par Michel Martinez, économiste chez Amundi Asset Management
Jeudi 11 février, après la réunion des chefs d’État de l’Union européenne, M. Van Rompuy, président du Conseil européen, a enfin délivré le message que les marchés financiers attendaient : « Les États membres de la zone euro prendront des mesures coordonnées et résolues si nécessaire pour sauvegarder la stabilité financière de la zone euro dans son ensemble ».
Autrement dit, si un pays (la Grèce en l’occurrence) se trouvait en difficulté pour se refinancer sur les marchés, une certaine forme de solidarité intra-zone s’exercerait. Cette déclaration, qui ne dit rien sur les dispositifs qui seraient mis en œuvre, devrait normalement apaiser les tensions observées sur les marchés obligataires souverains de la zone euro depuis plusieurs semaines. Mais elle ne règle pas la question de la cohérence de la politique budgétaire en zone euro.
Quand la cigale pénalise la fourmi
Après avoir déclaré que « les pays en difficultés devaient trouver seuls les moyens budgétaires appropriés » (Mme Merkel), que la « Grèce avait toute sa confiance pour prendre les décisions nécessaires » (M. Trichet), les autorités européennes, traditionnellement réticentes à toute forme de solidarité budgétaire, ont enfin compris qu’elles ne pouvaient pas laisser seul à son sort un pays de la zone euro. Les principaux responsables ont en effet pris conscience qu’un défaut d’un pays de la zone pourrait avoir un impact aussi important sur les marchés financiers que la faillite de Lehman. En particulier, il risquerait de faire contagion sur d’autres pays présentant une situation financière dégradée, comme l’Italie et ceux qu’on dénomme de façon insultante les PIGS (Portugal, Irlande, Grèce, Espagne). Il pénaliserait aussi l’ensemble de la zone y compris les pays les plus solides : la crédibilité de la BCE serait sérieusement érodée, l’euro serait affaibli (ce qui serait pour l’heure positif, mais pénalisant à moyen terme), les autres États membres auraient à payer une prime de risque supplémentaire et l’ensemble du système bancaire européen serait à nouveau fragilisé.
Un prêt relais est la solution la plus crédible
La crise actuelle révèle à nouveau que les institutions européennes ne sont pas adaptées à ce type de situation. Le Traité de Maastricht stipule que les États de l’Union ne sont pas responsables des dettes et engagements des autres États européens (art. 103). Il prévoit toutefois des mesures de sauvetage en cas de circonstances exceptionnelles « échappant à son contrôle » (art. 100). Il apparaît difficile d’évoquer ce cas de figure lorsqu’un pays a insuffisamment maîtrisé ses finances publiques. La BCE se trouve elle aussi démunie. Le Traité de Maastricht interdit à la BCE d’accorder des prêts à des États ou d’acheter des titres d’État sur le marché primaire. La BCE peut toutefois acheter sur le marché secondaire les titres qu’elle accepte en collatéral, mais elle ne s’est jamais livrée à de telles opérations et ce serait vraiment un dernier recours.
Pour éviter qu’un pays connaisse une crise de liquidité, plusieurs modalités de financement ont été évoquées, comme l’émission d’une obligation de l’Union européenne, la mobilisation des fonds structurels ou l’intervention de la Banque européenne d’investissement (BEI). Ces solutions sont peu probables, en particulier parce que des pays non-membres de la zone euro comme le Royaume-Uni ou la Suède considèrent que ce problème doit être traité exclusivement au sein de la zone euro.
Aussi, l’hypothèse la plus probable est qu’un groupe de pays de la zone euro (Allemagne, France, Pays-Bas…) fournissent un prêt relais permettant à la Grèce de traverser la tempête. Pour faire accepter ce type de prêt par leurs parlements nationaux, ces pays exigeront vraisemblablement une maturité courte (6 ou 12 mois) et une rémunération attractive, de façon à faire valoir que leurs contribuables gagnent à se montrer solidaires.
Des conditions strictes pour éviter l’aléa moral
Les autorités de la zone euro mettront toutefois des conditions très strictes à un tel secours, en particulier que la Grèce (ou tout autre pays) réalise pleinement son programme d’ajustement. Il s’agit en effet d’éviter de récompenser l’aléa moral : sans contreparties strictes, un pays pourrait être tenté de laisser aller ses finances publiques considérant que d’autres pays viendraient de toute façon à son secours. On peut bien sûr envisager que le pays, tirant les leçons du passé, parvienne à s’autoréguler. Mais la chose n’est pas aisée et deux tendances se dessinent aujourd’hui. D’un côté, on trouve les partisans d’une intervention du FMI, qui dispose de l’expérience et de la crédibilité en matière d’ajustement structurel. Une telle intervention (qui a la préférence des principaux représentants de la CDU/CSU et du FDP en Allemagne) aurait l’avantage de ne pas donner l’impression que c’est l’Allemagne (ou un groupe de pays) qui dicte l’austérité budgétaire. En 1994, quand le Mexique fut secouru, le président Clinton avait envisagé un temps d’engager seulement les États-Unis, avant de se rendre compte qu’il était préférable que ce soit le FMI qui pose ses conditions.
D’un autre côté, Mme Merkel, M. Sarkozy et M. Trichet ont laissé entendre qu’une intervention du FMI serait un aveu de faiblesse inacceptable pour la zone euro.
La crise nous rappelle clairement que, même dans une union monétaire, aucun laxisme budgétaire n’est permis, le marché rappelant les États à la discipline. Révisé en 2005, le Pacte de Stabilité et de Croissance montre une nouvelle fois ses limites. Qu’on le veuille ou non, pour être crédible, une zone monétaire doit aussi se doter d’une politique budgétaire intégrée, capable d’effectuer des transferts du niveau central (la zone euro) vers les échelons inférieurs (les pays). Le défi est de taille : c’est la cadre institutionnel de la politique économique de la zone euro qu’il faut réhabiliter. En attendant, la prudence est de mise, les maillons faibles resteront les maillons faibles et la volatilité des prix des emprunts d’États de la zone euro restera élevée.