par Frederik Ducrozet, économiste au Crédit Agricole
Dans un contexte de fortes tensions sur les marchés, la BCE a maintenu le statu quo sur les taux, tout en rejetant l’idée de rachats directs de titres de dette publique des Etats de la zone euro. En se montrant « inflexible » sur son objectif de stabilité des prix, elle se laisse implicitement toutes les options ouvertes en cas de menace déflationniste avérée.
La BCE droite dans ses bottes
La BCE a maintenu son principal taux directeur inchangé lors de sa réunion du 6 mai. Voilà un an que le taux Refi a touché son plus bas historique de 1 %, un niveau qui reste « approprié », compte tenu de l’incertitude sur la soutenabilité de la reprise et des tensions aiguës sur les marchés financiers. Le communiqué de la BCE ne contient que très peu de changements en termes d’orientation future de la politique monétaire. Les perspectives d’inflation sont toujours jugées « modérées » à moyen terme, en lien avec une croissance « faible » de la monnaie et du crédit. En revanche, la BCE insiste également sur les risques haussiers que fait peser à court terme le niveau des prix des matières premières sur l’inflation totale. En dehors de la Grèce, les bons indicateurs économiques confirment que la reprise se poursuit, bien que fragile et déséquilibrée entre pays. La hausse du taux de chômage et la dégradation des finances publiques représentent les deux risques baissiers majeurs aux yeux de la BCE.
La BCE a accueilli favorablement les mesures d’austérité annoncées par le gouvernement grec tout en appelant l’ensemble des gouvernements de la zone euro à prendre leurs responsabilités en termes de consolidation fiscale. A cet égard, M. Trichet n’a pas manqué de rappeler que la BCE a constamment pointé du doigt l’incapacité des Etats à respecter le Pacte de Stabilité et de Croissance (que la BCE était bien seule à défendre en 2004) et à mettre en œuvre des stratégies crédibles de retour à l’équilibre des comptes publics. Par ailleurs, la BCE a voulu justifier sa décision de suspendre ce lundi les règles d'éligibilité des collatéraux pour la dette publique grecque, dans la mesure où cette décision pourrait apparaître comme un traitement de faveur réservé à un pays en particulier plutôt qu’un moyen de prévenir une contagion rapide de la crise au secteur bancaire.
M. Trichet a avancé trois raisons justifiant cette décision inédite prise à une majorité « écrasante » (mais pas à l’unanimité) : (1) la BCE a pris part aux négociations avec l’UE et le FMI et elle a été sollicitée pour donner son avis sur le plan global, (2) la BCE juge crédible le programme d’austérité du gouvernement, et (3) le mécanisme d’aide de l’UE et du FMI a été déclenché.
Ce faisant, la BCE prend de plus en plus ses distances vis-à-vis des agences de notation et d’autres changements dans ce sens ne peuvent être exclus. M Trichet a également insisté sur les nombreuses différences entre la Grèce et les autres pays déficitaires de la zone euro, à commencer par le Portugal où se tenait la conférence de presse de la BCE, mais aussi l’Espagne.
Pas d’option « nucléaire » sauf risque de déflation
L'option de rachats directs par la BCE de titres de dette publique des Etats de la zone euro n'a pas été discutée par le Conseil des Gouverneurs à ce stade. A contrario, M. Trichet ne l’a pas non plus explicitement écartée et n’a pas souhaité commenté les déclarations du président de la Bundesbank, Axel Weber, selon lequel les interventions de la BCE ne doivent en aucun cas dépasser les limites décrites par le Traité. Les nombreux obstacles d’ordre institutionnel et pratique à la mise en œuvre d’un programme de Quantitative Easing en zone euro sont connus depuis le débat qui avait animé le Conseil des Gouverneurs début 2009. Les achats de titres de dette publique ne sont pas autorisés sur le marché primaire (monétisation du déficit proscrite) ; ils devraient être a priori très importants pour être efficaces (on parle de 200 à 300 milliards d’euros) et répartis entre tous les marchés des Etats membres. Ceci étant, une phrase en particulier a été ajoutée au premier paragraphe du communiqué de la BCE, et pourrait lui laisser quelques marges de manœuvre à l’avenir : « La politique monétaire fera tout ce qui sera jugé nécessaire afin de garantir la stabilité des prix à moyen terme ». Cela vaut autant à la hausse (en cas de matérialisation des risques haussiers liés aux prix de l’énergie et des hausses de taxes indirectes) qu’à la baisse (en cas de menace déflationniste avérée).
La BCE suggère enfin que sa stratégie de sortie des mesures non standard de soutien aux banques devrait se poursuivre à un rythme très « progressif », même si ce point n’est pas détaillé dans le communiqué ce mois-ci. Rien n’indique un revirement de la BCE à ce stade. La liquidité interbancaire reste largement excédentaire avant l’arrivée à échéance au 1er juillet du premier prêt à un an pour 442 Mds d’euros. Les données récentes confirment la stabilisation en cours, à de faibles niveaux, des agrégats de monnaie et de crédit. En revanche, la dernière mouture de l’enquête de la BCE auprès des banques n’indique pas de desserrement rapide des conditions d’offre de crédit.
Quels outils, au cas où ?
Si les conditions de marché continuent de se détériorer dans les prochains jours et le risque de contagion de la crise grecque à l’ensemble de la zone euro continue d’augmenter (via le secteur bancaire notamment), la BCE pourrait envisager de nouvelles interventions spécifiques. Nous les passons en revue rapidement par ordre décroissant de probabilité (subjective) de réalisation :
- Etendre les mesures existantes pour prêter aux banques dans des conditions encore plus favorables, ce qui reviendrait à suspendre la stratégie de sortie. Cela pourrait passer par la réintroduction des appels d’offres long terme (quoique l’utilité d’une telle mesure reste à prouver), mais aussi des lignes de swaps avec d’autres banques centrales pour assurer un refinancement en dollar ou en franc suisse ;
- L’abandon définitif des règles d’éligibilité des collatéraux pour les titres de dette publique de la zone euro ;
- L’extension du programme de rachats de 60 Mds de covered bonds qui arrive à son terme fin juin, surtout si les valorisations des actifs sous-jacents restent sous pression. Sur le plan politique, cette solution paraît acceptable ;
- Une stratégie visant explicitement à faire baisser davantage l’euro pour stimuler les exportations ;
- Les rachats de titres de dette publique comme solution de dernier recours en cas de nouveaux mouvements de ventes massifs et de perte de confiance non discriminée des investisseurs.
En pratique, toute décision de la BCE devrait être étroitement liée à l’évolution des conditions de marché dans les prochains jours.
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