par Jesus Castillo et Juan Carlos Rodado, économistes chez Natixis
Aux portes de l’Europe, le Maroc a connu un développement rapide ces dix dernières années. Avec la crise, l’économie marocaine ne s’est pas effondrée malgré certaines faiblesses, recueillant le fruit d’un développement équilibré.
Ainsi, en début d’année les CDS 5 ans marocains se négociaient en moyenne 10 à 20 pb au-dessus des CDS italiens, espagnols ou portugais, ce que personne n’aurait cru possible il y a à peine six mois. Après la crise nous pensons que le Maroc confirmera sa solidité avec un potentiel de croissance élevé en raison des mêmes facteurs qui lui ont permis de résister :
- une demande intérieure dynamique ;
- la poursuite des investissements publics ;
- des finances publiques saines ;
- un système financier peu exposé aux risques internationaux ;
- une position extérieure équilibrée.
Toutefois, le pays présente encore des faiblesses :
- une structure des exportations insuffisamment diversifiée en termes de produits (concurrence mondiale forte sur le textile) et de destinations (dépendance à l’Espagne, en crise) ;
- une compétitivité contrainte par le régime de change ;
- une dépendance importante de la croissance aux conditions climatiques (sécheresse) en raison du poids important de l’agriculture et de la pêche dans le PIB.
Au final, le Maroc se présente comme un pays relativement stable sur le plan politique, économique et financier. Le pays offre ainsi des perspectives de développement intéressantes aux portes de l’Europe au moment où la recherche de relais de croissance est plus que jamais nécessaire.
La croissance a résisté à la crise
L’économie marocaine, dont le poids du secteur primaire (agriculture et pêche, extraction minière) représente environ 19% de la valeur ajoutée, a assez bien résisté à la crise. Au premier semestre, au moment où la crise financière a produit ses effets les plus forts :
- le PIB hors agriculture (c'est-à-dire hors éléments volatils liés au niveau des récoltes) a progressé de 1% en GA ;
- dans sa totalité le PIB a progressé de 4,5% en GA.
Au cours du troisième trimestre 2009, la croissance hors activités agricoles a rebondi à 3,1% en GA contre 1,4% au T2 et 0,6% au T1.
La résistance du Maroc s’explique par :
- la dynamique de la demande intérieure, principalement la consommation et l’investissement. Au cours des quinze dernières années se sont ces mêmes moteurs qui ont contribué à la croissance du PIB. Depuis le début de la décennie, le taux d’investissement a ainsi progressé de près de 10 points à environ 33% en 2008. C’est l’investissement publics en infrastructures (route, voie ferrées, installation portuaires et hydrauliques, logements) qui explique une bonne part de cette évolution (132 mds de dirhams en 2009 contre 106,9 en 2008).
- une exposition limitée au risque international.
Malgré un processus d’ouverture qui s’est nettement accéléré depuis le début des années 2000 (entre 2003 et 2008, le taux d’ouverture a augmenté de 15 points), le taux d’ouverture du Maroc reste en dessous de celui d’autres pays émergents comparables.
Le commerce extérieur présente des fragilités
La contribution du commerce extérieur à la croissance se révèle assez volatile.
D’une part le Maroc est un pays structurellement importateur :
- augmentation rapide de la demande intérieure avec l’accroissement du niveau de vie ;
- une industrie manufacturière insuffisamment diversifiée ;
- une forte dépendance énergétique face à des besoins croissants.
