par Philippe d’Arvisenet, chef économiste de BNP Paribas
La croissance de la dette publique, enregistrée dans les dernières années, est sans précédent en temps de paix. Dans aucun des principaux pays de l’OCDE, les dettes publiques ne s’inscrivent aujourd’hui sur un sentier soutenable1 . Cela tranche avec les périodes passées dans lesquelles les pays émergents apparaissaient, de ce point de vue, comme plus risqués. La plupart des pays avancés auront un ratio de dette publique dépassant les 90% au milieu de la décennie.
De 2007 à 2014, selon le FMI (2010), le ratio de dette de ces pays devrait augmenter en moyenne de plus de 30 points de PIB pour approcher en moyenne 110% du PIB. Sur cette augmentation, 3 points seraient imputables au soutien au système financier, 4 points à la charge de l’endettement accrue, 10 points au jeu des stabilisateurs automatiques, 3,5 points au stimulus budgétaire et 9 points à des pertes de recettes liées à la baisse des prix d’actifs. Le creusement des déficits est largement structurel, le ratio du déficit corrigé des variations cycliques est de 4,4% en zone euro (sur un déficit total de 6,7 points), de 9,8 points au Royaume-Uni (pour un total de 13,3 points) et de 8,8 points aux Etats-Unis (pour un total de 10,7 points). Or, ce déficit structurel a montré dans le passé une forte tendance à la persistance.
Pour l’heure, les capacités de production excédentaires limitent le risque d’effet d’éviction de la dette publique sur l’investissement privé. Pour autant, la situation des finances publiques invite à afficher des dispositifs de redressement crédible. Si les stimuli budgétaires apparaissent de nature à alimenter la demande des ménages financièrement contraints (dans leur cas, le schéma classique du multiplicateur budgétaire joue à plein), il peut entraîner chez les autres (la majorité) l’apparition d’un comportement ricardien, c'est-à-dire une hausse de l’épargne destinée à faire face à une charge accrue de prélèvements futurs. Si l’effet d’éviction traditionnel ne pèse pas, la situation budgétaire, contrairement à ce que l’on observait avant la crise, joue désormais sur l’appréciation des risques et peut gonfler les primes de risque, débouchant in fine sur un alourdissement de la charge de la dette rendant plus difficile encore l’ajustement.
Cette situation pourrait mettre un terme à l’évolution observée jusqu’à présent, caractérisée par une hausse de l’endettement sans répercussion sur la charge des intérêts de la dette du fait de la baisse des taux, un « free lunch » en quelque sorte.
Un niveau de dette élevé augmente la probabilité qu’un éventuel choc sur les taux ou la croissance ne débouche sur une dynamique de la dette insoutenable avec des ratios de dette plus élevés et un creusement de l’écart entre taux réel apparent et taux de croissance. Cette configuration rend l’ajustement encore plus difficile et, en tout cas, lourd de menaces (effet boule de neige de la dette). De ce point de vue, les données récentes invitent clairement à réagir. De plus, conséquence directe de la crise (hausse du coût du capital et du chômage structurel et recul du taux d’activité (Furceri et al, 2009)), le niveau du PIB potentiel dans la zone OCDE est inférieur d’environ 3,5 points au niveau qui aurait été observé sans la crise.
De surcroît, la hausse de la charge de la dette conduit, sauf à une augmentation des prélèvements, à devoir sacrifier certaines prestations publiques. La hausse des prélèvements est, pour sa part, fréquemment synonyme de distorsions fiscales préjudiciables à la croissance.
Ensuite, la dette élimine la capacité à mettre en place de nouvelles mesures de soutien si le besoin s’en manifestait.
Enfin, ainsi que le suggèrent les recherches menées par C. Reinhart et K. Rogoff (2010), un niveau élevé de dette (au-delà de 90% de PIB) s’accompagnerait d’une modération du taux de croissance potentielle.
Au-delà de considérations purement budgétaires, la détérioration des finances publiques est un défi potentiel pour les banques centrales. Tout d’abord, le niveau de la dette peut entraîner un dérapage non seulement des anticipations inflationnistes, mais aussi des incertitudes quant au succès des mesures de consolidation rendant plus complexe la conduite de la politique monétaire (quel taux approprié ?).
Ensuite, le poids de la charge de la dette peut amener à des pressions en faveur de la monétisation, jetant des doutes sur l’indépendance des banques centrales, sans compter le fait que les banques, qui ont augmenté la part des titres de dette publique dans leurs bilans, se trouvent ainsi exposées à des risques de taux accrus.
Selon le FMI, un excédent structurel primaire de 8 points de PIB de 2011 à 2020 (passage de -4,3% à +3,6% du PIB) serait nécessaire pour ramener le ratio de dette à 60 points de PIB en 2030, avec toutefois des différences marquées entre pays : un cinquième des pays avancés devraient faire un ajustement de plus de 10 points et les deux tiers de moins de 5 points, l’ajustement serait réduit de moitié pour un objectif de stabilisation du ratio de dette au niveau de 2012. Le FMI estime que, sur 10 ans, et dans l’hypothèse d’une croissance de 2%, la fin des mesures de stimulation pourrait contribuer à 1,5 point de PIB, s’y ajouterait le gel des dépenses publiques hors santé, ce qui implique des priorités et une recherche d’efficacité, la stabilisation, en proportion du PIB des dépenses liées au vieillissement, apporterait une contribution de 3 à 4 points de PIB et les prélèvements une contribution de l’ordre de 3 points.
