Un “downgrading” de la dette japonaise possible

par Sophie Mametz, économiste chez Natixis

Publiée le 7 décembre, la croissance au troisième trimestre s’est finalement inscrite en hausse de +0,3% T/T soit -4,7% en GA. Il s’agit donc d’une très forte révision par rapport à l’estimation préliminaire (i.e. +1,2% T/T). La croissance en 2009 devrait s’inscrire en baisse de 5,7%. Pour 2010, nous prévoyons désormais +1,5%.

La révision du PIB au T3-09 souligne une contribution positive de trois composantes, et non plus quatre comme en première estimation. La consommation privée a contribué pour 0,5 point de % en T/T (contre +0,4 en première estimation) ; le solde extérieur net est resté inchangé par rapport à l’estimation préliminaire, à +0,5 point de pourcentage ; enfin, la contribution des inventaires s’est établi à +0,1 point de pourcentage (contre +0,4 en première estimation). La forte révision résulte des inventaires mais surtout de l’investissement en équipement, dont la contribution est passée de positive (+0,2) à nettement négative (-0,4).

La consommation privée reste soutenue par les plans de relance, notamment au travers de réductions d’impôt, primes à la casse. Les mesures de soutien à l’emploi font aussi partie de la stratégie gouvernementale, permettant au taux de chômage de marquer une pause dans sa progression. En octobre, il a baissé jusqu’à atteindre 5,1%. Nous pensons toutefois que ce mouvement ne sera que de courte durée : les mesures de soutien à l’emploi ne permettront pas d’inverser la tendance ; elles limiteront la progression du chômage (il semblerait que le gouvernement souhaite contenir le chômage en deçà de 6%). Ces différentes mesures de soutien aux consommateurs sont venues renforcer leur confiance : en octobre, l’indice s’est établi à 40,5%, soit un plus haut depuis octobre 2007.

Les exportations ont augmenté en T/T pour le deuxième trimestre consécutif (+0,8 points de pourcentage), en raison notamment de la demande asiatique (notamment chinoise en équipement de transport). Les chiffres du commerce extérieur d’octobre et novembre confirment cette tendance pour le quatrième trimestre (respectivement à +19% et +39,6% en GA).

Si la croissance au T3-09 a été nettement revue à la baisse par rapport à son estimation préliminaire, cela résulte des inventaires, mais surtout de l’investissement en équipement. La contribution de cette composante du PIB est ainsi passée de positive (+0,2 points de pourcentage) à négative (-0,4).

Cette seconde estimation de l’investissement en équipement est concomitant au recul marqué des profits (effets valeur et volume), des capacités d’autofinancement des entreprises en net ralentissement alors que leur demande de crédit a reculé au T3-09 de 1,1% en GA. Publiée le 15 décembre, l’enquête Tankan révèle des perspectives d’activité toujours très nettement dégradées pour l’ensemble des entreprises japonaises, ce qui devrait continuer de peser sur la composante « investissement en équipement » de la croissance au quatrième trimestre

Les caractéristiques de la croissance telles qu’enregistrées au troisième trimestre devraient se répéter au T4-09. Bien que moins marquée, la contribution du commerce extérieur restera positive (attendue à +0,1 point de pourcentage en T/T). Le principal moteur de la croissance viendra de la consommation privée : sa contribution est attendue à +0,6 point de pourcentage en T/T.

En effet, le gouvernement de M. Hatoyama axe avant tout sa politique sur le consommateur japonais. Les plans de relance en attestent, l’orientation donnée au budget 2010 également.

Un nouveau plan de relance a été annoncé le 7 décembre pour l’année fiscale 2009 (i.e. s’achevant au 31 mars 2010) prolongeant notamment les mesures de soutien aux ménages japonais. La consommation privée devrait donc continuer de contribuer positivement à la croissance. A noter que la moitié quasiment du plan de relance (i.e. JPY 3,5 tln) annoncé le 7 décembre est consacrée aux administrations locales, qui souffrent de la baisse des recettes d’impôt. Ce plan englobe donc un transfert de ressources de l’administration centrale aux collectivités locales.

D’un encours total de JPY 7,2 tln (soit 1,5% du PIB), ce plan de relance se décompose en :

  • JPY 0,6 tln pour l’emploi (soit 0,13% du PIB);
  • JPY 0,8 tln pour l’environnement (soit 0,17% du PIB) ;
  • JPY 1,7 tln pour l’économie (i.e. prêts aux PME, mesures de soutien au marché immobilier, soit 0,36% du PIB) ;
  • JPY 0,8 tln pour des mesures d’aide au quotidien des ménages ;
  • JPY 3,5 tln (soit 0,74% du PIB) pour les administrations locales (pour couvrir notamment les pertes liées aux baisses de recettes locales).

