par Frédéric Buzaré, responsable de la gestion actions chez Dexia AM
Un nombre substantiels d’investisseurs vivent dans la crainte de voir retomber le soufflé de la reprise économique – l’hypothèse du double creux – et ce, même si peu de signes viennent étayer cette anxiété à l’heure actuelle. Nombreux sont les acteurs sur le marché à répugner à admettre que les vastes plans de relance sont en train de produire leurs effets, alors même qu’au cours des 6 derniers mois le rythme de la reprise économique n’a cessé d’être sous-estimé.
Le débat ne devrait plus essentiellement porter sur l’efficacité des réponses des pouvoirs publics, mais plutôt sur leur non viabilité. Si elles sont prolongées, ces mesures d’orientation keynésienne vont être à l’origine d’une considérable instabilité financière internationale à l’avenir.
Et le mois de novembre a peut-être préfiguré de ce à quoi l’on peut s’attendre en 2010. L’annonce concernant le problème de la dette de Dubaï World est, dans une certaine mesure, une piqure de rappel des graves problèmes de l’émirat lui-même mais, qui plus est, elle met également en évidence les risques encore plus importants encourus par les marchés financiers en 2010 : d’une manière générale, de moindres interventions à prévoir de la part des gouvernements et le risque souverain.
L’effet Dubaï a eu pour conséquence de recadrer l’attention sur la fragilité des pays européens périphériques, tout particulièrement de la Grèce. Compte tenu de finances publiques obérées, les investisseurs ne doivent pas oublier que les gouvernements peuvent, et vont, changer les règles lorsqu’il y aura lieu de le faire. Les prix des actifs, supportés par la confiance dans les politiques de soutien, pourraient avoir besoin de s’ajuster à ce paramètre. Jusqu’à présent, le marché des obligations d’entreprise et celui des actions sont globalement demeurés orientés à la hausse en dépit de la nervosité causée par la qualité de crédit de la dette souveraine de pays tels que le Japon, la Grèce, l’Ukraine et l’émirat de Dubaï lui-même. Même si durant les 6 derniers mois les pouvoirs publics ont fait tout ce qu’ils pouvaient pour soutenir certains actifs, cela n’est pas sans contrepartie.
Ce soutien a, en effet, un prix à payer. Les gouvernements se voient contraints de freiner leurs emprunts, tout particulièrement en raison de Banques centrales qui ont commencé à mettre un terme à leurs mesures d’assouplissement monétaire, retirant de ce fait une partie du soutien dont ont jouit les marchés des obligations d’État.
L’attention du marché pourrait se reporter sur l’économie fiduciaire elle-même et le risque qu’elle pourrait poser à une croissance autonome l’année prochaine. Les Banques centrales ont l’air plus rassurées, mais cependant à peine plus « bellicistes » quant à déterminer le moment où elles vont commencer à relever leurs taux d’intérêt en 2010. A vrai dire, ce sont les mouvements sur le marché des changes qui prennent désormais le pas sur le comportement des investisseurs, en particulier les opinions à l’égard du dollar américain. Le billet vert est considéré comme le principal baromètre d’une multitude d’influences, de l’appétit pour le risque jusqu’au recyclage des réserves de change des Banques centrales des pays émergents. Selon nous, les considérations liées aux marchés des changes devraient demeurer vitales en 2010.
La vente à découvert du dollar américain est aujourd’hui une position prise par un nombre excessif de différents acteurs sur le marché et certains pays sont désormais tout proches d’intervenir, à l’instar du Japon. Dans son derniers discours, le président de la Réserve fédérale, Ben Bernanke, a évoqué le dollar à de nombreuses reprises, état de fait d’autant plus inhabituel que le billet vert n’entre pas dans le mandat de la Réserve fédérale. Nous sommes d’avis qu’un pari à sens unique sur le dollar est inapproprié. L’orientation de la devise américaine sera liée au marché du travail outre-Atlantique et, en la matière, les statistiques sur le front des créations d’emplois, hors secteur agricole, sont plutôt encourageantes.
En effet, les pertes d’emplois ont été limitées à 11 000. A mesure que l’économie américaine continue de s’améliorer, l’emploi pourrait bel et bien montrer les premiers signes d’embellie au début de l’année 2010.
La crainte d’une sensible chute du dollar a conduit les capitaux à se diriger vers la Chine, empêchant par là-même le pays de gérer de manière équilibrée ses réserves de change. La pression se fait de plus en plus forte sur la Banque centrale chinoise afin d’ajuster l’ancrage de sa devise au dollar américain. Il est intéressant de noter que, dans le cadre de son dernier rapport de politique monétaire, la Banque populaire de Chine a omis une phrase clé en promettant de maintenir la stabilité du yuan/renminbi, indiquant à la place qu’elle aspirait à « améliorer le mécanisme de change du renminbi, être proactive, maintenir les contrôles, agir graduellement et tenir compte des flux de capitaux internationaux et des mouvements de tendance dans les principales devises ».
