par Patrick Artus, directeur de la recherche et des études économiques, et Marie-Pierre Ripert, économiste chez Natixis
Quelles politiques économiques va-t-on maintenant observer aux Etats-Unis ?
- une politique monétaire très expansionniste (taux d'intérêt très bas, forte croissance de la base monétaire) visant à éviter l'arrêt du crédit, à financer directement les entreprises, à aider les fonds mutuels…
- une politique budgétaire très expansionniste, avec la croissance faible, le plan de sauvetage des banques, d'AIG, des Agences, probablement de l'industrie automobile, les aides aux emprunteurs.
Ces politiques devraient être maintenues au-delà de la période de crise :
- la croissance va être durablement faible, avec la fin du soutien de la croissance par la hausse de l'endettement ;
- les besoins d'investissement public si les Etats-Unis doivent être réindustrialisés (soutiens directs à l'industrie, construction d'infrastructures publiques) sont considérables ;
- d'autres dépenses publiques vont apparaître : assurance maladie…
Pour évaluer les effets de toutes ces politiques sur le déficit extérieur et la dette extérieure des Etats-Unis, il faut regarder comment elles affectent l'épargne et l'investissement. Certaines politiques (par exemple recapitalisations financées par émissions de dette publique) n'ont pas directement d'effets sur le déficit extérieur. Il reste qu'on s'attend à une hausse durable de ce déficit. Ceci pose la question de son financement. Le reste du Monde va-t-il accepter de financer le redressement des institutions financières et de l'industrie américaine, surtout si la Réserve Fédérale maintient des taux d'intérêt très bas et que la défiance vis-à-vis des actifs risqués ou complexes persiste ? Que se passe-t-il (ajustement de la courbe des taux, du dollar, des marchés d'actions…) si le reste du Monde devient réticent à réaliser ces financements ? On peut hésiter entre un scénario de hausse des taux d'intérêt à long terme aux Etats-Unis avec hausse des prix des actifs d'entreprise (crédit, actions) et un scénario de baisse du dollar.
La politique économique qui va être maintenant mise en place aux Etats-Unis est très expansionniste.
La politique monétaire se dirige vers des taux d'intérêt très bas, vers une croissance très rapide de la base monétaire (c'est-à-dire de la taille du bilan de la Réserve Fédérale).
Cette politique monétaire a comme objectifs :
- le soutien du crédit ;
- éventuellement, si le financement par les marchés est défaillant, le financement direct des entreprises ;
- le soutien des fonds mutuels (rachats d'actifs à ces fonds), d'AIG , du marché des ABS…
La politique budgétaire se dirige vers des déficits publics et des dettes publiques très importants.
Cette politique budgétaire très expansionniste vise :
- à soutenir la demande privée dans une perspective de croissance très faible ;
- à sauver les banques, les Agences, AIG ;
- à venir en aide aux emprunteurs immobiliers en difficulté ;
- peut-être, dans le futur, à venir en aide à d'autres industries (automobile…).
Nous pensons que les politiques monétaire et budgétaire des Etats-Unis vont rester durablement très expansionnistes, pour plusieurs raisons :
- la croissance des Etats-Unis va être durablement faible, puisqu'elle ne pourra plus être stimulée par la hausse de l'endettement des ménages, des banques, à un moindre degré des entreprises. La hausse des taux de défaut, la hausse des primes de risque révèlent l'excès des niveaux atteints pour les taux d'endettement. Le désendettement du secteur privé implique d'une part une faiblesse durable de la demande intérieure, d'autre part le besoin de taux d'intérêt très bas ;
- la réindustrialisation des Etats-Unis, qui est nécessaire pour sauver des emplois, soutenir les salaires, exigera non seulement des aides directes à certaines industries, mais aussi un énorme effort d'investissement en infrastructures ;
- d'autres dépenses publiques vont apparaître, en particulier dans le domaine de la santé.