Ce budget supplémentaire du 7 décembre est financé par :
– les économies réalisées sur le budget 2009 initialement prévu par le précédent gouvernement à majorité LDP (économies de JPY 2,7 tln, soit 0,57%)) ;
– les réserves « cachées » (i.e. FILP, intérêts perçus par la BoJ sur ses comptes en devise).

Globalement, le budget pour l’année fiscale 2009 devrait désormais s’établir à JPY 105 tln. L’adoption du nouveau plan de relance ne génère pas de besoin supplémentaire de financement. Côté recettes de l’Etat, une augmentation des nouvelles émissions obligataires devraient augmenter de JPY 9 tln, alors que les recettes d’imposition devraient baisser d’autant. La hausse des émissions obligataires n’est donc pas liée à l’adoption du plan de relance du 7 décembre mais à la baisse des recettes. Le ratio de dépendance obligataire devrait ainsi atteindre 42,3% (contre 43,1% selon le budget 2009 initial, validé en décembre 2008).

Au travers de son programme budgétaire pour l’année fiscale 2010, le nouveau gouvernement de M. Hatoyama continue de privilégier les mesures d’aides aux ménages (mais aussi l’environnement), conformément aux idées avancées dans le manifeste du DPJ publié peu avant les élections parlementaires de fin août. Alors que le nouveau gouvernement du DPJ n’est en poste que depuis mi septembre, le processus de discussion et d’approbation budgétaire n’a pas été remis en cause. Le 25 décembre, le gouvernement a ainsi approuvé le budget proposé par le Ministère des Finances. Le calendrier de soumission et d’approbation du budget pour l’année fiscale à venir a été respecté jusque là. A noter que dans la version préliminaire du budget 2010, le Ministère des Finances fait référence au budget initial 2009 (dont l’encours total s’établit à JPY 88,5 tln) qui ne tient pas compte des plans de relance adoptés ensuite en 2009).

Selon le programme budgétaire publié le 25 décembre, le budget 2010 atteindra JPY 92,3 tln. Si l’on se réfère au budget initialement prévu pour l’année fiscale 2009, la progression des dépenses de l’Etat serait donc de JPY 3,8 tln (i.e. +4,2%).

Le budget 2010 fait ressortir deux points essentiels :

  •  les dépenses générales continueront d’augmenter (+4,2%).
  •  les nouvelles émissions obligataires augmenteront de JPY 11 tln (soit 33%). Une volte-face dans la consolidation fiscale du Japon, déjà observée en 2009, s’intensifie.

Les revenus de l’imposition devraient baisser de pratiquement 19% (passant de JPY 46,1 trillions dans le budget initial 2009 à 36,4 en FY10.
Conjointement à une hausse de plus de 15% des autres revenus, les nouvelles émissions de titres devraient progresser de pratiquement JPY 11 trillions, à 44,3 tln de yens. Au 31 mars 2011, la dette publique atteindra ainsi 196% du PIB (contre 184% prévu au 31 mars 2010), selon nos prévisions de croissance pour 2010 à 1,5% en GA, de prix à +0,3% en GA et de déficit public à -10% du PIB.

Un élément reste encore favorable au Japon (selon les dernières données disponibles de 2008): rappelons que le secteur privé est toujours en position de créditeur net, permettant de compenser la position d’emprunteur de l’Etat, sans compter que l’endettement japonais reste détenu à plus de 93% par des japonais.
Dans ces conditions, l’équilibre primaire (i.e. Revenus – Dépenses hors paiement d’intérêt et charge de la dette) ne pourra pas être atteint en 2011. Le gouvernement de M. Hatoyama a bien publié un programme de Nouvelle Stratégie de Croissance, le 30 décembre, mais les objectifs d’équilibre primaires ne seront connus qu’en juin. La démission du Ministre des finances Fuiji, le 6 janvier, amplifie les doutes quant à la discipline fiscale qu’il souhaitait mener. Le nouveau Ministre Naoto Kan aura la lourde tâche de défendre le projet budgétaire FY2010 devant le Parlement à la fin du mois. Un downgrading de la dette japonaise pourrait intervenir prochainement.

Un bilan de l’année 2009

D’un point de vue macroéconomique, le Japon devrait avoir enregistré un recul marqué de la croissance, dans un contexte d’intensification de la crise globale. Au sortir du troisième trimestre, l’acquis de croissance est de -5,7% en glissement annuel : même si le Japon enregistre une croissance de +0,1% T/T au T4-091, la croissance s’établira à -5,7% en 2009 (contre -1,1% en 2008). L’année 2009 marquera certainement l’histoire économique puisque le Japon aura connu une récession inégalée depuis 1930. Elle résulte d’une conjonction d’éléments, tels que la faiblesse persistante de la consommation privée et un effondrement de l’investissement et de la demande étrangère.