D’autre part, les exportations marocaines souffrent de différentes faiblesses :
- un manque de diversification géographique qui rend les exportations très sensibles à la conjoncture des partenaires commerciaux. Les deux anciennes puissances coloniales sont restées les principales destinations des exportations. L’Espagne est devenu le principal client (24% des exportations) avec la France (environ 20%). Or, la première est en crise profonde ;
- une diversification insuffisante en termes de produits sur des marchés fortement concurrentiels (textile, agroalimentaire, matériel électrique). On voit ainsi que sur le principal produit d’exportation (vêtements de confection) le Maroc subit depuis une dizaine d’années la concurrence d’autres pays émergents tels que la Turquie, l’Inde ou la Chine ;
- la dépendance des récoltes aux conditions climatiques (sécheresse) affecte également les exportations agroalimentaires ;
- le régime d’ancrage du taux de change à un panier de devises (principalement l’euro1) qui pèse rapidement sur sa compétitivité quand l’euro s’apprécie. Le Maroc exporte principalement des biens de consommation pour lesquels l’élasticité prix du commerce extérieur est forte. L’analyse économétrique montre une élasticité des exportations en volume au commerce mondial de 0,61 et de -0.64 au taux de change réel (une appréciation réelle de 1% réduit les exportations de 0,64%). Le peg du dirham à l’euro peut ainsi constituer une contrainte. Selon la Bank-al-Maghrib, la compétitivité coût du Maroc s’est affaiblie comparativement à plusieurs pays émergents en raison d’un niveau de productivité plus faible et d’une accélération des coûts unitaires du travail entre 2001 et 2008.
Les facteurs à l’origine de la performance du Maroc
Les principaux facteurs qui ont permis au Maroc de traverser la crise sans entrée en récession devraient se retrouver en 2010 :
- le dynamisme de la demande intérieure ;
- la stabilité du système financier ;
- les politiques monétaire et budgétaire accommodantes
1 – une demande intérieure dynamique grâce à l’investissement
L’investissement devrait rester l’un des principaux moteurs de la croissance en 2010 :
- les besoins en infrastructures publiques sont loin d’être couverts et les autorités disposent des marges de manœuvre pour les financer (voir ci-après sur le budget de l’Etat et encadré 1) ;
- l’investissement productif après avoir marqué le pas devrait regagner en dynamisme comme le suggère la reprise des importations dont 22% sont constitués de biens d’équipement et le redémarrage de la production industrielle. Néanmoins, le rebond resterait fragile en raison des difficultés attendues en 2010 chez les principaux clients du Maroc (Espagne et France) ;
- l’investissement des ménages (en immobilier) devrait rester soutenu. Les besoins en logements restent structurellement très importants dans un pays jeune où 48% de la population est âgée de moins de 25 ans et où le taux d’urbanisation (55% en 2004) progresse d’environ 0,5 point par an ;
- dans le cadre de la Politique Européenne de Voisinage, le Maroc devrait recevoir 654 mlns € entre 2007 et 2010 de la délégation de la Commission européenne à Rabat (environ 0,4 point de PIB par an) ;
- les conditions de financement de l’économie demeurent favorables grâce à une politique monétaire accommodante et au maintien d’un flux de crédit élevé. L’objectif premier de la banque centrale2 est le maintien de la stabilité des prix. Malgré sa volatilité, l’inflation est demeurée stable à 2,1% en moyenne depuis 2003. Les autorités monétaires ont ainsi maintenu le taux directeur à 3,25% pratiquement sans interruption depuis mi 2002.
2 – le système financier est peu exposé au risque international
Le système financier est resté relativement protégé de la crise du fait de sa faible exposition internationale :
- les banques n’ont pas connu les problèmes de refinancement de leurs homologues occidentaux du fait de la part importante (75%) des dépôts de la clientèle dans leurs ressources. Elles ont été beaucoup plus prudentes que dans d’autres pays émergents, notamment en Europe de l’est. En effet, les dépôts représentent une source de financement stable et peu coûteuse pour les banques ;
- l’évolution du crédit a été modérée lors du dernier cycle d’expansion économique. Le crédit au secteur privé a progressé d’environ 10% en GA en moyenne entre 2002 et 2008. Son essoufflement a été progressif et limité contrairement au contrecoup enregistré dans de nombreux pays ;
- l’activité centrée principalement sur les métiers traditionnels de la banque, à savoir l’intermédiation et le crédit au marché domestique, les a protégées des dérives de la finance internationale. Le secteur bancaire se compose principalement de banques privées à capital majoritairement marocain (49%), de banques privées à capital majoritairement étranger (22%) et de banques publiques (29%) ;
- malgré une légère augmentation depuis plusieurs mois, les taux de défaut ont diminué en tendance de 18,3% en 2003 à 5,4% en octobre 2009 ;
- la crise n’a pas remis en cause la soutenabilité du peg du taux de change. Cette performance est en lien avec les performances macroéconomiques. Le rééquilibrage des finances publiques est conséquent et le financement du déficit courant est facilité par les recettes touristiques et les envois de fonds des Marocains résidents à l’étranger. De plus, la stabilité financière du pays est assurée par un niveau de réserves de change confortable et qui couvre largement les engagements extérieurs du pays. Fin juin 2009 le déficit courant de 14,8 mds de dirhams dû au déficit commercial (33,8 mds) était principalement financé par les transferts courants (13,5 mds de dirhams), et l’excédent du compte de capital. Contrairement à de nombreux pays en Europe de l’Est, le déséquilibre en devises du secteur privé est faible, voire inexistant. Au final, alors que le dirham s’apprécie en tendance depuis 2002, la devise ne semble donc pas désalignée par rapport aux fondamentaux de l’économie.
