par Catherine Crozat, Responsable des projets ESG chez CPR AM
Les rapports successifs du GIEC, en plus de rappeler l’ampleur de la crise climatique, mettent en avant le fait que la neutralité carbone devra se faire nécessairement avec la protection de la biodiversité. En effet, la moitié des émissions carbone générées par l’activité humaine sont captées par les organismes terrestres et marins qui absorbent environ 9,5 milliards de tonnes de CO2 chaque année. La conservation, la gestion durable et la restauration des écosystèmes peuvent ainsi contribuer aux efforts de décarbonation.
Si la biodiversité peut aider à prévenir le changement climatique et avoir un impact sur ce phénomène, à l’inverse, les bouleversements climatiques représentent une des principales menaces pesant sur la biodiversité avec comme conséquence la perte majeure d’espèces animales et végétales. Avec la multiplication des évènements climatiques extrêmes (tempêtes, vagues de chaleur, inondations…), la perte de biodiversité est fortement aggravée par l’évolution des régimes hydriques locaux ou la modification des milieux marins, ce qui perturbe les grands équilibres écologiques.
Il est donc primordial de traiter la biodiversité en lien direct avec le climat et de coordonner le cadre réglementaire tant autour de la préservation de la biodiversité que de l’adaptation au changement climatique. La réglementation doit donc avoir pour objectif de mettre ces sujets à un niveau égal d’importance et d’offrir un cadre lisible aux acteurs financiers.
La pandémie du Covid-19 a accentué l’attention portée par les investisseurs et la société civile sur la fragilité de nos écosystèmes, tant en termes de conditions climatiques que de biodiversité. On assiste à un déclin important de la biodiversité dû aux activités humaines : sur les huit millions d’espèces animales et végétales, un million est menacé d’extinction durant les prochaines décennies tandis qu’entre 1970 et 2016, le déclin moyen observé des populations de vertébrés était de 68 % (source : WWF).
Nous pouvons décomposer les risques de biodiversité en trois catégories. Tout d’abord, les risques physiques, directement engendrés par la perte de biodiversité, qui recouvrent les impacts d’évènements extrêmes liés à la perte de biodiversité (feux, déforestation etc..) sur la disponibilité de certaines matières premières ou sur certains secteurs ; ensuite, les risques de transition, incluant les risques de réputation et de régulation grandissants ; enfin, les risques systémiques, pouvant influer sur le développement économique et social, et affecter la santé, la sécurité d’approvisionnement alimentaire, etc.
C’est dans ce contexte que se pose la question du rôle que peuvent jouer les entreprises et les acteurs de la finance dans la préservation de la biodiversité. L’enjeu de la double matérialité, à savoir l’analyse à la fois de l’impact des risques ESG sur l’entreprise et celui de l’entreprise sur la société, est de plus en plus mis en avant par les régulateurs et les investisseurs. L’évaluation de cette double matérialité, à savoir l’impact de nos investissements sur la biodiversité, et celui de la chute des écosystèmes sur la valeur des portefeuilles financiers, en est à ses balbutiements, aucune méthodologie commune n’étant disponible.
La bonne nouvelle vient du fait que les obligations de reporting vont se développer, avec un renforcement anticipé de la réglementation à ce sujet. Les publications des entreprises et acteurs de marché vont s’améliorer sous l’effet de cette réglementation, ce qui va permettre d’appréhender les acteurs les plus exposés et ceux qui impactent la perte de biodiversité.
C’est ce qu’on observe notamment avec l’article 29 qui prend le relais de l’article 173 de la Loi Energie et Climat publié en mai 2021, et qui installe, entre autres éléments, l’obligation de reporting sur la biodiversité dès 2022 (mesure de l’empreinte biodiversité et de la contribution à la réduction des impacts sur la biodiversité) et la nécessité de présenter des stratégies d’investissement alignées avec les objectifs relatifs à la biodiversité prévus dans le cadre de la Convention sur la diversité biologique : contribution à la réduction des pressions sur la biodiversité, élaboration d’un indicateur d’empreinte biodiversité…
De son côté, la taxonomie européenne a pour objectif d’identifier les activités durables répondant à des objectifs environnementaux. Parmi les six objectifs climatiques et environnementaux fixés, deux concernent directement la biodiversité : l’utilisation
durable et la protection de l’eau ainsi que la protection de la biodiversité et des écosystèmes.
Pour remplir ces conditions exigées de reporting, de nombreuses données vont être nécessaires et sont encore imparfaites, non harmonisées et incomplètes. Cependant, des bases de données dédiées existent, comme la méthodologie Global Biodiversity Score de CDC Biodiversité, permettant de mesurer la contribution des portefeuilles d’investissements aux impacts sur la biodiversité. Le Corporate Biodiversity Footprint (CBF) par exemple, donne comme résultat l’abondance moyenne des espèces par kilomètre carré tandis que la Science Based Targets Network pour la biodiversité se propose d’accompagner les entreprises dans le diagnostic de leur impact sur la biodiversité et de les aider à se fixer des objectifs de réduction de cet impact.
Nous en sommes convaincus, le système financier a un rôle à jouer pour avoir un effet de levier positif sur ce thème à travers les axes suivants :
• Flécher les flux financiers vers des activités économiques plus vertueuses et moins destructrices. La TNFD (Task Force on Nature- related Financial Disclosure) permet ainsi decadrer ces activités et présentera un premier cadre de reporting en 2022, qui sera finalisé et lancé en 2023. De plus, la COP15 de la Convention sur la diversité biologique (CDB) se tiendra en ligne en octobre 2021 puis en Chine en 2022 et fixera des objectifs intermédiaires biodiversité pour 2030.
• Mesurer la transition et s’assurer de l’alignement des portefeuilles avec les Accords de Paris.
• Aider à construire une architecture réglementaire. • Pour les sociétés de gestion en particulier, se doter de bases de données et d’outils de mesure du risque lié à la biodiversité pour l’intégrer dans leurs politiques d’investissement, engager le dialogue avec les entreprises sur ces sujets et développer une offre de produits dédiés pour préserver ou restaurer la biodiversité, via des
fonds thématiques par exemple.
Si quelques outils existent et sont déjà à la disposition des investisseurs, la collaboration entre les acteurs de la Place doit être maintenue et renforcée pour fixer et porter une vision commune des enjeux de biodiversité, afin de relever les défis qui sont nombreux.