par Stéphane Monier, Directeur des investissements chez Lombard Odier
L’Union européenne poursuit l’extension de son système de quotas d’émission de carbone et la Chine lance son propre mécanisme en la matière. Une évaluation précise du coût du carbone est essentielle pour inciter à réduire la pollution et atteindre ainsi les objectifs climatiques de l’accord de Paris. Après plusieurs mois d’incendies et d’inondations extrêmes dans l’hémisphère nord, ces objectifs semblent modestes compte tenu des défis climatiques à relever.
Pour atteindre la neutralité carbone, nous devons revoir intégralement notre approvisionnement en énergie. Les combustibles fossiles fournissent actuellement quelque 80% des besoins énergétiques mondiaux, la même proportion qu’il y a dix ans. Une évaluation précise des coûts réels du carbone est nécessaire pour promouvoir la transition vers des économies à zéro émission nette. Encouragées par les pressions politiques et réglementaires, les forces du marché, comme la demande des consommateurs et des investisseurs ou de nouvelles technologies moins chères, favorisent le changement : l’énergie solaire, par exemple, est déjà meilleur marché que le charbon.
En juillet, la Commission européenne a publié de nouvelles mesures visant à étendre son système d’échange de quotas d’émission (SEQE-UE) conçu pour atteindre l’objectif fixé par l’Union de réduire de moitié ses émissions de CO2 d’ici 2030. Ces propositions accélèrent le rythme auquel l’UE retire les quotas, de 4,2% par an, contre 2,2% jusqu’à présent, élargissant le nombre de pollueurs européens qui doivent les acheter tout en supprimant progressivement les quotas attribués à titre gratuit. Les compagnies aériennes, par exemple, n’ont à payer aujourd’hui qu’un sixième de leurs émissions.
Le SEQE-UE impose des plafonds de pollution depuis 2005. En 2018, dans le cadre de ce système de plafonnement et d’échange, le prix du carbone a franchi pour la première fois la barre des 10 EUR par tonne métrique. Le prix européen du carbone a augmenté de près de 90% depuis le début de l’année, passant de 33 EUR à un record de 62 EUR par tonne la semaine dernière. Au cours de la même période, le cours du Brent a gagné 36%, passant de 52 à 71 USD/baril, la demande s’étant redressée avec la réouverture des économies.
La Banque mondiale a estimé que le prix doit être plus proche de 100 EUR par tonne au cours de cette décennie, afin d’atteindre l’objectif plus exigeant de l’accord de Paris, à savoir limiter le réchauffement de la planète à 1,5 degré Celsius.
Taxes carbone aux frontières
Le programme de la Commission européenne inclut aussi un système visant à imposer un « mécanisme d’ajustement carbone aux frontières » sur les importations en provenance des pays qui ne fixent pas de prix pour le carbone. Cette mesure est destinée à éviter une délocalisation de la production intensive de CO2 et à encourager explicitement les autres pays à calculer avec plus de précision le coût de leurs émissions. Il permet également de calmer les craintes des industries européennes de se voir unilatéralement pénalisées comparativement à leurs concurrents étrangers.
Certains pays fixent un prix plancher pour les taxes carbone. Au niveau mondial, la Suède et la Suisse imposent les taxes carbone les plus élevées, soit respectivement 117 et 101 EUR par tonne aux taux de change actuels. La taxe carbone suisse passera à 120 CHF (110 EUR) par tonne en 2022, le pays ayant manqué son objectif de réduction des émissions en 2020.
Tout le monde ne pense pas que les taxes à l’importation font partie de la solution. John Kerry, envoyé spécial de l’administration Biden pour le climat, a déclaré en mars 2021 que les taxes à l’importation avaient « de sérieuses conséquences sur les économies, les relations et le commerce » et qu’elles devaient donc être « un dernier recours » pour le cas où une solution commune aurait échoué.
En décrivant les taxes carbone comme des obstacles au commerce, le président chinois Xi Jinping semble être du même avis. La semaine dernière, M. Kerry a rencontré des responsables chinois pour leur demander de suivre l’exemple des États-Unis, de l’Union européenne et du Japon en cessant de soutenir les projets énergétiques étrangers basés sur le charbon.
Écarts de cotation
On estime à 45 le nombre de pays qui disposent d’une forme de marché du carbone. Le 16 juillet 2021, la Chine, principal pollueur au CO2 du monde, était le dernier pays à avoir commencé à échanger des quotas d’émissions. Les tentatives de limiter le réchauffement climatique dépendent en partie de la contribution de la Chine à la réduction des émissions, le pays ayant généré quelque 27% des gaz à effet de serre émis dans le monde en 2019.
La deuxième économie mondiale mène des projets pilotes depuis 2013, et son système prend désormais en compte le carbone en tant que part de l’énergie produite, et non plus seulement les émissions absolues. En réduisant la quantité de quotas disponibles au fil du temps, les autorités chinoises devraient inciter les pollueurs à améliorer leur efficience. Pour le moment, le système chinois ne s’applique qu’à quelque 2’200 producteurs de charbon et de gaz, mais il pourrait s’étendre à la construction, aux produits chimiques et à l’industrie pétrolière d’ici 2025.
La Chine s’est engagée à devenir une économie neutre en carbone d’ici 2060. Jusqu’à présent, les volumes de son système d’échange de quotas d’émissions ont été faibles et le cours a chuté à 45 RMB (5,9 EUR) par tonne, contre 51 RMB au premier jour de cotation.
Planchers et tests de résistance
En juin, le Fonds monétaire international a présenté une proposition visant à fixer des prix minimums du carbone à l’échelle mondiale d’ici à 2030, entre 75 et 25 USD par tonne, selon qu’une économie est considérée comme « avancée », « à revenu élevé » ou « à faible revenu ». Cela permettrait de maintenir les émissions de la décennie actuelle en dessous de l’objectif de deux degrés Celsius visé par l’accord de Paris.
D’autres institutions font également pression pour accélérer le changement. Bloomberg a rapporté la semaine dernière que la Banque centrale européenne (BCE) avait demandé aux banques commerciales de se préparer aux tests de résistance qui auront lieu l’année prochaine. Ces tests devront déterminer la sensibilité des bilans des prêteurs aux risques climatiques jusqu’en 2050. Les banques commerciales ont un rôle à jouer dans la transition vers la neutralité carbone en redirigeant les capitaux loin des industries polluantes.
Les récents événements climatiques extrêmes devraient contribuer à focaliser les consciences politiques sur la nécessité d’agir. À la lumière des records historiques de chaleur et des incendies de forêt qui ont ravagé les États-Unis et le sud de l’Europe, ainsi que des précipitations et des inondations sans précédent qui ont frappé respectivement la Chine et l’Europe centrale, les dirigeants du monde entier ont l’opportunité de réviser les engagements de leurs gouvernements avant la Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques (COP 26) qui se tiendra du 31 octobre au 12 novembre 2021. L’accord de Paris sur le changement climatique prévoit de maintenir le réchauffement de la planète « nettement en dessous » de 2 degrés Celsius et de « poursuivre l’action menée » pour limiter l’élévation de la température à 1,5 degré par rapport aux niveaux préindustriels. Six ans plus tard, cet objectif semble bien plus urgent, et les mesures pour l’atteindre pas suffisamment ambitieuses.