par Hervé Lievore, stratégiste chez Axa IM
Bien qu’elle soit indépendante, la Banque du Japon (BoJ) fait toujours l’objet de pressions de la part du gouvernement. Habituellement, la BoJ ne les écoute pas mais, début décembre, la détérioration des perspectives économiques et l’ampleur de la déflation sont venues peser dans la balance.
Dans cette note, nous revenons sur le contexte qui a mené aux mesures de soutien de l’activité annoncées début décembre et sur leurs limites.
Le scénario de rechute de l’activité au début de 2010 refait surface
En dépit de chiffres rassurants concernant la production industrielle et l’activité dans les services depuis la fin du 1T, la dynamique de reprise dans l’Archipel ne parvient toujours pas à rassurer. La demande intérieure demeure déprimée et seul le commerce extérieur contribue activement à la croissance. Certes, la consommation privée a retrouvé quelques couleurs mais, en l’absence de reprise de l’emploi et face à la stagnation des revenus nominaux, les ménages devraient rester hésitants et se reposeront sur les politiques de soutien gouvernementales.
Dans un tel contexte, l’atonie de l’investissement productif n’est guère surprenante. Les commandes de machines du secteur privé (hors éléments volatils) ne devraient se stabiliser qu’au 4T (après six trimestres consécutifs de contraction), et les perspectives pour le reste de l’exercice fiscal (qui s’achèvera fin mars 2010) sont ternes. L’enquête Tankan de la BoJ de décembre a confirmé que les entreprises japonaises n’envisagent toujours pas de revoir à la hausse leurs dépenses en capital. Leur priorité est toujours de rétablir leur situation financière, sévèrement dégradée au cours de l’exercice précédent. En outre, le Tankan suggère que l’attitude des banques demeure restrictive en matière de crédit, particulièrement aux PME.
De fait, l’encours des prêts bancaires ne progresse plus, voire même régresse en ce qui concerne les PME. Mais une dimension essentielle du problème est la faiblesse de la demande de crédit. A l’image de ce qui s’est passé dans d’autres pays, le blocage des financements de marché au plus fort de la crise s’est traduit par un report temporaire vers le crédit bancaire. Depuis, la demande de crédit s’est considérablement réduite. Ceci est vrai des entreprises mais également des ménages, pour lesquels la demande est même plus faible aujourd’hui que lors de la crise de 2001.
L’absence de création monétaire par le canal du crédit bancaire a favorisé la réapparition de la déflation, avec des niveaux de production et d’emploi bien inférieurs à ce qu’ils étaient il y a un peu plus d’un an. L’écart de production est fortement négatif et devrait le rester au moins jusqu’en 2011. Quant à l’inflation importée, celle-ci demeure limitée par l’appréciation du yen.
Face à ces défis (pressions déflationnistes, appréciation du yen, atonie de la demande interne), le recours à un policy mix plus agressif a fini par s’imposer. Il est toutefois loin d’être suffisant.
La BOJ envoie un signal au marché et probablement aussi au gouvernement
Répondant aux sollicitations pressantes du gouvernement, la BoJ a précipité la réunion de son Conseil de politique monétaire le 1er décembre, au terme duquel un plan de 10 000 mds JPY de prêts à 0,1% sur trois mois a été annoncé. Les collatéraux acceptés iront des JGB aux obligations corporate et aux papiers commerciaux. A titre de comparaison, le taux TIBOR 3 mois se situe actuellement à 0,47% et le LIBOR yen est à 0,28%. S’il est indéniable que cette mesure va dans le bon sens, son effet sur l’économie réelle ne doit pas être exagéré du fait de la faible demande de crédit.
L’annonce de la BoJ a eu un triple impact, à la fois sur le marché des changes, les taux monétaires et le marché d’actions. Le yen a ainsi cessé de s’apprécier et a même perdu 2% de sa valeur dans les 36 heures qui ont suivi l’annonce. Dans le sillage du marché des changes, le marché d’actions a progressé dans la perspective de meilleurs résultats des sociétés exportatrices et de moindres charges financières. Enfin, l’écart entre le TIBOR 3M et le LIBOR yen 3M (un indicateur très en vogue il y a dix ans pour mesurer le Japan Premium, c’est-a-dire la moindre qualité de crédit des établissements bancaires nippons) a cessé de se creuser.