A plus court terme, comme l’ont suggéré plusieurs recherches récentes (Corsetti et al (2009, 2010), Erceg et al (2010), Wieland (2009)), l’affichage d’une politique crédible de consolidation budgétaire, portant essentiellement sur la dépense, peut être de nature à renforcer l’efficacité de mesures de soutien en place, à la fois par le jeu du comportement des ménages (effet Barro-Ricardo) mais aussi via les taux d’intérêt.
La perspective d’un retour à la soutenabilité de la dette repousse les craintes d’inflation et donc les anticipations de relèvement des taux d’intérêt, ce qui permet de contenir la hausse des taux longs.
L’exit budgétaire est un exercice difficile. Le changement de solde primaire nécessaire pour assurer un niveau d’endettement similaire à celui observé avant la crise (ce qui éviterait de transférer les conséquences de la crise sur les générations futures) est de forte ampleur, mais il n’est pas sans précédent. Le « recours à l’inflation » dont rêvent certains ne paraît pas la solution, comme le confirment les projections du FMI2. L’examen des expériences de consolidation budgétaire réussies montre que, sur une dizaine de pays, une baisse considérable du ratio d’endettement a pu être accomplie et ce principalement par le jeu du solde primaire, la contribution de la croissance a été de ce point de vue négligeable (sauf Espagne et Irlande). On remarque ainsi que les consolidations sont menées dans la durée… un ou deux ans n’ont pas suffi. Cela ne veut pas dire qu’il ne faille pas poursuivre les réformes destinées à soutenir la croissance. Il reste qu’il y a trop d’incertitudes en la matière pour que l’on puisse fortement compter sur cet élément. Le plus gros de la hausse des dettes publiques projetées dans les prochaines décennies est lié au vieillissement, l’enjeu des réformes en matière de santé et de pensions est crucial (sans réforme, le coût associé serait de 4 à 5 points de PIB d’ici à 2030). Les réformes dans ce domaine revêtent d’autant plus d’importance que leurs effets montent en puissance avec le temps et que leur coût initial est limité3 .
Enfin, les chances de succès en la matière ne sont pas indépendantes du contexte institutionnel (S. Guichard et al, 2007). Retenons de ce point de vue quelques enseignements de recherches récentes :
– l’efficacité plus marquée de règles simples à mettre en œuvre (dépenses publiques versus déficit) comme l’ont montré, par exemple, l’échec du Gramm Rudmann Hollings Act de 1985 et, a contrario, le succès du Budget Enforcement Act qui lui a succédé ;
– l’efficacité accrue des automatismes, en comparaison des pratiques discrétionnaires par exemple en matière de sanction pour les déficits excessifs dans la zone euro ; – l’intérêt des dispositifs anti-cycliques (rainy days funds…).
NOTES
- Pour stabiliser le ratio de dette publique (dette/Pib nominal), il faut dégager un solde primaire égal au produit du ratio de dette par l’écart entre taux d’intérêt réel sur la dette et taux de croissance.
- Sans oublier le fait, d’une part, que l’inflation ne se décrète pas et, d’autre part, que les seules craintes inflationnistes sont de nature à provoquer une hausse des taux réels…
- De ce point de vue, la modification de l’âge de départ en retraite a des effets substantiels à la fois directs (augmentation des recettes, réductions des dépenses) et indirects sur la croissance potentielle ( population en âge de travailler et taux d’activité).
REFERENCES
G. CORSETTI, A. MEIER, G. MUELLER – « Fiscal stimulus with policy reversals ». CEPR discussion paper series 7032, mai 2009
G. CORSETTI, K. KUESTER, A. MEIER, G. MUELLER – « Debt consolidation and fiscal stabilization of deep recession ». CEPR discussion paper series 1649, janvier 2010
C. ERCEG, J. LINDE – « Is there a fiscal free lunch in a liquidity trap ». CEPR discussion paper series, janvier 2010
D. FURCERI, A. MOUROUGANE – « Financial crisis : past lessons and policy implications ». OECD working paper 668, février 2009
S. GUICHARD, M. KENNEDY, E. WURZEL, C. ANDRE – « What promotes fiscal consolidation ». OECD working paper 553, 2007
IMF « Strategies for fiscal consolidation in the post crisis world ». Fiscal Affairs department, février 2010
C. REINHART, K. ROGOFF – « Growth in a time of debt ». CEPR discussion paper series 7661, janvier 2010
V. WEILAND – « Fiscal stimulus and the promise of future spending cuts ». CEPR discussion paper series 7615, décembre 2009
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