par Stéphane Monier, Directeur des investissements chez Lombard Odier
A l’aube de la troisième année de pandémie, les économies développées ont connu un rebond rapide. Nous nous approchons de la seconde moitié du cycle économique, qui pourrait s’avérer plus compliquée en raison de la normalisation des politiques monétaires et budgétaires. Cependant, il n’existe aucun mode d’emploi post-pandémie. Nous nous attendons à une volatilité plus élevée, en ligne avec le risque de faux pas en matière de politique monétaire et budgétaire.
La reprise demeure incomplète et le rythme de l’expansion économique va inévitablement ralentir après avoir atteint des sommets exceptionnels. Nos perspectives en matière de croissance mondiale demeurent constructives. À moins que nous ne connaissions une nouvelle vague de contaminations due à un variant du Covid résistant aux vaccins, ou des événements géopolitiques majeurs, le risque d’assister à un ralentissement conjoncturel prononcé en 2022 paraît limité.
En 2021, l’inflation est devenue une préoccupation majeure. L’année prochaine, les facteurs qui soutiennent la poussée de l’inflation devraient passer des effets temporaires liés aux ruptures d’approvisionnement et à la demande latente des consommateurs, vers des hausses de loyers et de salaires, deux éléments qui accompagnent traditionnellement la phase de milieu de cycle. Ces nouvelles pressions pouvant perdurer, nous nous attendons à ce que la Réserve fédérale américaine et la Banque centrale européenne réagissent en relevant leurs taux directeurs de manière graduelle, dès 2023.
D’ici là, ce cycle exceptionnellement rapide aura mûri. Compte tenu de la normalisation de la politique monétaire et de la réduction des dépenses budgétaires, la marge d’erreur est réduite et les marchés financiers évalueront les risques en conséquence.
L’évolution de l’échiquier géopolitique peut également jouer un rôle dans la volatilité des marchés. Nous pensons ici aux tensions entre la Chine et les États-Unis, aux élections américaines de mi-mandat et aux relations nucléaires avec l’Iran. En Europe, les tensions entre le Royaume-Uni et l’UE subsisteront et, en avril, la France organisera ses élections présidentielles.
Parallèlement à un regain de volatilité, ce contexte offrira aux investisseurs des opportunités pour différencier les classes d’actifs, les secteurs et les régions. Par conséquent, une gestion active est essentielle pour sélectionner les expositions au risque les plus adéquates. Nous pensons que la soutenabilité sera un facteur clé de la performance des portefeuilles, et nous continuons à privilégier les entreprises dont les modèles d’affaires contribuent à la transition vers la neutralité carbone.
Dans la présente publication, nous exposons nos dix convictions pour ce cycle d’investissement unique.
1.Commencer à augmenter les liquidités dans les portefeuilles
La dynamique actuelle des marchés financiers est constructive pour les portefeuilles d’investissement. Toutefois, le cycle évolue rapidement. Une croissance économique forte, mais en ralentissement, et un resserrement progressif des politiques budgétaires et monétaires signifient que la volatilité devrait augmenter en 2022, tant en termes de fréquence que d’ampleur des replis boursiers potentiels. Compte tenu des valorisations élevées dans la plupart des classes d’actifs, les liquidités aideront les investisseurs à saisir les opportunités au moment où des baisses prononcées se produiront sur les marchés.
2. Continuer à réduire l’exposition aux obligations de qualité
Les obligations gouvernementales des marchés développés peuvent financer l’augmentation des niveaux de liquidités évoquée plus haut. L’inflation s’avère plus élevée que prévu et les banques centrales normalisent leur politique monétaire, tandis que les plans budgétaires des gouvernements impliquent que de nombreuses émissions obligataires sont nécessaires pour financer les déficits. Tous ces facteurs plaident pour des niveaux de taux plus élevés. Les rendements demeurent faibles, voire négatifs, et ne permettent pas de compenser les pertes potentielles découlant de cette remontée des taux. Le crédit de qualité (investment grade) des marchés développés est à peine plus intéressant. Tandis que les taux de défaillance restent bas et que la demande d’obligations de qualité demeure, les valorisations paraissent élevées, avec des spreads inférieurs à leurs moyennes à long terme et peu de marge de manœuvre pour une baisse.
3. La solidité des bénéfices préserve l’attrait des actions
Pour la première fois, les résultats des entreprises ont dépassé les attentes de bénéfices par action durant six trimestres consécutifs, avec des surprises positives affichant des pourcentages à deux chiffres. Mis en rapport avec les valorisations élevées actuelles, le niveau des bénéfices reste néanmoins attractif, offrant aux investisseurs une prime de risque légèrement supérieure à la moyenne sur 20 ans. De plus, dans une perspective historique, les multiples de valorisation constituent un faible indicateur de la performance à court terme. Au fur et à mesure de la progression du cycle économique, la dynamique d’amélioration des attentes bénéficiaires ralentira. Cependant, la reprise demeure incomplète et ce contexte favorise les actifs risqués. Au niveau régional, nous privilégions les titres paneuropéens, où les bénéfices et les valorisations disposent d’un potentiel de rattrapage supplémentaire par rapport aux marchés boursiers mondiaux.
