par Edgardo Torija-Zan, économiste chez Natixis
En dépit d’un ralentissement qui lui a fait perdre environ trois points de croissance dans le sillage de la crise internationale, l’économie indienne a continué d’afficher un dynamisme remarquable en 2009, avec une progression moyenne du PIB de 6,5%. Les moteurs de croissance restent bien orientés, l’industrie et les services bénéficient de la reprise du commerce mondial et d’une demande domestique solide. La croissance économique devrait s’accélérer en 2010. Toutefois, le bon dynamisme de l’industrie et du secteur tertiaire n’a pas été accompagné par celui de l’agriculture, dont les performances en fin d’année ont pâti de la faible mousson de l’été 2009.
La mauvaise récolte de l’automne a été à la base d’une nouvelle phase d’accélération de l’inflation, qui s’établit à 15% en février 2010. Elle n’est pourtant pas la seule cause de l’envolée des prix. La faiblesse relative de l’épargne dans le pays implique une moindre accumulation de capital alors que le taux d’expansion de la demande privée et publique est élevé, entraînant assez régulièrement des tensions sur les capacités de production et des tensions inflationnistes.
Le budget 2010/11, en vigueur depuis le 1er avril 2010 montre les efforts du gouvernement central à redresser ses comptes. Le déficit budgétaire prévu pour 2010-11 se situe à hauteur de 5,5% du PIB, contre 6,9% pour l'année fiscale 2009/10. Alors que le financement du déficit public est aisément financé par les banques domestiques, le poids de la dette publique (70% du PIB) reste un facteur d’inquiétude. Avec des besoins de financement public en diminution, la politique monétaire pourrait avoir des marges additionnelles pour intensifier le retrait de sa politique accommodante (mise en place dans le sillage de la crise) sans pénaliser excessivement le coût du financement du gouvernement sur les marchés domestiques. Une phase de resserrement est déjà entamée.
Récemment, la RBI (Banque Centrale) a augmenté le taux de réserves obligatoires de 5% à 6% et a relevé le taux d’intérêt des opérations d’open-market de 50 points de base en deux temps. Alors que la liquidité bancaire reste abondante, que la croissance du crédit au secteur privé s’accélère et que la croissance rebondit, de nouvelles hausses des taux d’intérêt de politique monétaire devraient intervenir prochainement. Mais le resserrement ne devrait pas être brusque. La RBI devra veiller à assurer de bonnes conditions pour le financement du déficit et à éviter que la hausse de taux attire des capitaux spéculatifs. Contrainte de poursuivre plusieurs objectifs avec peu d’instruments, la Banque centrale ne pourra assurer complètement la stabilité des prix.
La tendance à la détérioration de la balance commerciale – dont le déficit atteint 10% du PIB – devrait continuer en 2010, en particulier si le pétrole venait à se renchérir. Ce déficit est plus que compensé par les revenus des exportations de services, les transferts des émigrés (la diaspora indienne compte plus de 20 millions d’individus) et les entrées de capitaux privés (IDE et surtout investissements de portefeuille). Dans un contexte de forte liquidité internationale, les pressions à l’appréciation de la roupie resteront fortes et seront contenues de façon partielle par les interventions de change de la RBI, qui a repris après la crise sa politique d’accumulation de réserves de change.
Avec une croissance vigoureuse et une démographie toujours très dynamique (même si le taux de croissance de la population tend à diminuer, les jeunes devront constituer la majorité de la population jusqu’à 2040), l’Inde apparaît aujourd’hui comme une puissance émergente en voie de s’imposer parmi les pays qui auront le plus de poids au XXIe siècle. Son affirmation sur la scène internationale restera un parcours semé d’obstacles. Le sous-développement en infrastructures de transport, énergétique et d’accès à l’eau potable, qui se traduit par l’apparition régulière de goulots d’étranglement constitue un frein à la croissance économique.
Plus de cent six mille villages en Inde sont complètement dépourvus d’électricité, et des coupures d’électricité sont récurrentes dans les villes. Le sous-développement du réseau routier et le temps d’attente dans les ports et aéroports pèsent aussi sur la compétitivité de produits. Un défi sera aussi d’augmenter la productivité du secteur agricole qui représente 17% du PIB mais dont dépendent les revenus de 70% de la population. Seules 42% des terres sont irriguées, ce qui rend la production dépendante des pluies. Des dysfonctionnements graves apparaissent également en matière d’éducation. Le retard de l'Inde sur ce plan se traduit par un taux d’alphabétisation faible (61%). La réduction du taux de pauvreté (30% de la population) nécessite non seulement des filets de sécurité sociale, mais une croissance plus « inclusive » venant d’une intensification de l’industrialisation du pays. S’attaquant à la question des infrastructures, le budget 2010/11, qui envisage une hausse considérable des dépenses en capital, pourrait constituer un bon point de départ.
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