par Norman Villamin, Responsable des investissements pour la gestion privée à l’Union Bancaire Privée
La transition énergétique actuelle se distingue des précédentes. Pour la première fois de son histoire, l’humanité cherche à produire plus d’énergie avec moins de carbone – un objectif qui devrait nécessiter d’importants efforts les premières années de la transition.
Autrefois, les transitions énergétiques consistaient à développer des technologies permettant l’accès à davantage d’énergie à base de carbone avec moins d’efforts, et à supprimer les obstacles à la croissance économique découlant de l’offre de sources d’énergie existantes.
La transition énergétique à l’oeuvre aujourd’hui est différente. Pour la première fois, l’humanité cherche à produire plus d’énergie avec moins de carbone, et cet objectif devrait ainsi nécessiter d’importants efforts les premières années de la transition. L’énergie verte offre la promesse de coûts marginaux nuls. Toutefois, les technologies susceptibles de décarboner la chaîne de valeur énergétique (éolien, solaire, batteries) ne permettent pas encore de remplacer l’intégralité des infrastructures basées sur les énergies fossiles. Le solaire et l’éolien ne représentent que 3,3% de la consommation finale d’énergie globale, et il aura fallu plus de vingt ans pour atteindre ce résultat modeste.
Les transitions énergétiques ont duré des années, voire des décennies, et c’est sans compter les enjeux posés par la transformation à venir. En d’autres termes, il faut s’attendre à davantage de complexité, et comme nous pouvons déjà l’observer aujourd’hui, à une volatilité accrue. La complexité et la volatilité seront déterminées par le degré de réactivité et, espérons- le, d’anticipation de l’économie pour relever les défis futurs, déclencher l’innovation et créer de la valeur dans le sillage de la destruction de valeur que la transition impliquera inévitablement.
Pour l’heure, l’approche des enjeux climatiques reste essentiellement réactive. En effet, le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) estime que les températures sont déjà 1,2°C au-dessus des niveaux préindustriels, soit un niveau très proche du seuil de 1,5°C à ne pas dépasser dans les deux prochaines décennies. Face à l’économie mondiale toujours convalescente, l’approche réactive, bien qu’alarmante, est compréhensible dans le sens où elle allège, à court terme, la charge sur des économies durement touchées ces dernières années.
Cependant, alors que les phénomènes météorologiques extrêmes se multiplient, les marchés anticipent de futurs changements climatiques. Ainsi, compte tenu de la fréquence accrue des ouragans et des inondations qui touchent de plus en plus de régions aux Etats-Unis, les primes d’assurance devraient augmenter de 77% pour les quelque 5 millions de participants au ‘National Flood Insurance Program’. De même, en Europe, les banques ont tendance à réduire l’accès au crédit en raison des impacts climatiques.
Ces évolutions entraînent des dépenses d’infrastructure en vue d’atténuer les effets des phénomènes météorologiques futurs. Pour les sociétés offrant de telles solutions, ces opportunités, auparavant ponctuelles, se transforment en rentes puisque ces dépenses deviennent récurrentes et alimentent leur croissance.
Par ailleurs, en cette période de remplacement de l’énergie à base de carbone, la transition nécessitera davantage d’énergie à court terme tandis que la crise énergétique actuelle contraint certains pays à revenir provisoirement vers les combustibles fossiles à haute teneur en carbone, tels que le charbon. Toutefois, la crise déclenche des réactions chez les consommateurs qui, par exemple, investissent dans des panneaux solaires pour éviter les défaillances du réseau si la course aux combustibles fossiles devait se poursuivre.
Heureusement, ces mesures réactives pourraient s’accompagner de mesures proactives prises par les fabricants utilisant l’énergie éolienne et solaire ou les batteries à une échelle industrielle. Des décennies de croissance s’offrent à ceux qui ont la capacité de construire, d’installer et d’exploiter des actifs renouvelables, et l’infrastructure associée, même si la montée en puissance n’est pas simple et que les enjeux de demain peuvent être difficiles à identifier aujourd’hui. Le remplacement de la chaîne de valeur énergétique pourrait coûter USD 50’000 milliards.
En revanche, les modèles de développement qui reposent intégralement sur les combustibles fossiles sont voués à l’extinction à long terme, mais les entreprises ont justement une chance unique de faire évoluer leur structure. De nombreuses compagnies pétrolières et gazières sont précisément dans cette situation. En fait, la crise énergétique actuelle devrait les inciter à agir puisqu’elles peuvent utiliser les bénéfices générés par les combustibles fossiles pour redéployer leurs investissements traditionnels au profit des actifs renouvelables, ce qui leur permettrait de jouer un rôle déterminant dans la transition énergétique. A défaut, le déclin structurel l’emportera et leurs actifs auparavant productifs, générateurs de trésorerie, risquent de se transformer en «actifs échoués» («stranded assets»).
Alors que les entreprises peuvent prendre en main la transition énergétique (et sont de plus en plus nombreuses à le faire), les gouvernements et les responsables politiques auront également un rôle important à jouer – au-delà de la pression réglementaire qu’ils exercent pour stimuler la transformation – en diminuant le risque d’investissement.
Pour atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050, le remplacement de l’infrastructure énergétique mondiale nécessiterait, selon certaines estimations, pas de moins d’USD 50’000 milliards, soit davantage que les investissements requis pour industrialiser la Chine au cours des dernières décennies. Tout comme Pékin a profité de la baisse des taux d’intérêt pour financer à bon compte ses ambitieux programmes de dépenses, les dirigeants politiques devront sans doute proposer des coûts de financement attractifs pour inciter le secteur privé à investir et innover à une échelle hors de portée des gouvernements.