Toute intervention de la Chine sur sa devise sera certainement extrêmement progressive et les chances d’un alignement unique sont très limitées. Un revirement de tendance du dollar face à l’euro, à la suite d’une moindre accumulation de réserves de change par la Chine, aurait de considérables répercussions pour tous les marchés, de ceux des matières premières à ceux des actions et en passant par les marchés du crédit. Une appréciation du billet vert se traduirait par une brutale réaction des intervenants réalisant des opérations de portage en empruntant des dollars. Cela aurait également des conséquences néfastes sur ceux habitués à se couvrir en dollars dans les différents marchés émergents et pour les pays (tels que l’Australie, le Brésil et la Russie) qui sont, directement ou indirectement, étroitement liés à la demande en provenance de Chine.
Certains effets commencent à être singulièrement visibles, particulièrement sur l’or dont le cours vole de record en record. Nous trouvons cela étrange compte tenu des excellentes performances passées du métal jaune. Historiquement, l’or a constitué le meilleur indicateur avancé de l’inflation ; et, eu égard à une économie qui est toujours en pleine phase de reprise (aucun signe d’inflation pour le moment) et dont le rythme gagne même en vigueur, on en vient de plus en plus à s’interroger sur les justifications de cette ruée vers l’or. Peut-être nous posons nous trop de questions à ce sujet et qu’il s’agit simplement d’un phénomène monétaire n’ayant rien à voir avec une perspective macroéconomique. Le FMI a vendu 200 tonnes d’or à la Banque centrale indienne, autre preuve s’il en est du désir de la Banque centrale indienne de se diversifier et de délaisser un peu plus le dollar américain. Alors que dans le passé les Banques centrales étaient vendeuses nettes d’or, elles commencent aujourd’hui à représenter une nouvelle source de demande.
L’épisode de Dubaï ne vient pas changer notre scénario de référence qui demeure positif à l’égard des perspectives des actions. Les investisseurs à Dubaï ont été coupables d’avoir fait confiance à la garantie implicite officieuse d’Abu Dhabi. Il ne s’agit pas d’un événement systémique susceptible de faire avorter la reprise mondiale, mais plus d’un événement classique que d’un risque de d’entrainement (ce que précisément était la faillite de Lehman Brothers). Les créanciers de Dubaï vont devoir partager la douleur liée à la restructuration de la dette. Préserver la situation économique satisfaisante qui prévaut est encore possible et cet épisode, qui souligne la fragilité du système financier mondial depuis 2007/2008, pourrait ainsi contraindre les Banques centrales à maintenir encore un peu plus longtemps leurs politiques monétaires accommodantes.
Au cours de son dernier discours également, Ben Bernanke s’est attardé sur deux sources de problèmes pour l’économie : « la morosité du marché du travail » et « les pratiques restrictives des banques en matière de crédit ». En conséquence, il nous faudra observer une sensible amélioration de chacune de ces composantes avant qu’il plaide en faveur d’une hausse des taux d’intérêt. Deux aspects du discours de Ben Bernanke furent inédits. Tout d’abord, il a relevé d’importants « contre-courants » dans les perspectives inflationnistes avant de conclure qu’elles allaient « rester modérées ». En particulier, il a cité les prix des matières premières et les taux de change comme exemples de ces facteurs, alors qu’aucun des deux n’avait été mentionné lors du tout dernier communiqué du FOMC.
La crainte d’une bulle des actifs
Dans ce contexte, il existe donc de vives divergences entre, d’une part, le sentiment des investisseurs et, d’autre part, l’impression laissée par les autorités monétaires. Les investisseurs demeurent excessivement prudents à l’égard des actions en tant que classe d’actifs. Le dernier indice de l’American Association of individual investors (AAII) (la proportion d’investisseurs positifs (« bulls ») moins celle de négatifs (« bears ») sur l’évolution future), est tombé à son plus bas niveau depuis mars 2009 et au second niveau le plus bas de son histoire. Les investisseurs ont encore des doutes sur la capacité de l’économie à assurer la pérennité d’une reprise autonome. Il n’est pas exagéré de dire que les Banques centrales ont favorisé la hausse des prix des actifs et que la simple allusion d’un risque d’une bulle des actifs commence à faire l’actualité. Même si les Banques centrales ne se sont récemment guère étendues sur les conséquences inattendues des politiques de relance, il est plutôt inapproprié de parler d’une « bulle des actifs », tout particulièrement dans le cas des marchés d’actions.
