Royaume-Uni : une reprise en trompe l’œil

par Nathalie Dezeure, économiste chez Natixis

La deuxième estimation du PIB du T4 a donné lieu à une révision haussière de la croissance (+0,2 point à +0,3% t/t), Elle a également présenté une première estimation des comptes nationaux qui a mis en évidence :

  • une reprise plus soutenue de la consommation (+0,4% t/t après +0,1% au T3 09)
  • un ralentissement du déstockage impliquant une contribution positive à la croissance (+0,5 point de PIB)
  • une contribution des exportations nettes qui est restée négative (-0,2 point de PIB).
  • une rechute de l’investissement (-3,1% t/t après +1,6%), entrainée par la baisse de l’investissement des entreprises (-5,8% après -1,8 % au T3).

 

Par ailleurs, les données du T3 ont été révisées à la baisse (- 0,3% vs -0,2%) de sorte que la baisse du PIB atteint 5% en 2009.
Ces évolutions incitent à la plus grande prudence. En effet, la croissance est en grande partie venue des stocks : si le PIB a augmenté de 0,3% T/T, hors stocks il s’est replié de 0,2% T/T, enregistrant ainsi une rechute alors qu’il s’était stabilisé au T3.
Le nouvel effondrement de l’investissement des entreprises est d’autant plus préoccupant qu’il traduit, pour la plupart, l’absence de perspectives de demande et qu’il est nettement plus marqué dans le secteur privé que dans le secteur public (-8,4% dans l’industrie manufacturière privée, -5,7% dans l’industrie non-manufacturière privée et -2,3% pour les entreprises publiques non-manufacturières). Par ailleurs, certaines entreprises annoncent qu’elles devraient différer leurs dépenses (y compris de fonctionnement) après les élections générales de mai-juin prochains afin de bénéficier d’éventuels avantages fiscaux. Les perspectives d’investissement restent donc toujours négatives, l’enquête de la CBI suggérant une baisse marquée début 2010.

Selon l’enquête menée par la British Chambers of Commerce, les entreprises annonçant être sorties de la récession sont peu nombreuses (25%) alors qu’elles pensent en très grande majorité (75,2%) que le PIB devrait à nouveau reculer dans les trimestres à venir. Un tel scénario est très probable pour 20,1% d’entre elles, probable pour 55,1%.

Plusieurs publications statistiques ont en effet renforcé la probabilité d’une baisse du PIB début 2010. D’une part, la reprise du marché immobilier se tasse. Le nombre de crédits hypothécaires accordés a chuté en janvier, passant de 58,2K à 48,2K, un plancher depuis mai dernier. Dans le même temps, les ventes de logement ont baissé de 33%, après un pic à 100K en décembre. En conséquence, après neuf mois de hausse ininterrompue, l’indice des prix Nationwide s’est replié (-1% m/m en février). Ces évolutions confirment notre scénario de ralentissement de la demande, en raison de la baisse des aides publiques (fin de l’exemption des droits de timbre pour les maisons de moins de 175000£ au 31 décembre 2009, fonds dédiés au programme d’aide aux primo-accédants – HomeBuy Direct – moins importants) et du désendettement des ménages.

D’autre part, les ventes au détail ont enregistré une forte baisse en janvier (-1,8% MM) en raison notamment de l’effondrement des ventes de biens d’équipement des ménages (-13,4% M/M, un record depuis 22 ans). Cette chute s’explique vraisemblablement par la hausse de la TVA appliquée au 1er janvier mais également par des conditions climatiques particulièrement défavorables (ce qui provoque des fluctuations irrégulières qui ne peuvent pas être intégrées dans le processus d’ajustement saisonnier). Avec cette baisse en janvier, les ventes au détail enregistrent un acquis de croissance fortement négatif pour le T1 (-2,1%) ce qui devrait se traduire par un nouvel affaiblissement des dépenses des ménages au sens des comptes nationaux.

Enfin, après avoir diminué au cours des deux mois précédents, le nombre de demandeurs d’allocations chômage a augmenté en janvier (+23,5K). Cette évolution suggère que la stabilisation du taux de chômage (à 7,8%) au second semestre 2009 a fait long feu.

D’un côté, les entreprises ont sans doute utilisé l’essentiel des marges de manœuvre en termes d’ajustement du nombre d’heures travaillées (-2,7% en 2009 vs -1,5% pour l’emploi) – temps partiel, emploi temporaire, chômage partiel – ce qui s’est traduit par une forte hausse du taux de sous-emploi en 2009 (de 7,7% à 9,9%) et des progressions records des emplois temporaires ou à temps partiel subis (respectivement +27,4% et +29,3%). La volonté de corriger le déficit de productivité qui s’est creusé avec la crise devrait amener les entreprises à ajuster les effectifs dans les trimestres à venir. Après avoir baissé de 1,5% en 2009, l’emploi devrait encore reculer de 1% en 2010, avant une timide reprise en 2011 (+0,4%).