La conjoncture internationale aura ainsi effacé les résultats de croissance enregistrés depuis 2003, liés aux efforts d’ajustements structurels réalisés à partir de cette date. Ainsi, de 2003 à 2006, le système bancaire avait ainsi réduit de plus de la moitié l’encours des créances douteuses, restaurant ainsi leur capacité à prêter. Les entreprises japonaises ont pour leur part réduit leur endettement. Ce changement de cap a pu avoir lieu grâce à la mise en place d’une approche peu traditionnelle du fonctionnement des entreprises : plutôt que de maximiser leurs revenus, elles ont adopté une stratégie de minimisation des coûts, se traduisant dans un premier temps par la réduction des effectifs et la baisse des salaires. Cette stratégie a finalement permis aux entreprises japonaises de consolider leurs finances (le taux d’autofinancement atteignait 109,6% en T3-08).

Toutefois, pour l’heure, ces efforts restent vains puisque les banques japonaises ne prêtent toujours pas et que les capacités d’autofinancement se sont considérablement réduites (62,5% au T3-09). Sans compter que les marges de manœuvre de politique économique sont limitées (i.e. une politique de hausse salariale et/ou une politique de change active, voir Special Report n°217, « Japon : Quelles sont désormais les marges de manœuvre de politique économique ? », 22 juillet 2009). Elles sont toutefois inutilisées, les entreprises japonaises restant dans une logique de désendettement, et le Ministère des Finances ayant à lui tout seul, bien peu d’impact sur le marché des changes. Dans le contexte de crise, l’intervention de l’Etat paraissait donc inéluctable, seul le levier budgétaire restait. En 2009, deux plans de relance ont ainsi été adoptés.

Le deuxième plan de relance a toutefois été modifié par le nouveau gouvernement de M. Hatoyama. En effet, le 30 août, les japonais ont opté pour un changement politique : le Parti Démocrate Japonais (PDJ) détient désormais la majorité au Parlement. L’année 2009 se caractérise ainsi par une réelle rupture dans la vie politique japonaise, mettant un terme au « règne » quasi ininterrompu du LDP pendant plus de cinquante ans. Au travers de son programme de politique économique, le PDJ va dans le sens d’un soutien au consommateur : puisque les entreprises ne sont toujours pas décidées à augmenter les salaires, l’Etat s’y substitut. Un des défis auquel sera confronté le PDJ durant les prochaines années sera de réduire les inégalités régionales, tout évitant une explosion de la dette de l’Etat. Les prochains mois seront essentiels pour connaître de façon certaine l’orientation budgétaire souhaitée par le PDJ (et les montants concernés).

En matière de change, le Ministre des Finances M. Fujii, en poste jusqu’au 6 janvier, privilégiait le non interventionnisme, affirmant une continuité de la politique de change par rapport au PLD. Les choses pourraient être un peu différentes avec le nouveau Ministre des Finances, M. Kan, qui a déclaré le lendemain de sa nomination être moins tolérant par rapport à un yen fort et, qu’en cas de besoin, des interventions seront possible. Du 1er janvier au 1er décembre 2009, le yen s’est apprécié de 9,3% contre dollar, étant en cela déconnectée des fondamentaux économiques2.

L’appréciation de la devise nippone contre dollar est venue amplifier les tensions à la baisse sur les prix. En décembre, l’indice des prix à la consommation pour la région de Tokyo s’est inscrit en baisse de -2,2% en GA en décembre). L’année 2009 marque ainsi le retour de la déflation. La BoJ a continué de mener une politique monétaire quantitative (mise en place dès mars 2001) et le déclenchement de la crise en septembre 2008 ne s’est pas traduit par la mise en place de nouveaux outils. La BoJ n’a fait que reprendre ceux qu’elle avait utilisé les années précédentes: le taux directeur a été maintenu à 0,1%; les réserves des banques commerciales à la banque centrale ont à nouveau augmenté; la liste des collatéraux éligibles a été élargie (notamment aux obligations indexées sur l’inflation); les achats mensuels de JGB’s ont été augmentés à 1,76 trillions. La BoJ a toutefois pris des mesures préventives pour limiter les inquiétudes du marché, et s’est dit prête à réaliser d’autres opérations d’open-market si des besoins de liquidité devaient apparaître. Dès janvier, la BoJ a mis en place un programme de rachat de Commercial Papers sécurisés et non sécurisés ; en février, un plan de rachat d’actions détenues par les institutions financières a également été mis en place. Les accords de swap ont été étendus.

Malgré les efforts de la BoJ, Il n’en demeure pas moins que la baisse des prix s’est intensifiée en 2009. A nos yeux, la baisse des salaires reste un problème majeur au Japon.

NOTES

  1. Une première estimation du PIB pour T4-09 sera publiée le 15 février 2010.
  2. A noter que cette appréciation a depuis été effacée, l’USD/JPY se situant autour de 92.

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