L’intérêt pour la Banque du Japon d’un recours accru aux injections de liquidité est donc double. D’une part elles permettent de réduire les contraintes monétaires (notamment en limitant la hausse du taux de change) sur les entreprises. D’autre part, elles jouent un rôle central dans la détermination des anticipations d’inflation et tout l’enjeu pour la BoJ consiste à éviter que la déflation actuelle, la plus forte enregistrée depuis la Seconde Guerre mondiale, ne soit intégrée comme une tendance durable.
Pour y parvenir, il faudra toutefois des mesures plus pérennes et surtout plus agressives que celle annoncée le 1er décembre. Au bout d’une semaine, l’amélioration initialement constatée sur les marchés s’est déjà résorbée. Or, jusqu'à présent, la BoJ a fait preuve d’une réticence surprenante à accroître la taille de son bilan.
Contrairement à la Fed ou à la Banque d’Angleterre, l’actif de la BoJ est actuellement au même niveau qu’avant la crise. A la décharge de l’institution tokyoïte, rapporté au PIB, le bilan de la BoJ est toujours le plus élevé des pays les plus avancés. En outre, la lutte contre la déflation doit aussi intégrer la politique budgétaire, dans la mesure où un retour même modéré de l’inflation ne sera pas neutre sur les finances publiques dans les prochaines années.
Une faible stimulation budgétaire en fin d’année en attendant les vraies réformes de 2010
Une semaine après la décision de la BoJ d’offrir de nouvelles conditions de financement avantageuses, le gouvernement a annoncé le déblocage d’une enveloppe de 7 200 mds JPY (1,5% du PIB) pour soutenir l’activité.
Sur ce total, 3 000 mds JPY serviront à compenser les moindres recettes fiscales des collectivités locales.
Stricto sensu, les nouvelles dépenses ne porteront donc que sur environ 4 000 mds JPY (0,8% du PIB), ce qui ne permet guère d’espérer une franche accélération de l’activité dans les prochains trimestres.
Plus significatif, le gouvernement a pris en compte le niveau catastrophique des recettes fiscales pour l’exercice fiscal en cours (inférieur de 20% par rapport aux prévisions initiales). Le risque de voir une hausse du ratio d’endettement jusqu'à 200% du PIB d’ici fin 2010 est désormais une certitude et la question du caractère soutenable de cette dette se pose avec une acuité nouvelle.
La réponse vers laquelle s’oriente le gouvernement est celle de la rationalisation des politiques budgétaires (via la planification à moyen terme) et un élargissement de la base imposable, en plus des coupes dans les budgets de travaux publics. Mais en tout état de cause, la dette continuera de croître plus rapidement que le PIB car le solde budgétaire primaire (prévu par l’OCDE à -6,8% du PIB en 2011) ne pourra pas être suffisamment excédentaire avant de nombreuses années.
Faut-il en déduire un défaut de l’Etat japonais ? Au sens large, la réponse est non, dans la mesure où il est toujours possible de monétiser une dette en monnaie locale (et l’Etat japonais n’a pas de dette en devises). En outre, à peu près la moitié de l’encours de cette dette est détenue par la sphère publique, ce qui contribue à stabiliser les perspectives. Enfin, le pays dispose toujours d’importantes capacités de financement, comme en témoigne la persistance de l’excédent des comptes courants. Néanmoins, sur le long terme, l’impasse budgétaire est inévitable si le Japon ne parvient pas à accroître sa croissance potentielle via une hausse de la productivité (et donc ses recettes fiscales) et/ou à inverser son déclin démographique (désépargne liée au vieillissement de la population).
Conclusions
Les récentes annonces relatives aux politiques monétaire et budgétaire sont trop limitées pour avoir un impact significatif et durable sur l’activité économique. Tout au plus peut-on espérer une hausse de l’ordre de 0,2 point de pourcentage au cours du 1S10. Le ralentissement amorcé au cours du 3T09 devrait donc rester d’actualité et ce malgré l’embellie du commerce international.
Dans ce cadre, la dette du gouvernement central devrait s’accélérer d’ici la fin 2010 compte tenu d’une modeste progression des dépenses et d’une contraction des recettes fiscales. Bien que l’essentiel de cette détérioration soit jusqu'à présent imputable à des facteurs cycliques, l’ampleur du déficit budgétaire primaire rend l’assainissement des finances publiques improbable même à moyen terme.