par Bastien Drut, Responsable de la Macro Stratégie Thématique chez CPR AM
C’est peu de dire que les taux monétaires européens étaient en hibernation jusqu’à récemment. En effet, l’€ster, qui a remplacé l’EONIA et qui représente le taux interbancaire au jour le jour non collatéralisé en zone euro, est resté dans une fourchette de 3 points de base (entre -0,59 % et -0,56 %) sur les 12 mois qui ont précédé la hausse de taux de la BCE en juillet 2022. La volatilité était donc extrêmement faible.
Avec les trois hausses de taux de la BCE depuis cet été (50 pbs en juillet, 75 pbs en septembre et 75 pbs en octobre), l’€ster a fortement augmenté et se trouve légèrement en dessous du taux de dépôt de la BCE, qui est désormais à 1,50 %.
Cette phase n’est vraisemblablement pas terminée car la BCE devrait continuer à relever ses taux directeurs sur les mois à venir dans le cadre de sa lutte contre l’inflation élevée.
Les taux monétaires se sont (légèrement) éloignés du taux de dépôt ces dernières années
Depuis 2015, l’écart entre les taux de marché et le taux de dépôt n’a cessé de se réduire. La raison est simple : les quantités de réserves excédentaires détenues par les banques commerciales européennes à la BCE n’ont fait que monter depuis que la banque centrale s’est lancée dans les politiques monétaires non-conventionnelles (taux négatifs, QE, opérations de refinancement de long terme). C’est cette abondance de liquidités qui a induit une pression baissière sur les taux de marché (abondance de prêteurs).
Les taux d’intérêt au jour le jour sécurisés (ou encore « taux de repo ») ont encore plus baissé par rapport au taux de dépôt en raison des pénuries de collatéral (collateral shortage) causées par les opérations de QE.
Deux facteurs principaux déterminent les montants de réserves détenues par les banques commerciales à la BCE :
- les opérations d’achats de titres à grande échelle (QE) financées par création de réserves. Les deux principaux programmes sont l’APP et le PEPP ;
- les opérations de refinancement de long terme (actuellement les TLTRO III).
Il y a donc une différence majeure avec la Fed pour laquelle le bilan a augmenté essentiellement à cause des opérations d’achats d’actifs (QE). La réduction de bilan de la BCE (ce que l’on appelle le Quantitative Tightening, QT) va donc porter sur deux niveaux.
Vers une réduction des liquidités excédentaires
Les montants de réserves détenues par les banques commerciales à la BCE sont destinés à baisser à partir de 2023, ce qui exercera une pression haussière sur les taux de marché par rapport au taux de dépôt, car :
- la BCE va probablement arrêter de réinvestir les titres de l’APP qui arrivent à maturité à partir du début de l’année 2023 et elle est censée ne plus réinvestir les titres du PEPP à partir de 2025 ;
- La BCE a annoncé lors du Conseil des gouverneurs d’octobre un durcissement des conditions des TLTRO III, qui devraient rapidement conduire à des remboursements anticipés.
Les remboursements de TLTRO auront à la fois pour conséquence une baisse des réserves excédentaires et un apaisement des pénuries de collatéral (car les opérations de refinancement mobilisent du collatéral). Cela devrait donc permettre à terme de faire converger l’€ster et les taux repo vers le taux de dépôt de la BCE.
La BCE a déjà connu une forme de QT en 2013 lorsque les banques ont remboursé de façon anticipée et massive les LTRO à 3 ans lancés au début du mandat de Mario Draghi. La raréfaction des réserves excédentaires avait induit une forte hausse de l’EONIA par rapport au taux de dépôt, qui s’était prolongée sur 2013 et 2014.
Néanmoins, il est peu vraisemblable que la baisse des réserves excédentaires soit aussi spectaculaire en 2023 qu’à l’époque.
Dans un discours centré sur le sujet[1] , l’économiste en chef de la BCE Philip Lane a souligné que les premières hausses de taux directeurs ne s’étaient que partiellement transmises aux taux de marché, et en particulier aux taux repo et aux taux gouvernementaux de maturité courte. Une première réponse de la BCE en septembre 2022 a consisté à suspendre jusqu’au 30 avril 2023 le plafond de rémunération des Trésors nationaux pour leurs comptes à la banque centrale (qui se situe au minimum de l’€ster et du taux de dépôt), pour éviter d’aggraver les déséquilibres sur le marché repo avec un afflux de nouveaux prêteurs, qui auraient encore plus fait baisser les taux de marché.
Parmi les autres solutions possibles, la BCE pourrait émettre des titres pour absorber de la liquidité (certificats de dette) ou pourrait mettre sur pied un mécanisme similaire aux reverse repo de la Fed (la BCE emprunterait). Bref, la question du pilotage du montant de réserves excédentaires détenues par les banques commerciales va donc assez rapidement devenir un sujet.