La principale bulle serait la corrélation entre la hausse des marchés des actions, des matières premières et la baisse de la devise américaine. Les évolutions des marchés sont simplement la traduction d’obsessions très simples au sein de la communauté des investisseurs. Les transactions doubles sont basées sur l’hypothèse d’une absence d’amélioration rapide du marché du travail aux États-Unis ou des dépenses des ménages américains, et sur le fait que le caractère accommodant des politiques monétaires va perdurer plus longtemps que ce que l’on aurait pu imaginer. La réaction des marchés après la dernière publication positive des suppressions d’emplois outre-Atlantique est intéressante. Le dollar s’est nettement apprécié, tout comme le taux des obligations à deux ans, signalant ainsi une évolution du point de mire des investisseurs, de la reprise économique vers le changement de politique des Banques centrales. C’est la raison pour laquelle, la rapidité de l’amélioration des conditions sur le marché du travail est si importante.
L’Asie est la locomotive de l’économie mondiale à la faveur de l’augmentation de sa production industrielle et de son commerce, conséquence en partie de la croissance en Chine et en Inde. Cette reprise économique venant à point nommé s’est accompagnée d’une hausse des cours des actions et des prix immobiliers.
La dernière augmentation des prix des actifs en Asie est la conséquence des vastes mesures prises par la Réserve fédérale afin de tenter de juguler la crise du crédit. De telles mesures sont avant tout le reflet d’une politique monétaire axée sur les États-Unis. Mais, compte tenu du fait que la Chine dispose d’un régime de change fixe, la politique monétaire de la Réserve fédérale devient la politique monétaire de la Chine, une combinaison qui a fini par se faire inflationniste dans l’Empire du Milieu.
En outre, en réaction à ces conditions inflationnistes, les anticipations inflationnistes ont conduit à des achats immobiliers comme moyen de couverture contre la hausse des prix. Afin d’éviter une situation intenable, une devise plus vigoureuse (et flexible) se devra d’être mise en place.
Après l’augmentation des prix des matières premières minières, les matières premières agricoles pourraient bien constituer la prochaine classe d’actifs à voir ses prix connaître une envolée. En effet, les politiques monétaires accommodantes, la volatilité du marché des matières premières et la médiocrité des récoltes sont autant de facteurs qui pourraient bien faire de 2010 une nouvelle dangereuse année pour les prix des produits alimentaires dans les pays pauvres.
Le risque souverain
On pourrait assister à une perte de confiance dans la capacité des gouvernements à, in fine, réussir à ramener leurs déficits sous contrôle. Il existe au moins deux raisons à de tels doutes : premièrement (comme l’illustre le graphique suivant), les déficits en temps de guerre connaissent une fin naturel, contrairement à ceux en temps de paix ; deuxièmement, réduire les déficits une fois les guerres terminées est chose aisée. Et comme il est au combien plus difficile de réduire les déficits en temps de paix, les États-Unis restent à l’affut et saisissent chaque opportunité pour se redresser.
Au moins, la crédibilité ne peut être tenue pour acquise. Les spreads sur CDS de certains emprunts d’État se sont fortement élargis récemment, tout particulièrement en Grèce qui est actuellement dans l’œil du cyclone, les grecs n’étant guère préparés à l’austérité. Il appartiendra donc aux marchés de se charger du travail et de contraindre le pays à accepter des mesures rigoureuses. Il pourrait être plus facile politiquement pour le gouvernement actuel de se voir imposer l’austérité de l’extérieur, plutôt que de l’intérieur.
Pour nous, de tous les types de risque, le risque souverain est celui qui pourrait conduire à la fin prématurée du contexte idéal actuel. Tout en pouvant être à l’origine d’une certaine volatilité à l’avenir, il pourrait aussi paradoxalement prolonger le caractère accommodant des politiques monétaires. En définitive, la menace de l’endettement public empêche les investisseurs de jouer aveuglement une reprise économique normale.
Du point de vue des actions, nous nous montrons plutôt enclins à faire plus de paris géographiques afin d’exploiter cette crainte du risque souverain et à privilégier les entreprises internationales diversifiées au détriment des entreprises uniquement présentes sur leur marché national.
Les rumeurs de mort du consommateur américain ont été grandement exagérées
Le consommateur américain est toujours la pièce maîtresse au centre de tous les doutes à l’égard du succès d’une reprise économique durable. Par conséquent, les investisseurs ne vont pas manquer de porter une attention minutieuse aux ventes au détail à cette époque précise de l’année. Plusieurs types d’activités sont extrêmement dépendantes des ventes au quatrième trimestre.
Jusqu’à maintenant, les prophéties négatives ne sont pas toutes devenues réalité. Par exemple, et comme l’illustre le diagramme ci-dessous, les ventes au détail sous-jacentes (hors véhicules, essence et matériaux de construction) sont en hausse pour le troisième mois consécutif.
Les toutes premières indications pouvant être retirées du « Black Friday » sont plutôt encourageantes. Une nouvelle fois, tous les yeux devraient désormais se tourner vers la croissance des salaires, laquelle a également commencé à montrer quelques signes de vie.