3 – Des marges de manœuvre en termes de politique budgétaire
Le Maroc est entré dans la récession mondiale avec des finances publiques relativement saines. En 2008, le solde budgétaire était excédentaire de 0,4 point de PIB et la dette publique à un plus bas de 47,3%. Cette situation est le fruit de plusieurs années d’une politique budgétaire rigoureuse qui a permis au pays de diminuer sa dette de 40 points de PIB entre 1993 et 2008.
En 2009, les autorités marocaines ont ainsi été en mesure de dégager des fonds pour soutenir leur économie (soutien du pouvoir d’achat et renforcement de la dynamique d’investissement), et ce sans remettre en cause à long terme la soutenabilité de leurs finances publiques. En effet, on devrait constater en 2009 et 2010 des déficits budgétaires de l’ordre de 3% à 4% du PIB. Mais, d’une part la dette publique ne devrait pas exploser. Elle plafonnerait à environ 50% du PIB en 2009 et 2010. D’autre part, un retour du solde budgétaire vers un niveau inférieur à -3% du PIB est envisageable dès 2011.
Enfin, comparé au pays de la zone euro, le Maroc se trouve dans une bien meilleure situation. Le Maroc pourrait satisfaire les critères du Pacte de Stabilité et de Croissance dès 2011, ce qui sera loin d’être le cas pour nombre de pays de la zone euro.
Le fruit de cette gestion prudente des finances publiques s’est traduit par :
- une amélioration de la notation du Maroc par les principales agences de notation. Le Maroc se situe désormais proche de pays émergents comparables. Sa note demeure néanmoins un cran en dessous du niveau « investment grade » notamment pour la dette libellée en devises étrangères ;
- une réduction du coût de protection du risque. Le niveau des CDS s’est sensiblement réduit. Ceux-ci se maintiennent à des niveaux inférieurs à ceux de pays comparables et pourtant mieux notés et convergent vers les niveaux des périphériques de la zone euro ;
- l’amélioration relative du spread de l’obligation 7 ans en euros contre Bund, notamment vis-à-vis de celui des obligations grecques de même maturité.
Synthèse : Un pays en essor à suivre de près malgré des faiblesses structurelles
Le Maroc dispose de nombreux atouts pour faire face à l’avenir :
- une demande interne dynamique ;
- la poursuite des investissements publics ;
- des finances publiques relativement saines ;
- un potentiel de croissance élevé ;
- une stabilité politique ;
- un système financier sain ;
- une position extérieure équilibrée ;
- les aides de l’Union européenne pour son développement.
Il doit néanmoins poursuivre la réforme de son économie afin de corriger certaines faiblesses structurelles séculaires :
- le poids important du secteur primaire dans le PIB (agriculture, pêche, extraction minière) qui rend la croissance dépendante des conditions climatiques ;
- le manque de diversification des produits d’exportation dans des secteurs fortement concurrentiels ;
- le manque de diversification géographique des exportations ;
- le régime de taux de change ancré sur un panier de devises qui pèse sur la compétitivité en raison de la hausse des coûts unitaires du travail plus rapide que la productivité.
NOTES
- Le dirham marocain est ancré sur un panier de devises composé à 83,08% d’euro, 15,67% de dollar US, 0,74% de franc Suisse, 0,29% de yen et 0,22% de livre sterling.
- La nouvelle loi bancaire, entrée en vigueur en mars 2006, a consacré l’autonomie de la Banque Centrale au travers de nouveaux statuts.
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