par Michel Didier et Pascale Auclair, chez UFG-LFP
A la veille de l’année 2010 et alors que les marchés, toutes classes d’actifs confondues, sont engagés depuis 3 mois et avec une certaine nervosité, dans un chenal étroit de consolidation, essayons de recenser quels vont être les catalyseurs de tendances et facteurs de volatilité l’an prochain :
Peu de changement depuis notre dernière lettre, sur la toile de fond macro-économique, si ce n’est, aux US principalement, l’impression d’un léger essoufflement du rythme de la reprise procurée par certaines données conjoncturelles un peu plus ternes. Cette impression est toutefois contrecarrée par de bonnes surprises sur l’emploi, qui semble amorcer un retournement, porteur d’espoir sur le comportement des consommateurs !
Le contexte économique devrait donc rester lisible et favorable pour les prochains mois, avec toujours une forte dichotomie de rythme d’activité entre des pays développés qui pansent leurs plaies de sortie de crise, et certaines zones émergentes pour qui la crise est, au contraire, un accélérateur de migration vers un modèle de croissance plus domestique, donc plus pérenne.
Nous l’évoquions longuement le mois dernier, la sortie progressive de politiques monétaires très accommodantes, via l’abandon progressif des mesures non conventionnelles, puis le relèvement progressif des taux courts, ne sera pas un long fleuve tranquille. L’impact se fera sentir sur les classes d’actifs risqués, avec parfois des cibles et des amplitudes étonnantes, témoin la réaction des rendements sur la dette souveraine grecque après l’annonce par la BCE de la modification des mesures quantitatives dès début 2010. On retiendra au global de ce mois de novembre, un discours appuyé des banquiers centraux en faveur d’un long statuquo sur les taux de référence même si se précisent les mesures de drainage progressif des liquidités.
De plus, le syndrome de Dubaï vient de nous le rappeler, la crise immobilière et financière n’est pas complètement derrière nous, cet accident réactive les craintes sur le secteur bancaire qui réévalue avec nervosité son exposition à des sociétés ou des pays lourdement endettés, remet en question les garanties implicites prétendument accordées par certains Etats à des entités parapubliques, et de façon plus générale sensibilise à nouveau et à très juste titre, les marchés aux risques pays.
En lien avec ces problématiques d’endettement public et de politiques monétaires, se profile donc également une équation 2010 complexe sur les changes, sur fond de baisse de l’hégémonie américaine incarnée par le $, sans alternative crédible offerte à ce stade…
Enfin, quelles que soient l’an prochain les évolutions économiques et leurs conséquences sur les marchés, ils seront fortement conditionnés par le comportement des investisseurs de long terme, dont les nouvelles normes comptables et prudentielles orienteront de façon structurelle leur appétit pour les classes d’actifs risquées, avec des conséquences naturellement lourdes sur les flux.
Il est certes un peu tôt pour formuler des vœux pour 2010, gageons toutefois que l’année nouvelle sera, à la lumière de ces quelques éléments, pleine d’opportunités mais riche en rebondissements…
Conjoncture : les facteurs de rebond toujours présents
Le rebond de l’activité économique mondiale se poursuit avec toutefois quelques interrogations sur son rythme. Nous ne voyons pas de menaces immédiates sur l’amélioration conjoncturelle amorcée au printemps dernier. Celle-ci devrait se poursuivre au cours des prochains mois. Les principaux indicateurs conjoncturels n’annoncent pas un arrêt prochain de la croissance et les facteurs de rebond restent présents. L’industrie, qui est le secteur le plus capitalistique et qui avait subi de plein fouet le choc de la récession, a commencé à ajuster à la hausse les cadences de production pour compenser le ralentissement du déstockage. Le rebond a été particulièrement marqué dans les régions du monde où la demande finale intérieure est dynamique. C’est principalement le cas de l’Asie. Il est encore en phase d’amorçage là où la demande finale est à peine positive. C’est le cas des Etats-Unis et plus encore de l’Europe.
Le rebond de la production industrielle américaine et européenne est surtout pour l’instant intra-industriel, les secteurs aval qui ont allégé leurs stocks amont relançant les commandes à leurs fournisseurs. Le mouvement se transmet jusqu’aux produits de base et cela explique assez largement la hausse des prix du pétrole et des matières premières des derniers mois (le prix du pétrole a doublé en un an). A la reprise intra-industrielle s’ajoute l’effet des plans de relance, effet immédiat pour les mesures d’allègements fiscaux concernant les ménages, plus étalés et peut-être aussi plus durables pour les investissements publics.