4. Privilégier les actions cycliques et de type « valeur »
Durant cette phase du cycle économique, il convient de privilégier les titres de type « valeur» (value) dans les secteurs de l’énergie, des services financiers et de la construction automobile, ainsi que les valeurs cycliques des secteurs de l’industrie et des matériaux. Ces deux styles, tout comme les petites capitalisations, présentent encore des valorisations attrayantes, et nous pensons que la croissance mondiale, toujours forte, leur permettra de surperformer à court terme.
5. Orienter la surpondération des obligations des pays émergents en devises fortes vers l’Asie
Les obligations des marchés émergents en devises fortes offrent une opportunité de portage supplémentaire. Dans l’ensemble, les valorisations sont moins tendues que pour les autres segments du crédit, avec des spreads à peine plus larges que les moyennes historiques et un solide soutien des fondamentaux dans la plupart des économies émergentes. Récemment, les pressions sur l’immobilier chinois ont pesé sur ce segment. Si l’incertitude subsiste quant à l’issue de cette situation, les valorisations actuelles tiennent déjà compte de nombreux scénarios potentiellement négatifs. Nous orientons notre allocation vers l’Asie en privilégiant des expositions au crédit disloqué de la région.
6.Tenir compte d’un dollar plus fort et d’un euro plus faible
Nous anticipons un renforcement du dollar américain et un affaiblissement de l’euro. La devise américaine devrait s’apprécier au fur et à mesure que la politique monétaire de la Fed deviendra moins accommodante. L’euro devrait se déprécier par rapport à plusieurs devises, en raison de l’affaiblissement des flux de la balance des paiements de la zone euro et parce que la Banque centrale européenne pourrait normaliser sa politique plus lentement que les autres autorités monétaires. Nous tablons sur une baisse du taux de change EURUSD à 1,12 au premier semestre de l’année prochaine et un EURCHF évoluant entre 1,05 et 1,08.
7. Saisir les opportunités pour réduire l’exposition à l’or
Si une inflation élevée peut prévenir la chute des cours de l’or au cours du premier trimestre de 2022, une fois les effets de base absorbés, le ralentissement des pressions inflationnistes se traduira par une normalisation des taux réels. Ce qui devrait peser sur les actifs à faible rendement, tels que l’or. Alors que les niveaux actuels peuvent perdurer durant quelques mois, nous pensons que le cours de l’or baissera aux alentours de 1 600 USD l’once au deuxième trimestre 2022. Pour les investisseurs préoccupés par l’inflation, nous continuons à privilégier les indices globaux de matières premières et plus particulièrement les métaux industriels, les plus susceptibles de bénéficier de la décarbonisation et des programmes d’infrastructure.
8. Préférer la gestion tactique et active aux investissements passifs
L’année à venir sera marquée par des divergences croissantes en matière de politique monétaire. Dans l’univers des hedge funds, les stratégies macro devraient en profiter, étant donné le potentiel d’exploitation de la hausse des taux d’intérêt, la volatilité accrue et une plus grande divergence des performances des classes d’actifs. En période de turbulences sur les marchés financiers, la corrélation historiquement faible de ces stratégies avec les actifs traditionnels pourrait s’avérer un atout en matière de diversification. De même, la tendance favorisant l’investissement durable continuera à créer des opportunités pour les gérants actifs expérimentés.
9. Utiliser le regain de volatilité à son avantage
Au fur et à mesure que les marchés se normalisent, nous nous attendons à davantage de périodes de correction et à des performances plus modestes. Cela signifie que les investisseurs ont besoin d’un éventail plus large de stratégies de gestion. En utilisant une approche adéquate, la volatilité peut aider les investisseurs à gérer les risques et à générer des revenus, en tant qu’alternative aux traditionnels coupons obligataires. Nous voyons l’opportunité d’obtenir une prime en vendant des options d’achat (calls) sur le S&P 500, une stratégie qui permet de capitaliser sur la forte volatilité des Bourses américaines.
10. Se concentrer sur les investissements soutenables pour générer des rendements
Dans le sillage des engagements pris à l’occasion de la COP26 et de la crise énergétique actuelle, les flux financiers favorisent de plus en plus les investissements soutenables. Cette tendance est désormais bien établie. Nous pensons que la soutenabilité est un moteur essentiel de la performance financière. Inversement, tout échec dans les réponses apportées aux défis posés par la soutenabilité deviendra une source de risque. Les entreprises hautement exposées au risque environnemental et incapables de s’adapter font face à une instabilité croissante. Nous privilégions les entreprises dont les modèles d’affaires contribuent à la transition vers la neutralité carbone, soit en fournissant des solutions, soit en mettant en œuvre des mesures sérieuses pour endiguer la menace environnementale.