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Pendant que les Français suscitent des critiques voire des sarcasmes en mettant en oeuvre un fonds souverain destiné à protéger les entreprises qui pourraient être attaquées par des prédateurs étrangers en cette période de crise, les Américains se livrent à des actions de protectionnisme sans que cela ne provoque le moindre commentaire. Le président élu, Barack Obama, qui prendra ses fonctions le 20 janvier, prépare un plan de relance qui contiendra des dizaines de milliards de dollars d’aides à des secteurs industriels fragilisés par la concurrence internationale. C’est le cas en particulier des constructeurs automobiles General Motors, Ford et Chrysler, qui sont au bord de la faillite. D’autres mesures sont attendues pour empêcher les entreprises américaines de délocaliser leur production. La nouvelle administration suscite des interrogations car les démocrates sont traditionnellement plutôt protectionnistes. Mais on aurait tort de croire que le protectionnisme est seulement le fait des pouvoirs publics. Prenons le dossier Constellation Energy Group (CEG), dont EDF détient 9,51%du capital et avec lequel il a créé une co-entreprise (Unistar) pour construire et exploiter des centrales nucléaires aux Etats-Unis.
En septembre, l’électricien américain était au bord de la faillite et son conseil d’administration est allé chercher Warren Buffet, dont une société, MidAmerican Energy Holdings, a apporté un financement d’un milliard d’euros et a fait une offre sur l’entreprise sur la base d’une valorisation de 26,5 dollars par action, soit 4,7 milliards de dollars au total. EDF, qui cherche à protéger ses intérêts, a étudié une contre-offre avec des fonds d’investissement, dont KKR, avant de renoncer à la mi-octobre en raison des difficultés de ses partenaires à accéder aux marchés du crédit. Le groupe français vient de proposer de racheter 50% des activités nucléaires de CEG dans le cadre d’une offre qui aboutit à une valorisation de 52 dollars par action, ce qui représente un investissement de l’ordre de 3,5 milliards de dollars une prime de 96% sur l’offre de Warren Buffet. Après bien des hésitations, le conseil d’administration de Constellation a accepter d’étudier l’offre d’EDF mais a souligné que n’avait pas retiré ou modifié sa recommandation en faveur de l’offre de Warren Buffet. Résultat : les actionnaires trancheront le 23 décembre. Bien évidemment, le cours de bourse d’EDF a été chahuté en partie à cause de l’évolution du dossier Constellation ces derniers jours. Mais, selon des responsables proches du gouvernement français, le groupe n’avait pas d’autre choix que de réagir car les dirigeants de Constellation ont tout fait pour bafouer ses droits d’actionnaires au nom de la défense des intérêts américains. Pour certains experts, ceci n’est pas une nouveauté : souvent des entreprises américaines font appel à des partenaires étrangers uniquement dans le but d’avoir des fonds mais ils ne souhaitent pas partager le pouvoir et certaines fonctions clés.
On l’a vu dans les années 1990 avec l’industrie du cinéma. Dans d’autres secteurs, les pouvoirs publics américains veulent protéger des secteurs entiers (Unocal et les ports hier, l’automobile aujourd’hui) et ne se soucient pas des distorsions de concurrence que cela créé à l’échelle mondiale. On arrive donc à cette situation intenable sur le long terme : les dirigeants américains réclament partout la disparition des barrières douanières afin de pouvoir vendre leurs produits mais font tout pour fermer leurs frontières. En face, personne ou presque ne réagit. Le Premier ministre britannique Gordon Brown a dénoncé, lundi 8 décembre, toute tentation de protectionnisme car cela mettrait en danger, a-t-il dit, la conclusion d’un accord au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). “Le protectionnisme est quelque chose que nous devons à la fois éviter et combattre dans les prochains mois. Nous pensons que tout recours au protectionnisme retarderait tout rétablissement et que cela équivaudrait à reproduire les erreurs du passé”, a-t-il assuré. Tous les pays ne font pas preuve d’un tel optimisme. Confrontée à une baisse de ses exportations, la Chine n’a pas hésité à utiliser récemment l’arme monétaire en laissant le yuan se déprécier face au dollar, celui-ci retrouvant son niveau d’il y a six mois après avoir perdu 20% en trois ans face à la monnaie chinoise. La Chine, qui détient les premières réserves de change du monde (2.000 milliards de dollars, dont une très grande partie en actifs américains), s’est même autorisée récemment à faire la leçon aux Etats-Unis pour sortir de la crise. Washington n’a pas réagi tant il a besoin des capitaux de la Chine. L’administration américaine a même été obligée d’assurer, par la voix du secrétaire au Trésor Henry Paulson, que les investissements chinois ne constituaient pas une menace pour les Etats-Unis. La première puissance économique et son nouveau challenger sont ainsi engagés dans une bataille à coups de mesures protectionnistes et d’actions monétaires qui risquent d’avoir un impact sur tous les autres acteurs économiques.
Ce qui est étonnant face à cette évolution, c’est le silence de la Commission européenne. Celle-ci donne l’impression qu’elle cherche surtout à obliger les entreprises européennes à respecter des règles draconiennes, en particulier en matière de concurrence, et qu’elle a décidé de ne pas voir ce que font les grands rivaux de l’Union européenne. Ce faisant, elle oublie que les entreprises européennes doivent pouvoir lutter à armes égales avec les entreprises américaines, chinoises ou japonaises sur le marché mondial. Faute d’une action résolue, l’Europe ne sera jamais qu’un grand marché ouvert à tous les vents. Difficile dans ces conditions de convaincre les citoyens que l’Europe est leur futur.