par Alexandre Bourgeois, économiste chez Natixis
C’est un fait entendu : de tous les « grands pays », la France est celui qui, durant cette crise, a le mieux résisté. Au classement des bons élèves de l’Union à vingt-sept, notre pays, avec un recul maximal de son PIB de 3,5 %, occupe même une très bonne quatrième position, loin toutefois derrière la Pologne (dont le PIB n’a pas reculé), la Grèce (- 1,7 %) et la Suède (- 2,3 %). A l’arrivée, l’écart de croissance avec la zone euro devrait dépasser les 1,5 point en moyenne cette année, un sommet depuis plus de vingt ans.
Ce serait toutefois un contre-sens de penser que l’économie française va bien. En effet, comme la très grande majorité des économies occidentales, la France a connu en 2009 sa crise la plus grave depuis la Deuxième Guerre Mondiale. L’intensité de la récession a ainsi été presque trois fois supérieure à celle de la grave crise de 1992-93.
Heureusement, la consommation des ménages, principal moteur de l’économie hexagonale depuis dix ans, a bien résisté. De manière surprenante en effet, malgré la hausse du chômage, malgré le ralentissement des salaires, malgré un indice de confiance à son plus bas niveau historique, les Français n’ont pas réduit leurs dépenses de consommation durant cette crise. Deux explications principales peuvent être mentionnées pour expliquer ce phénomène.
La première renvoie au plan de relance public et aux mesures annexes. En effet, 2009 a été l’année du retour de l’Etat dans l’économie. Celui-ci est intervenu directement auprès des ménages au moyen de trois mécanismes : des réductions d’impôts (sur le revenu) ou de charges sociales, des transferts sociaux (en nature ou en espèce) et des subventions directes (prime à la casse pour les automobiles, prêts à taux zéro…). Cette politique très ambitieuse (mais également très coûteuse) a permis de limiter les conséquences du recul de la masse salariale pour la première fois de l’histoire moderne (- 0,1 % en glissement annuel au troisième trimestre). Une fois intégré les transferts sociaux en nature, le revenu disponible des ménages progresse ainsi de 2,6 % sur un an. La seconde explication renvoie au recul des prix à la consommation. En effet, pour la première fois depuis 1957, l’inflation a été négative en France pendant plusieurs mois en 2009. Grâce à cela, le pouvoir d’achat des ménages s’est redressé, progressant de 2,8 % sur les douze derniers mois. A titre de comparaison, lors de la dernière récession (1993), il avait reculé pendant un an. Au total, malgré la frilosité naturelle des ménages dans un contexte de forte crise, frilosité illustrée par la nette remontée de leur taux d’épargne (à 17 % de leur revenu disponible brut, contre 15 % avant la crise), les ménages ont eu l’opportunité en 2009 de faire progresser à la fois leur épargne et leur consommation.
Malheureusement, cette situation extrêmement favorable devrait prendre fin très rapidement. En effet, les marges de manœuvre budgétaires n’étant pas infinies, de nombreuses mesures mises en place en 2009 devraient progressivement s’éteindre en 2010 (réductions d’impôt, exonérations de charges sociales, prime à la casse…). En outre, les entreprises françaises souhaitant améliorer une compétitivité fortement touchée par la crise (net recul de la productivité du travail), la dégradation du marché de l’emploi devrait s’accentuer au cours des prochains mois. Le taux de chômage pourrait ainsi rapidement franchir le seuil des 10 % (contre 9,1 % actuellement).
En conséquence, dans un contexte de franche modération des salaires, la masse salariale distribuée aux ménages ne pourra pas se redresser. Or, dans le même temps, comme on l’observe déjà depuis le mois de novembre, les effets de base défavorables liés à la remontée du prix du pétrole en début d’année 2009 devraient conduire l’inflation à la hausse (0,8 % en moyenne), pénalisant ainsi le pouvoir d’achat des ménages. A moins d’anticiper une franche baisse de leur taux d’épargne (ce que nous ne faisons pas…), il semble difficile de tabler sur une hausse de la consommation en 2010. Pour notre part, nous prévoyons ainsi une baisse des dépenses des ménages de 0,4 % au cours de l’année (+ 0,4 % en moyenne sur 2010, via un effet d’acquis favorable).
Dans ce contexte, avec un investissement productif qui devrait poursuivre son repli, un investissement logement qui ne se redressera pas et un faible renfort du commerce extérieur (dynamisme limité de la demande dans les principaux partenaires commerciaux de la France, euro restant fort, compétitivité structurellement problématique…), la croissance française devrait être réduite en 2010. Pénalisée par un nouveau ralentissement au second semestre, elle devrait ainsi atteindre en moyenne à peine 0,9 %.