De l’autre, la baisse du taux de participation observée depuis début 2009 (-0,7 point à 78,7%), due à la hausse du nombre de personnes découragées et des étudiants ayant retardés leur entrée sur le marché du travail, devrait être à l’avenir moins prononcée. Selon nos estimations, si le nombre d’inactifs était resté inchangé, le taux de chômage aurait atteint 8,5% fin 2009 (contre 7,8% observé). Sous l’hypothèse d’un taux de participation quasi-constant, le taux de chômage devrait atteindre 9,1% fin 2010 et 9,4% fin 2011.

Les derniers chiffres ont également confirmé le ralentissement des salaires (+1,6% en GA 3M/3M pour le salaire bonus compris, 1,4% hors bonus, un nouveau plancher). Les perspectives ne sont pas mieux orientées.

Selon l’enquête annuelle de la BoE, les hausses de salaire accordées dans le cadre des accords salariaux devrait rester très modestes. Les entreprises interrogées annoncent en effet un gel des salaires pour plus de 30% des employés et une hausse limitée (entre 1% et 2 %) pour plus de la moitié des effectifs, des anticipations encore moins généreuses qu’en 2009.

En résumé, les fondamentaux ne plaident pas pour une progression de la consommation : le taux de chômage devrait encore sensiblement augmenter dans les trimestres à venir et la hausse des revenus salariaux restera très limitée.

Afin d’estimer l’évolution de la consommation des ménages, nous utilisons un modèle à correction d’erreur.

Les donnés sont trimestrielles et couvrent la période allant du T1 1997 au T3 2009. A long terme nous incluons le revenu disponible brut (rdb), l’indice des prix à la consommation (cpi), l’indice des prix immobilier (pimmo) comme proxy de la richesse immobilière et le cours du FTSE (ftse) comme proxy de la richesse financière. Toutes les variables sont corrigées des variations saisonnières.

Les variables ont le signe attendu et sont significatives au seuil de 1%. Les résidus sont stationnaires.

A court terme, les variations de la consommation dépendent des évolutions de l’emploi (les salaires sont rigides à court terme), des prix à consommation et de la richesse immobilière et financière. Les deux dernières ne sont pas significatives. Il nous reste l’indice des prix à la consommation. Par ailleurs, nous choisissons d’intégrer la variation du taux de chômage (txch). Enfin nous ajoutons le résidu de long terme comme variable de rappel dans notre équation de court terme.

Le modèle est significatif au seuil de 5%. Tous les coefficients sont significatifs au seuil de 5% et les résidus sont stationnaires.

Le modèle a tendance à surestimer l’évolution de la consommation au choc de RDB. Néanmoins, il indique que la consommation devrait encore baisser en 2010. La reprise devrait véritablement s’engager fin 2011, mais elle restera très modérée. Ainsi après une baisse de 3,1% en 2009, les dépenses des ménages devraient encore se replier de 0,2% en 2010. Leur progression serait de l’ordre de 1% en 2011, un rythme nettement inférieur à celui observé entre 2000 et 2007 (3,1% en moyenne).

La BoE a ouvert la porte à une augmentation des achats d’actifs

Depuis le 5 novembre 2009 (date à laquelle une hausse de 25 Mds £ de l’APF avait été annoncée), la BoE n’a pas modifié sa politique monétaire. Toutefois, les informations distillées au cours des dernières semaines par la BoE ont révélé un changement notable s’agissant de l’évolution de la politique monétaire. La mise à jour des projections de la BoE a mis en évidence le risque baissier qui pèse sur la croissance. La publication de l’Inflation Report de février a en effet donné lieu à une baisse des projections de croissance – scénario médian à taux de base inchangé – pour 2010 (de 1,7% à 1,4%) et 2011 (de 3,9% à 3,6%).

De même, de façon plus surprenante, la trajectoire des prix a été revue en baisse, en dépit de la forte hausse du début 2010. Ainsi, selon la BoE, l’inflation devrait retomber sous la cible (2%) au T4 2010 et ce jusque fin 2011 en raison de l’importance des capacités de production libres.

Les implications de ces changements de scénario en termes d’évolution du taux de base laissent peu de doute.

Conformément à notre scénario le taux de base devrait être maintenu à 0,5% pendant une période étendue (première hausse au plus tôt au T2 2011).

Concernant les achats d’actifs, la BoE a laissé entrevoir à plusieurs reprises la possibilité d’une hausse. Dans le communiqué publié à l’issue de CPM de février, elle a indiqué qu’une augmentation du programme d’achat d’actifs pourrait être décidée si les perspectives le justifient. En marge du CPM, le gouverneur de la BoE est allé un peu plus loin en indiquant qu’il était trop tôt pour envisager la fin du programme d’achat.

De notre point de vue, les conditions d’une hausse des achats d’actifs sont déjà réunies. Depuis l’Inflation Report de février, le risque d’une baisse du PIB début 2010 a augmenté et la résurgence des craintes relatives à l’évolution des finances publiques britanniques a provoqué une tension des taux Gilt 10 ans et une dépréciation de la Livre.

Pour autant, le CPM des 3 et 4 mars s’est soldé par un nouveau statu quo.

Alors que les effets de l’assouplissement quantitatif restent encore largement incertains, cette décision peut se justifier. Il est également probable que la BoE se réserve des marges de manœuvre afin d’intervenir dans les prochains mois alors que le contexte politique pourrait se traduire par une forte tension sur le marché de la dette britannique.

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