par Alexandre Bourgeois, économiste chez Natixis
Indirectement, les craintes des marchés concernant la capacité des Grecs à rembourser leurs dettes a fait renaitre des doutes sur la solidité des banques européennes, françaises en premier lieu. En effet, plus de 80 % de la dette publique hellène est détenue par des résidents de la zone euro, banques en tête. En conséquence, les actions bancaires se sont écroulées durant la première semaine du mois de mai, avant que le plan européen ne vienne rassurer quelque peu les craintes des investisseurs1. Toutefois, les doutes concernant leur capacité (leur volonté) à financer l’économie réelle n’ont pas complètement disparu. Dans ce cadre, il semble nécessaire de faire un point sur les fondamentaux du marché du crédit en France2. Plusieurs faits stylisés peuvent être décris :
– A la différence de ce qu’on peut observer aux Etats-Unis par exemple, les taux de créances douteuses (brutes), bien qu’en redressement depuis la fin 2008, se situent toujours à des niveaux très faibles en France : 3,13 % au troisième trimestre 2009 (dernier chiffre disponible), contre 4,75 % en moyenne sur la période 1995-2009. Il faut noter que la hausse des créances litigieuses concerne plus les entreprises (4,28 %) que les ménages (3,14 %) et moins les banques mutualistes (2,67 %) que les autres banques commerciales (3,24 % pour les banques FBF hors banques mutualistes).
– L’enquête trimestrielle de la Banque de France sur la distribution du crédit révèle une stabilisation des critères d’octroi de crédit par les banques françaises aux entreprises et aux ménages au premier trimestre 2010. Toutefois, après neuf mois de timide amélioration, les banques anticipent désormais un durcissement des critères d’octroi de prêt à destination des entreprises au deuxième trimestre. Cette inversion de tendance intervient au moment où les banques recensent une nouvelle baisse de la demande de crédit de la part des entreprises (due à la faiblesse des investissements que les opérations de restructuration de dette ne compensent plus) et un ralentissement de la hausse de la demande de crédits immobiliers de la part des ménages.
– Concernant l’évolution de leurs marges, les banques annoncent une poursuite de la baisse observée depuis un peu moins d’un an. Il faut toutefois noter que ces affirmations recoupent assez peu les chiffres publiés par la Banque de France illustrant l’écart entre les taux des prêts aux entreprises et aux ménages et les différents taux de marché (Euribor 3 mois, OAT 10 ans, taux des émissions obligataires des institutions financières…). Ces derniers, bien que contradictoires entre eux, ont plutôt tendance à afficher une relative stabilité des marges bancaires à des niveaux élevés. C’est d’ailleurs ce que semble confirmer les directeurs financiers et trésoriers d’entreprises interrogés par COE – Rexecode. Malgré cela, il est juste de noter que les taux d’intérêt, variables comme fixes, à destination des ménages aussi bien que pour les entreprises, se situent à de très bas niveaux3.
– Malgré cela, on observe une réelle dichotomie dans l’évolution des crédits aux entreprises et aux ménages. Ainsi, sans surprise, les premières continuent de privilégier l’assainissement de leurs finances, alors que les seconds, bénéficiant du redémarrage du marché immobilier (fortes hausses des mises en chantier au second semestre 2009), lui-même stimulé par les diverses mesures fiscales (loi Scellier en particulier), ont vu leurs crédits se redresser significativement au cours des derniers mois. D’ailleurs, le taux d’endettement des ménages, après avoir nettement ralenti depuis la fin 2008, a retrouvé le chemin de la hausse au quatrième trimestre 2009 (+ 0,7 point, à 75,2 % du RDB).
Au final, le marché du crédit bancaire reste guidé en France par la demande. Les mesures prises depuis la crise par la BCE (réactivées ces derniers jours, suite à la crise européenne), le plan d’aide de l’Etat (via la SFEF en particulier) et le retour aux bénéfices de la plupart des groupes bancaires limitent en effet les contraintes du côté de l’offre de fonds prêtables. Néanmoins, la faiblesse de la demande intérieure privée et l’assainissement progressif des finances publiques devraient empêcher le marché du crédit de retrouver le dynamisme qui prévalait avant la crise.
NOTES
- Cf. Broyer S. et alii (2010), « Quelle est la portée des mesures du plan d’urgence européen ? », Flash n°228, 10 mai.
- Cf. Bourgeois A. (2009), « Edito : Marché du crédit en France : le rebond n’est pas pour tout de suite…», Eco Hebdo n°44, 20 novembre.
- Un plancher depuis le point bas de 2006 pour les ménages et des niveaux historiquement faibles pour les taux aux entreprises (l’historique de la Banque de France remonte à janvier 2003).