par Michel Salden, Responsable Matières Premières chez Vontobel
Alors que le monde est confronté à une crise énergétique, les matières premières ont été désignées comme les principales sources de menace d’une inflation plus durable. Si certains espèrent une amélioration rapide, il est fort possible que les prix d’un large éventail de matières premières énergétiques augmentent de manière plus soutenue, et ce pour trois raisons principales.
(1) La hausse de la demande de pétrole et de gaz se poursuivra à court et à moyen terme
Les banques centrales maintiendront probablement les taux d’intérêt réels à des niveaux négatifs, dès lors que les gouvernements ne pourront pas supporter de sitôt une forte augmentation des taux d’intérêt sur la dette considérable qu’ils ont accumulée. La faiblesse des taux d’intérêt, conjuguée à une forte reprise cyclique post-COVID dresse un tableau optimiste de la demande mondiale en matières premières.
L’économie chinoise est actuellement confrontée à un ralentissement significatif, principalement dans le secteur immobilier, qui a fait baisser la demande d’acier, de ciment et d’autres matériaux de base. Le secteur immobilier devrait toutefois retrouver des couleurs l’année prochaine, tandis que les exportations resteront soutenues et les mesures de relance du crédit devraient reprendre, autant d’éléments qui devraient permettre à la croissance chinoise de se maintenir à des niveaux modestes mais raisonnables. En outre, les pays émergents, qui sont les principaux consommateurs de matières premières, n’ont pour la plupart toujours pas retrouvé leurs niveaux de croissance d’avant la crise, en raison de la lenteur des campagnes de vaccination.
Les goulets d’étranglement logistiques et les contraintes pesant sur la chaîne d’approvisionnement ajoutent une pression supplémentaire, notamment sur la demande d’énergie, car l’intégralité du système de transport, y compris les camions, les trains et les avions, fonctionne à capacité maximale 24 heures sur 24 en consommant des combustibles fossiles. Lorsque la situation sera redevenue normale en ce qui concerne les voyages aériens internationaux, la demande de pétrole retrouvera le niveau de 2019, soit 100 millions de barils par jour, au quatrième trimestre. Les déplacements internationaux des voyageurs (vaccinés) pourraient en effet faire bondir la demande de carburant de 500.000 barils/jour en quelques mois seulement. Les autres moteurs de la demande de pétrole (transport routier et maritime, pétrochimie, chauffage) ont déjà dépassé les niveaux de 2019. Enfin, dans la mesure où le pétrole est moins cher que le gaz et le charbon sur les marchés asiatiques, nous anticipons une certaine transition de ces combustibles vers l’or noir dans le but de couvrir la demande de chauffage.
(2) Le pétrole et le gaz sont indispensables pour la transition vers l’énergie verte
Le pétrole et plus encore le gaz continueront de jouer le rôle de sources d’énergie relais jusqu’à ce que les énergies renouvelables aient gagné suffisamment de parts de marché pour satisfaire la soif d’énergie d’une population mondiale croissante. D’ici là, la demande de ces combustibles continuera de croître en chiffres absolus au cours des 10 à 20 prochaines années. En effet, le développement des capacités de production d’énergies renouvelables ne pourra pas suivre le rythme de la croissance de la consommation des matières premières. En outre, la plupart des pays non membres de l’OCDE visent à éliminer progressivement le charbon de leur mix énergétique en misant sur le pétrole et le gaz, ce qui accroît encore la demande. Plus important encore, le déploiement d’infrastructures d’énergie verte, telles que les parcs éoliens et les réseaux électriques, est particulièrement énergivore pendant la phase de construction, ce qui ne fera qu’accentuer la demande d’énergie.
(3) Le sous-investissement mondial dans les infrastructures énergétiques limite la capacité d’approvisionnement
L’industrie mondiale du pétrole et du gaz n’investit pas suffisamment dans les infrastructures énergétiques traditionnelles et ne parviendra pas à maintenir les niveaux de production actuels à l’avenir. Actuellement, le sous-investissement se chiffre à plus de 300 milliards de dollars par an en raison des politiques de désinvestissement et de la pression ESG exercée sur les compagnies pétrolières occidentales. Cela signifie que seule l’OPEP+ est en mesure d’augmenter la production de pétrole. Toutefois, au rythme actuel de hausse mensuelle de la production (+0,4 million de barils/jour), le cartel aura atteint sa capacité maximale en septembre 2022. D’ici là, l’OPEP + produira environ 48 millions de barils/jour, sans capacité supplémentaire permettant de couvrir les arrêts de production imprévus et les goulets d’étranglement dans les infrastructures.
Les pays hors OPEP seront également affectés par les pressions structurelles sur l’offre. Par le passé, le secteur du pétrole de schiste américain faisait office de producteur marginal dès que les prix de l’or noir commençaient à dépasser leur coût de production d’équilibre de 50-60 USD. Plus de 5 millions de barils/jour de capacité supplémentaire ont ainsi été introduits sur le marché. Les producteurs de pétrole de schiste sont désormais plus disciplinés. Ils ne cherchent plus à produire des volumes maximums et ne se montrent guère enclins à investir bien que le pétrole se négocie à 80 USD le baril aujourd’hui, principalement en raison des pressions ESG et de l’incertitude politique.
Le prix du pétrole pourrait atteindre 100 USD d’ici la fin 2022
L’augmentation de la demande conjuguée à de la diminution des capacités de production et des stocks fait grimper les prix de l’or noir, qui se dirigent vers les 100 USD d’ici la fin 2022. Seules de nouvelles vagues d’infections au COVID ou une improbable levée des sanctions imposées par les Etats-Unis et de l’UE à l’Iran, qui donnerait lieu à une injection de 1,6 million de barils/jour sur les marchés pétroliers mondiaux, pourraient empêcher l’or noir d’atteindre ce niveau. Les perspectives pour le gaz restent également positives. Si le gaz naturel a freiné la performance des indices de matières premières au cours de la dernière décennie (pire performance du complexe énergétique), il a apporté une contribution positive cette année (+90%). A l’avenir, le gaz et le gaz naturel liquéfié (GNL) sont susceptibles de jouer un rôle majeur en tant que matières premières de transition, ce qui aidera les marchés asiatiques dans leurs efforts d’abandon du charbon. En outre, les exportations de GNL des Etats-Unis augmenteront dans les années à venir, les marchés d’exportation internationaux s’étant avérés disposés à payer un prix plus élevé que les consommateurs nationaux. Etant donné que le pays ne développe pas d’infrastructures de stockage du gaz et que la croissance de la production a cessé pour les mêmes raisons que dans le pétrole de schiste américain, les marchés seront plus volatils que jamais. Les prix actuels du gaz naturel dépendent davantage des conditions météorologiques hivernales, mais pour l’année prochaine, le gaz américain dispose d’un potentiel de hausse supérieur à 30% si aucune nouvelle capacité de production et de stockage n’est ajoutée et si les conditions météorologiques sont moins favorables.