par Alexandre Bourgeois, économiste chez Natixis
On définit habituellement la croissance potentielle comme la croissance du PIB compatible avec une absence de tension sur le marché des biens et du travail, ce qui conditionne alors la stabilité de l’inflation. On mesure ensuite l’output gap (écart au potentiel) comme la différence entre le PIB effectif et le PIB potentiel. Cet écart permet de positionner l’économie dans le cycle et donne en conséquence aux décideurs économiques une information essentielle concernant le caractère accommodant ou restrictif des politiques à mettre en place. Etant signe de probables tensions inflationnistes (désinflationnistes), un output gap positif (respectivement négatif) implique habituellement un durcissement (assouplissement) de la politique monétaire.
L’analyse de la croissance potentielle adopte une optique clairement structurelle. Les fondamentaux de cette dernière sont en effet le facteur travail (plus spécifiquement le nombre d’heures travaillées dans l’économie qui dépend de la démographie et des caractéristiques du marché du travail), le stock de capital (à coefficient de capital constant1, ce dernier croît au même rythme que la production) et la productivité totale des facteurs2 (progrès technique). Il existe deux types de méthode pour l’estimer : une méthode statistique (à base de filtrage statistique, par exemple) ou une méthode économique reposant sur l’estimation d’une fonction de production de type Cobb Douglas.
Dans tous les cas, il faut bien comprendre que la croissance potentielle est une variable inobservable3 et qu’en particulier les estimations pour les dernières données de l’échantillon (les plus utiles pour la politique économique…) sont bien souvent les plus fragiles (effet de bord). Pour preuve, les dernières estimations pour la croissance potentielle en zone euro et en France par les principaux organismes internationaux (FMI, CE, OCDE…) donnent pour l’année 2008 une croissance potentielle comprise entre 1,3 % et 1,9 % pour la première et 1,3 % et 2,5 % pour la seconde4 (croissance effective de respectivement 0,5 % et 0,3 %).
Traditionnellement, les estimations de la croissance potentielle (une fois qu’on a choisi une méthode et qu’on s’y tient) varient peu d’une année sur l’autre. Pourtant, le choc historique subi par les économies occidentales lors de cette crise pose la question de l’impact de cette dernière sur le potentiel de croissance des économies. Il semble alors nécessaire d’identifier les canaux par lesquels la crise aurait pu réduire le PIB potentiel. A première vue, la contribution du facteur travail dépendant principalement du facteur démographique, il semble difficile d’identifier un impact de long terme sur le PIB potentiel. Ce serait toutefois oublier le phénomène d’hystérèse, bien documenté en économie du travail. En effet, des pertes d’emploi massives lors d’une crise5 conduisent traditionnellement à une diminution durable de l’employabilité d’une partie de la population active. Ensuite, le stock de capital peut être réduit par la crise via deux mécanismes : d’une part les faillites d’entreprises (qui ont progressé de 3,9 % en France en 2009 en moyenne, après déjà + 19,6 % en 2008), d’autre part la chute de l’investissement productif des entreprises (- 7,7 % en moyenne en 2009) qui conduit à ne pas compenser l’obsolescence de certains équipements. Enfin la productivité totale des facteurs peut être réduite par la chute des investissements qui concerne bien souvent en premier lieu les dépenses de R&D en période de crise.
Bref, au total, on voit bien que les effets de cette crise sur la croissance potentielle des économies européennes devraient être durables. La croissance effective devrait en conséquence être plus faible. Et ce d’autant plus qu’au cours des dix années précédant la crise, la demande en zone euro a été « artificiellement » soutenue par une hausse importante des taux d’endettement du secteur privé (+ 15 points de PIB pour les ménages et + 23 points pour les entreprises). Aujourd’hui, il semble bien qu’à l’inverse les agents économiques réduisent leur endettement, ce qui, bien entendu, limite leur capacité de dépenses. En conséquence, d’un niveau proche de 2 % tant en zone euro qu’en France pendant la décennie précédant la crise, la croissance potentielle en Europe ne devrait plus atteindre désormais qu’environ 1 %6
NOTES
- Capital par unité de production.
- Moteur principal de la croissance potentielle dans les pays développés (le fameux « résidu de Solow »).
- On ne peut que l’estimer et non la mesurer.
- Cf. Lemoine M., Pavot J. (2009), « Les effets de la crise sur la croissance à long terme », Questions actuelles n°2, Banque de France.
- Au sens d’Eurostat, le taux de chômage a progressé en deux ans de 3 points en zone euro et de 2,5 points en France.
- Cf. Artus P. (2008), « Croissance potentielle et croissance effective », Flash n°524, Natixis.