En résumé, il ne devrait pas y avoir d’inquiétudes à court terme sur la poursuite du rebond économique. Cependant, certaines données conjoncturelles récentes montrent un petit essoufflement. Aux Etats-Unis, les indices d’opinion des directeurs d’achat plafonnent comme les commandes de biens durables et les permis de construire. Dans la zone euro, les indices des directeurs d’achats dans l’industrie ont encore augmenté en novembre. Il est vrai qu’ils viennent à peine de franchir le niveau de 50, niveau qui traduit la stabilité.
L’inflation mesurée en glissement annuel est très faible dans la plupart des pays du monde, la principale exception étant l’Inde où le taux de variation sur un an atteint 12% (avec une pointe à 20% sur trois mois). Dans la plupart des pays le glissement annuel des prix à la consommation est proche de zéro voire négatif ( en Chine notamment). L’inflation instantanée (en rythme annualisé) est toutefois remontée à 4% l’an aux Etats-Unis et à 2% en zone euro. Cette remontée tient à l’impact de la hausse du pétrole et des matières premières et ne concerne pas l’inflation sous-jacente qui reste faible. Les tendances prochaines ne devraient traduire aucune accélération. On notera aussi que la masse monétaire n’augmente plus beaucoup dans les pays développés et qu’elle amorce même une contraction en Europe.
Les instituts de conjoncture ont dans l’ensemble à peu près convergé sur la perspective d’une croissance mondiale qui reviendrait vers sa moyenne passée en 2010, s’accompagnant d’un niveau d’inflation bas et de taux d’intérêt toujours très bas. C’est le scénario que nous privilégions depuis le début 2009 et nous avons peu de raisons de le modifier. Plus que le scénario central, devenu aujourd’hui à peu près consensuel, il nous semble surtout important d’identifier les alternatives et les risques de 2010 et les tendances probables au-delà des tous prochains trimestres.
Les Banques Centrales occidentales affichent leur intention de fournir de l’argent quasi-gratuit pendant une «période prolongée».
Cette configuration permet aux banques de reconstituer leurs marges grâce à l’écart entre le taux très faible qu’elles paient et les intérêts qu’elles encaissent quand elles prêtent à l’économie, écart qui est actuellement de l’ordre de trois à quatre points. Malgré cet écart élevé entre taux du crédit et taux de financement des banques, le coût final pour les emprunteurs reste relativement bas comparativement au passé. Quant aux taux d’intérêt des obligations d’Etat (les taux sans risque), actuellement à trois et demi pour cent, ils sont à des plus bas séculaires.
Comment les taux d’intérêt peuvent-ils se maintenir si bas alors que les Etats empruntent massivement et annoncent qu’ils vont encore emprunter des sommes considérables pour financer des déficits publics hors normes (7 % du PIB en moyenne dans la zone euro, 8,5 % pour la France, 12 % aux Etats-Unis)? Avec de tels besoins de financements publics, on pourrait s’attendre à des tensions sur les marchés obligataires, d’autant plus que les émissions des grandes entreprises ont fortement repris cette année. Or il n’en est rien. Les taux de marché à long terme sont bas et stables dans la plupart des pays. Si les taux longs ne montent pas, c’est parce que face à une demande considérable de capitaux venant des Etats, il y a aussi une offre mondiale de capitaux considérable. Plus les Etats empruntent, plus les agents privés épargnent et prêtent. C’est une situation classique en période récessive mais normalement transitoire.
Il s’ajoute au recyclage de l’épargne privée intérieure le placement des excédents asiatiques qui augmentent de nouveau rapidement. Cette situation mal équilibrée et non soutenable peut déboucher sur des scénarios très divers. Le premier scénario serait la persistance de la situation actuelle. Les agents privés maintiennent un bas niveau de dépenses d’investissement et de consommation. Le rebond économique avorte et l’économie stagne. Ce ne serait pas un bon scénario pour les marchés boursiers. Un deuxième scénario serait celui où les agents privés se remettent à investir et à consommer alors que les Etats restent trop longtemps déficitaires. Seule une hausse des taux longs pourrait alors équilibrer l’offre et la demande sur le marché obligataire. Les Banques centrales seraient alors plus ou moins conduites à « suivre les marchés ». Ce ne serait pas non plus un très bon scénario pour les marchés boursiers.
Reste le scénario favorable (qui inspire notre scénario de référence). Les Etats se désengagent progressivement pendant que les agents privés libèrent leurs dépenses. Le rebond d’activité actuel se consolide progressivement. Les banques centrales remontent leurs taux d’intervention en ligne avec la croissance tendancielle, ni trop tôt, ni trop tard. Les taux longs peuvent alors rester au voisinage de 4 %, voire en dessous. Les cours des actions s’inscriraient sur une trajectoire de hausse modérée, bien plus modeste que depuis un an. Ce scénario nous semble le plus vraisemblable. Mais comme l’opinion hésitera entre les trois scénarios au gré des nouvelles et comme plusieurs risques rodent toujours dans le monde, les marchés connaîtront des hauts et des bas.