A quoi joue Trichet ?

Le président de la Banque centrale européenne (BCE), Jean-Claude Trichet, se veut un homme prévisible. Mais sa dernière sortie est déroutante.

Le président de la Banque centrale européenne (BCE), Jean-Claude Trichet, se veut un homme prévisible. Mais sa dernière sortie est déroutante. Lors d’un dîner avec l’association des journalistes économiques de Francfort, il a suggéré une pause dans le mouvement de baisse des taux d’intérêt. Il a en effet estimé qu’il fallait désormais faire passer la récente détente monétaire dans l’économie réelle. En outre, il a mis en garde contre des anticipations sur des taux très bas : “Nous avons à l'esprit de ne pas descendre trop bas”. On s’en doutait mais cela va mieux en le disant. Si on suit le raisonnement de Jean-Claude Trichet, on pourrait penser que la crise économique qui frappe la planète entière depuis plusieurs mois est en passe d’être résolue. Or, il n’en est rien et les dernières statistiques le montrent clairement. L’indice PMI Composite de l’activité dans la zone euro est tombé à 38,3 en décembre – son plus bas niveau depuis sa création il y a plus de dix ans – contre 38,9 en novembre. L’indice s’est élevé à 34,5 dans le secteur manufacturier contre 35,6 et à 42 dans les services contre 42,5. Les économistes ont immédiatement réagi en estimant que ces chiffres laissaient entrevoir un recul du Produit intérieur brut (PIB) de 0,5 à 0,6 point d’un trimestre à l’autre.

Dans le même temps, nous avons appris par l’Insee que la France avait détruit 36.600 emplois au troisième trimestre. Les seuls secteurs marchands en ont perdu 47.000 après 27.500 au deuxième trimestre, de quoi annuler les 47.800 créations du premier trimestre. Dans les secteurs marchands, il y a ainsi à la fin du mois de septembre 26.700 destructions contre 230.700 créations pour les neuf premiers mois de 2007. Cette tendance est également visible dans les autres pays européens.

Parallèlement, l’inflation poursuit son reflux. Après avoir atteint 4% en rythme annuel au début de l’été, le taux est tombé à 2,1% en novembre, selon des données provisoires d’Eurostat. Il s’est établi à 1,6% en France du fait de l’effondrement des prix de l’énergie (-5,5%), selon l’Insee. Là aussi, le mouvement est général. Mais il n’y a pas de quoi se réjouir car, selon des économistes et des chefs d’entreprise, ce qui guette l’Europe aujourd’hui c’est la déflation, c’est-à-dire une baisse généralisée des prix liée à une chute de la demande. Dans une telle situation, les instruments habituels des banques centrales – une baisse des taux d’intérêt et un apport de liquidités – sont inadaptés. C’est la raison pour laquelle, les instituts monétaires font tout pour éviter une déflation.

Prenons l’exemple des Etats-Unis. Les statistiques sont particulièrement inquiétantes depuis plusieurs semaines: plus de 500.000 destructions d’emplois au troisième trimestre (ce qui porte le taux de chômage à 6,7%), contraction du PIB (-0,5% au troisième trimestre) et baisse de la consomation. Conséquence, la Réserve fédérale a réduit mardi soir son taux directeur de 75 points de base à 0,25%, un niveau jamais vu depuis 1954. Cette mesure sera-t-elle suffisante ? Des économistes en doutent. Mais nul ne peut nier que la Fed s’implique. Dans son communiqué, elle souligne qu’elle utilisera “ous les moyens à sa disposition pour promouvoir le retour d'une croissance économique durable et pour maintenir la stabilité des prix”. On voit bien qu’aux Etats-Unis, la Fed et le président élu Barack Obama sont déterminés à relancer la machine. En Europe, les différents pays ont annoncé des plans de relance. Mais la BCE semble bien timorée. Elle peut à bon droit souligner que son mandat, inscrit dans le Traité de Maastricht, est seulement de lutter contre l’inflation. Toutefois, il faut rappeler que si elle a monté ses taux d’intérêt de 2% à 4% entre décembre 2005 et juin 2007, alors que l’inflation était à un peine supérieure à son taux cible de 2%, elle n’a décidé ensuite une hausse de 0,25 point à 4,25% qu’en juillet 2008 alors que l’inflation était à 4%. Une attitude pour le moins surprenante quand on sait que Jean-Claude Trichet ne parlait que d’inflation ces dernières années alors que le taux était autour de 2%.

De deux choses l’une : soit la BCE voulait lutter contre l’inflation et elle aurait dû agir plus énergiquement dès les premières tensions, au début de l’année 2008 ; soit, elle était déjà préoccupée par les risques sur la croissance du fait de la crise financière déclenchée par l’explosion du marché des subprimes et elle aurait dû non pas relever ses taux mais au contraire les baisser dès le début de l’été. Or, elle a attendu octobre pour réduire ses taux de 4,25% à 3,75% avant une nouvelle baisse à 3,25% en novembre et encore une autre de 0,75 point à 2,50% en décembre. Cette trajectoire, cohérente avec celle des banques centrales américaine et anglaise bien que moins prononcée, est logique dans la mesure où le consensus est général sur la récession qui frappe la planète.

Mais pourquoi, avant une réunion de la Fed, Jean-Claude Trichet a-t-il décidé de se fermer la porte d’une nouvelle détente monétaire ? A-t-il des informations sur une reprise économique prochaine ? Redoute-t-il une nouvelle flambée inflationniste ? Il doit avoir ses raisons mais en refusant de les fournir autrement que par ellipse devant des cercles restreints de journalistes ou d’économistes, il ne donne pas beaucoup d’espoir à ceux qui voudraient s’en sortir. L’économie n’est pas seulement affaire de chiffres. C’est avant tout une question de psychologie. Les agents économiques – ménages et entreprises – doivent confiance pour investir. Et la BCE ne fait rien aujourd’hui pour restaurer cette confiance.