, on peut mentionner la fiscalité (baisse et exonération d’impôts) et les transferts publics.
En effet, selon l’estimation du CBO (organisme non-partisan) l’impact du stimulus sur la croissance a été de 1,2% à 3,2% au T3 ce qui veut dire que la croissance aurait toujours été négative en l’absence de stimulus. Boostée par ces mesures, la consommation des ménages a donc tiré la croissance en territoire positif au T3 et nous attendons un impact supplémentaire sur les chiffres de la demande privée fin 2009 et début 2010.
Toutefois, la plupart des mesures mises en place n’auront pas d’impact durable. La pérennité de cette amélioration est donc remise en question, surtout que la situation sur le marché du travail reste détériorée : même si les destructions de l’emploi ralentissent, le taux de chômage (10% constaté en novembre) s’avère élevé. Par ailleurs, selon le CBO, le taux de chômage aurait pu être de 0,3 à 0,9 pts encore plus élevé au T3 sans le stimulus.
Par conséquent, la masse salariale empêchera encore longtemps une reprise endogène de la consommation. En effet, si le rythme des destructions d’emplois décélère nettement (tendance baissière forte sur les demandes d’emplois), les entreprises vont tarder à réembaucher. Les ménages américains d’ailleurs sont de plus en plus pessimistes sur l’emploi, comme l’indique la dernière enquête du Conference Board (record haussier sur l’indice « jobs hard to get », rappelant les niveaux de 1982).
C’est pourquoi le législateur, mis en confiance par la réussite des programmes de stimulus, s’est empressé de prolonger certaines mesures sur une première partie de 2010. Parmi ces mesures, qui ciblent toujours les ménages, on compte la prolongation de l’indemnité de chômage d’urgence (Emergency Unemployment Compensation, EUC) et l’introduction de l’assurance chômage supplémentaire, soit une augmentation totale de la durée possible d’indemnisation de 79 à 99 semaines.
Cette nouvelle loi a créée deux mesures qui n’existaient pas avant, notamment : 14 semaines supplémentaires d’assurance chômage pour tous les états et 6 semaines additionnelles pour les états dont le taux de chômage est supérieur à 8,5%.
Toutefois, il faut souligner que l’EUC concerne seulement les semaines chômées avant la fin 2009. Cela signifie que la mesure ajoutera de 1 à 5 mois d’indemnités au plus et ne soutiendra que légèrement les revenus des ménages au cours des deux premiers trimestres 2010. Selon les estimations de l’organisation publique pour le soutien des chômeurs (National Employment Law Project, NELP) jusqu’à 3 millions des américains n’auront plus droit aux indemnités de chômage à partir de mars 2010.
Les mises en chantiers plafonnent mais les perspectives d’investissement résidentiel sont plus favorables. Malgré la hausse des ventes de logements neufs et la baisse des stocks (6,7 mois d’offre en octobre, comparé au pic à 12,4 mois en janvier), les constructeurs restent prudents.
Les mises en chantier ont baissé de 10,6% M/M à 529K unités en octobre, et si l’on s’attache plus particulièrement au segment moins volatile des single-family, celles-ci oscillent autour de 480K unités annualisées (cvs) depuis juillet (après une hausse de 34% de janvier à juin 2009).
Plusieurs facteurs jouent en faveur du marché de l’immobilier résidentiel, mais leur caractère temporaire laisse présager d’un essoufflement.
- Les taux hypothécaires ont continué de baisser (le taux fixe 30ans est de 4,8%, soit 0,8pt sous le pic de juin et 1,2pt sous le niveau de l’an dernier) favorisant une remontée de l’indice d’affordability.
- Le crédit d’impôt de 8000$ aux primo-accédants à la propriété à été prolongé du 30 novembre 2009 au 30 avril 2010 (date limite de signature du contrat) avec une hausse de la limitation de revenu (125000$ pour les individus, 225000$ pour les couples contre 75000$ et 150000$ auparavant) et un nouveau crédit de 6500$ pour les personnes ayant été domiciliées plus de 5 ans dans une même propriété les 8 dernières années.
Le crédit d’impôt a eu un effet rapide sur les ventes (les primo-accédants représentent 47% des transactions d’après le NAR) mais la demande devrait s’essouffler. L’investissement résidentiel qui avait fortement augmenté T/T annualisé) devrait progresser plus faiblement fin 2009/début 2010. L’expiration des mesures de soutien fiscal posera un frein au deuxième semestre 2010. La Senior Loan Officer Survey indique une baisse relative du resserrement des conditions de crédit sur les prêts immobiliers (27% des établissements de crédit en moyenne au T4, ce qui reste très élevé). La normalisation des conditions de crédit devrait tarder alors que les défauts continuent d’augmenter, risquant de ralentir la reprise en 2010.
A noter que nous avons aussi revu nos prévisions d’investissement résidentiel à la hausse par rapport à l’estimation du mois dernier, compte-tenu de la prolongation des mesures de soutien au marché immobilier et de la baisse plus marquée des stocks.
La chute-libre des prix a marqué un arrêt, mais la hausse des défauts risque d’en retarder la normalisation. En effet, la part des défauts continue de monter (9,64% en T3) de même que les saisies (4,5% en T3). La part des défauts sérieux a encore augmenté (8,85% soit 4 millions de prêts), nous poussant à réviser à la baisse nos prévisions sur les prix : la remontée sera probablement plus en « dent-de-scie ».
Le retournement du cycle de déstockage a déjà commencé, après avoir atteint un plus bas historique. Il devrait continuer d’apporter un soutien à la croissance (inférieur à un point en deuxième partie de 2009 puis autour de 0,5pt en 2010). Les entreprises vont prendre du temps à reconstituer leurs stocks du fait de la faiblesse de la demande.
Le déficit budgétaire en hausse
Nous avons également revu nos prévisions pour les finances publiques, en raison des deux nouvelles initiatives législatives qui peuvent potentiellement générer de nouvelles dépenses budgétaires : le prolongement des trois mesures du stimulus présentées ci-dessus et la décision du Président Obama d’envoyer des troupes supplémentaires en Afghanistan.
Le Congrès avance que le prolongement du stimulus n’influencera pas le déficit budgétaire, étant partiellement compensé par les recettes supplémentaires liées à deux autres lois : un allégement fiscal pour les entreprises multinationales reporté à 2018 et la prolongation d’une surtaxe de 0,2% sur les premiers $7000 de salaires (expirant fin décembre). Le CBO estime pour sa part que ces mesures creuseront le déficit de 44,7 Md$ en 2010.
Le 2 décembre 2009 B. Obama a annoncé l’envoi de 30 000 troupes supplémentaires en Afghanistan, ainsi que l’intention de commencer à les retirer vers juin 2011.
Actuellement 68 000 soldats américains sont déjà stationnés en Afghanistan. Pour le total des opérations à l’étranger (Irak inclus) le budget prévoit 65,9 Md$. L’administration n’a pas encore présenté ses estimations du coût de cette nouvelle action. Toutefois, selon John Murtha, le directeur d’un des comités de Défense de la Chambre des Représentants, l’administration Obama, la mesure devrait coûter 40 Md$. Il est très probable que la loi sera passée par le Congrès.
Par conséquent, si on prend en compte ses deux facteurs notre estimation du déficit budgétaire passe de -9% du PIB à -9,5% du PIB pour 2010. Par ailleurs, la loi sur la réforme de la santé est toujours débattue au Sénat. Elle pose un autre risque haussier sur notre prévision du déficit.