Et si la pandémie se terminait en 2022 ?

par Alexandre Hezez, stratégiste chez Groupe Richelieu

Le Covid 19 sera certainement dans les esprits en 2022 et pour de nombreuses années tant les traumatismes ont été prégnants depuis presque deux ans. Les stigmates ressurgiront de manière régulière avec de nouvelles souches, de nouveaux variants, de nouveaux spécialistes. Dans une récente interview, un chercheur suisse a mis le feu aux poudres en alertant sur la possibilité d’une mutation extrême du Covid-19 dans les prochains mois. Cette hypothèse a rapidement enflammé les réseaux sociaux. Cependant, ce qui compte, c’est de contenir la transmission et de vacciner le plus de monde possible avec une priorité pour les personnes fragiles et ceux en première ligne. Dans ce contexte, il est ambitieux voire courageux d’avoir un scénario où la crise pandémique prendrait fin en 2022. C’est pourtant le scénario central que nous privilégions dans notre analyse et l’implication sur les marchés financiers.

En fin de mois, Stéphane Bancel, président-directeur général du groupe pharmaceutique Moderna, a estimé que dans un an, les productions de vaccins dans le monde seront suffisantes pour protéger l’humanité entière. A en croire Stéphane Bancel, la pandémie prendra fin en 2022. Cette situation est évidemment rendue possible grâce à la vaccination. En extrapolant l’expansion des capacités de production à l’échelle de l’industrie ces six derniers mois « il y aura suffisamment de doses pour vacciner tous les habitants de la planète au milieu de l’année prochaine ». Pour maintenir un retour à la normale, Moderna prévoit une situation semblable à celle de la grippe. Il faudra donc se préparer à faire des rappels pour que la protection reste efficace. Les laboratoires travaillent même sur un vaccin combiné contre la grippe et le coronavirus à partir de 2023. Les principaux pays devraient avoir vacciné 80% de leur population d’ici le printemps prochain, ce qui devrait permettre une réouverture plus complète des économies. Les conséquences économiques et les attitudes des agents économiques vont radicalement changer.

Part de la population mondiale Vaccinée (une dose)

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Source : Our World in Data

Un choc de la demande face à une offre déficiente

La première analyse amène à se pencher sur un choc de demande. En effet, la consommation à travers la planète devrait augmenter significativement. Les tauxd’épargne restent à des niveaux historiques (notamment en Europe) et l’emploi devrait continuer à s’améliorer compte tenu d’une demande importante de la part des entreprises. Les pénuries temporaires de matériaux et d’équipements limitent la production de manière plus persistante que nous le prévoyons actuellement, elles pourraient se répercuter plus fortement sur la chaîne des prix.

Les goulots d’étranglement devraient encore perdurer et l’inflation rester élevée plus longtemps que prévu.

Les chaînes logistiques pourraient être encore très perturbées et impacter certains secteurs. La présence simultanée d’une demande solide et d’une offre déficiente pourrait avoir un impact important sur les coûts.

Pour l’instant, l’accélération de la croissance a permis aux entreprises de compenser la pression sur les coûts et de passer des hausses des prix. En effet, les taux d’épargne élevés et la dynamique de réouverture laissent entrevoir une faible élasticité-prix pour le consommateur final. Mais cela ne suffit pas pour autant dans certains secteurs. Malgré une demande qui ne faiblit pas, les fabricants de peintures et revêtements des deux côtés de l’Atlantique (Sherwin-Williams, PPG, et Akzo Nobel) ont averti que l’inflation des matières premières et les problèmes dans la chaîne d’approvisionnement remettaient en cause leurs objectifs de l’année.

Cela doit donc rester transitoire car cet équilibre est précaire et il suffit d’un choc exogène pour que tout déraille. En Angleterre, le manque de main-d’œuvre lié aussi au Brexit prend un tour critique.

D’un point de vue structurel, le débat central est celui d’un éventuel changement de régime inflationniste qui pourrait engendrer un risque sur la politique monétaire des banques centrales. Tout se passe comme si un retour à la normale sanitaire pèserait sur l‘économie et les marchés financiers.

Une offre qui devrait s’adapter dans la deuxième partie de 2022

En septembre, Ikea annonçait que 20 % de ses références en France étaient en rupture dans ses magasins sans préciser une date prévue de retour à la normale. L’offre est donc un enjeu stratégique. Cependant, la hausse des vaccinations à travers le monde devrait en parallèle amener l’abandon des stratégies zéro-Covid dans de nombreux pays. Cette stratégie a eu un impact considérable sur les chaînes logistiques du fait de fermetures d’activités complètes dans certains pays asiatiques. Une stratégie qui n’a pas résisté au variant Delta, qui s’est diffusée à grande échelle et qui est très contagieuse. Les investissements et les capacités de production vont s’intensifier. Les plans de relance vont jouer leur rôle d’accélérateur. Nous pensons que le choix quasi général de la vaccination va permettre un retour, certes, progressif mais un retour irrépressible de l’offre. Il s’agirait d’un contre-choc d’offre qui relancerait la croissance mondiale aux deuxième et troisième trimestres de l’année prochaine.

Dans ce scénario, la hausse de l’inflation sera effectivement temporaire comme le martèlent nos banquiers centraux. La persistance d’une inflation élevée pourrait également se traduire par des revendications salariales plus fortes que prévu. Mais nous ne voyons que des signes limités de ce risque jusqu’à présent. La pénurie de main-d’œuvre est conjoncturelle. A court terme, d’un point de vue cyclique, la question est de savoir si les tensions sur l’offre pourraient ralentir l’activité plus fortement que prévu dans un scénario sanitaire favorable. Cela risque d’être le cas et de créer paradoxalement des doutes de la part des investisseurs mais la dynamique économique devrait ré-accélérer une fois un nouvel équilibre mis en place entre l’offre et la demande.

Les banques centrales devront renormaliser coûte que coûte leur politique monétaire sans créer de crise pour rester crédibles. De quoi amener une volatilité plus forte.

La perplexité actuelle peut se comprendre. Il n’y a pas beaucoup d’exemples similaires dans l’histoire économique à ce que nous venons de vivre. La crise sanitaire a été favorable aux entreprises et aux marchés. Sa fin amènera de nombreuses questions plus fondamentales.

Nous pouvons nous attendre à une année 2022 marquée par une inflation toujours importante compte tenu d’un redémarrage synchronisé de l’ensemble des économies et potentiellement des renormalisations des banques centrales plus rapides que prévu. Les aides d’Etats devraient largement diminuer et les défauts devraient reprendre après une période bénie par la liquidité et des taux de refinancement bas. Un juste retour à une réalité que nous avions connue. La sélectivité et la flexibilité seront dès lors à l’honneur dans une gestion performante.