Reprise en ordre dispersé

par Philippe d’Arvisenet, chef économiste de BNP Paribas

L’année 2009 restera dans les mémoires comme celle ayant connu la récession la plus profonde et la plus longue depuis la deuxième Guerre Mondiale. Sous l’effet de la conjonction de crises immobilières (Etats-Unis, Royaume-Uni, Espagne, Irlande..), de chutes des exportations (particulièrement en Allemagne, au Japon), d’une baisse des prix d’actifs et plus généralement des conséquences de la détérioration des marchés du travail sur les revenus et la confiance, et d’une baisse des prix d’actifs, l’activité s’est violemment contractée.

Le Royaume-Uni était toujours en récession au troisième trimestre, tout comme l’Espagne, qui devrait encore connaître un léger repli d’activité en 2010.

Le PIB américain a reculé pendant quatre trimestres consécutifs avant de renouer avec une croissance modeste au troisième trimestre 2009, sous l’effet d’un ralentissement du déstockage, d’un rebond de l’immobilier stimulé par la baisse des prix passée et par les incitations fiscales en faveur des primo accédants, et d’une embellie de la consommation, largement imputable aux primes à la casse. Les facteurs temporaires de nature technique ou liés au soutien à l’activité, ont joué un rôle essentiel dans ce rebond, d’où l’inquiétude persistante quant à la solidité de la conjoncture. Au total, le PIB des Etats-Unis aura connu un repli de l’ordre de 2,5% en 2009.

L’activité s’est contractée pendant cinq trimestres et de façon nettement plus violente dans la zone euro (-3,8% en 2009) malgré, là aussi, la mise en oeuvre de politiques très accommodantes. On y note par ailleurs des disparités marquées. L’Allemagne et l’Italie devraient ainsi voir leur PIB perdre près de 5%, alors que l’activité reculerait de plus de 3,5% en Espagne et de près de 2,5% en France.

Le Japon, qui a subi de plein fouet les conséquences de la crise sur ses exportations et sur l’investissement, a renoué avec la déflation. L’activité devrait avoir reculé de près de 5,5% en 2009.

La Chine, après un trou d’air au tournant 2008-2009, a pu, grâce à des mesures budgétaires très agressives et une politique monétaire accommodante à l’extrême (l’encours de crédit affichait une hausse de 34% en milieu d’année), stimuler l’investissement en infrastructures. Les ventes au détail connaissent par ailleurs une très nette accélération. Le dynamisme de la demande interne compense la modération des exportations et la contribution négative du commerce extérieur à l’activité. La croissance est passée de 6,1% au premier trimestre à 8,9% au troisième. Le gouvernement pourra réaliser son objectif de 8% de croissance en 2009. Sa politique n’est cependant pas exempte de dangers : créations de capacités excessives, bulles…

La modération générale des salaires, conjuguée à un rebond cyclique des gains de productivité déjà particulièrement net aux Etats-Unis, exerce une pression baissière sur les coûts unitaires du travail, ce qui conduit à écarter l’idée de pressions inflationnistes du côté des coûts. L’importance des capacités de production inutilisées (l’output gap négatif) qui se maintiendra tout au long de 2010 et même 2011, compte tenu du caractère limité de la croissance attendue, élimine toute pression sur les prix du côté de la demande. Au total, si l’incidence de la hausse des cours du pétrole et la disparition des effets de base liée à la chute passée des cours de l’énergie est en train de ramener l’inflation en territoire positif, les pressions baissières sur l’inflation sous jacente garantissent le maintien d’une inflation très modérée en 2010.

Pour autant, les conséquences de la crise sont loin d’être épuisées, elles vont peser sur la croissance en 2010, empêchant cette dernière de revenir au-dessus du potentiel ou même en ligne avec ce dernier, le PIB perdu dans la crise ne sera pas rattrapé. Il faut, en effet, compter d’abord avec le souci des ménages de réparer leur bilan dans les pays où les ratios de dette sont très élevés et où l’effet de richesse négatif continue à jouer. La détérioration du marché du travail n’est pas terminée, l’emploi est une variable retardée du cycle des affaires, aussi le taux de chômage (au-dessus de 10% aux Etats-Unis et proche de ce niveau dans la zone euro en décembre 2009) n’a pas encore touché son plus haut. Cela pèse sur la formation des revenus et constitue une incitation à l’épargne de précaution.

La récession a, par ailleurs, conduit à une très nette baisse des recettes budgétaires et à la mise en place de programmes de soutien conjoncturel, sans compter les opérations de sauvetage d’institutions financières. Les déficits publics ont explosé, atteignant 10 points de PIB aux Etats-Unis, plus de 13,5 points au Royaume-Uni et 6,5 points dans la zone euro. Les dettes publiques ont fortement gonflé et s’inscrivent sur un sentier insoutenable. L’incidence sur les charges d’intérêt a été peu sensible avec la baisse des taux, mais celle-ci n’est naturellement pas reconductible. La détérioration des finances publiques a conduit les agences de ratings à dégrader ou mettre sous surveillance les notes pour plusieurs pays. Tout ceci a exacerbé les inquiétudes, ce qui s’est traduit par un écartement des spreads sur les dettes souveraines. Tout en s’étant repliés par rapport aux niveaux touchés en décembre, ils atteignaient encore le 7 janvier, 57 points de base pour l’Espagne, 140 pour l’Irlande, 66 pour le Portugal, 226 pour la Grèce.

S’il peut paraître judicieux d’agir avec prudence dans la voie de la consolidation budgétaire dans un contexte conjoncturel encore très fragile, l’affichage de programmes crédibles de redressement des finances publiques est crucial : il faut bien sûr, pour mettre un terme à la dérive actuelle, rétablir des marges de manœuvre budgétaires et éviter que l’incertitude ne favorise plus encore l’épargne privée en réponse à des anticipations de pression fiscale accrue, ce qui ne ferait que freiner la reprise. 

Dans cet environnement conjoncturel et en l’absence de danger inflationniste, les taux directeurs des banques centrales devraient être maintenus à leur bas niveau tout au long de 2010. La priorité sera donnée à l’élimination progressive des mesures non conventionnelles. La BCE a, de ce point de vue, ouvert la voie en indiquant la fin en décembre 2009 de ses interventions à taux fixe à un an et à compter de mars prochain de ses interventions à six mois.

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