Le freinage de la demande intérieure des Etats-Unis a permis une amélioration du commerce extérieur grâce au freinage des importations et à la poursuite de la progression des exportations, tirées par le dollar plus faible jusqu'au printemps 2008 et par la croissance des pays émergents.
Mais la perspective à moyen terme reste bien celle d'une poursuite de la dégradation tendancielle du commerce extérieur des Etats-Unis :
- la désindustrialisation des Etats-Unis (visible à la stagnation de la production manufacturière hors nouvelles technologies, aux pertes d'emplois industriels, à la faiblesse de l'investissement industriel) sera très difficile à inverser ;
- les politiques économiques très expansionnistes vues plus haut conduiront à un supplément de déficit extérieur :
– la politique monétaire très expansionniste fait disparaître l'incitation des ménages à épargner davantage. Si le taux d'épargne des ménages américains reste très faible, et si les déficits publics s'accroissent (voir plus haut), le taux d'épargne de la Nation diminue, ce qui conduit bien sûr à des déficits extérieurs plus importants ;
– la politique budgétaire très expansionniste contribue directement au déficit extérieur. Il faut cependant prendre garde : des émissions de titres publics qui financent des achats de titres privés (recapitalisation des banques par exemple) par le Trésor n'accroissent directement ni le déficit public, ni le déficit extérieur des Etats-Unis. Il s'agit d'une simple opération en capital du Trésor. Le Trésor lève des ressources en émettant des titres publics et les transfère au secteur privé en lui achetant des titres. Ceci accroît le besoin de financement du Trésor et réduit le besoin de financement du secteur privé. Le déficit extérieur des Etats-Unis est accru par les opérations qui conduisent à un déficit budgétaire (et non seulement à une hausse des émissions du Trésor, c'est-à-dire à une hausse de la dette publique).
Mais le déficit public des Etats-Unis va être accru, d'où la hausse prévisible du déficit extérieur. Cette hausse du déficit extérieur se verra à partir du moment où l'investissement en logements reviendra à un niveau plus normal à partir du niveau présent extrêmement déprimé.
Comment sera financé un déficit extérieur encore plus important des Etats-Unis ?
Nous devrions donc être confrontés dans le futur :
- à un déficit extérieur très important (plus qu'aujourd'hui) des Etats-Unis ;
- dans une situation de taux d'intérêt très bas aux Etats-Unis ;
- et de méfiance durable vis-à-vis des actifs financiers complexes.
Depuis le début de la crise financière, le financement du déficit extérieur des Etats-Unis se fait essentiellement par l'achat de titres publics par les Banques Centrales.
Avant le début de la crise, les non résidents étaient fortement acheteurs d'obligations d'entreprises, ce qui inclut les ABS, le crédit structuré, mais on peut penser que la crise a fait disparaître cette possibilité, avec le rejet des actifs financiers complexes par les investisseurs.
La problématique du financement du déficit extérieur des Etats-Unis est donc la suivante :
- Si le rejet des actifs financiers complexes et/ou risqués par les investisseurs se poursuit, le déficit extérieur (plus élevé encore dans le futur) des Etats-Unis devra continuer à être surtout financé par les Banques Centrales.
- Celles-ci vont-elles continuer à vouloir investir en obligations publiques alors que les taux d'intérêt sont très bas et que, on l'a vu aussi, le besoin de financement du secteur public se substitue au besoin de financement des ménages et à moindre degré des entreprises ?
Nous pensons que les Banques Centrales (où les autres investisseurs des pays excédentaires qui financent le déficit extérieur des Etats-Unis) vont comprendre que la dette publique des Etats-Unis devient non seulement très importante mais aussi plus risquée.
Nous pensons donc :
- que les politiques monétaire et budgétaire des Etats-Unis vont devenir et rester très expansionnistes ;
- que ceci va conduire à des déficits extérieurs encore plus importants des Etats-Unis après la fin de la crise immobilière ;
- que ces déficits extérieurs devront être financés essentiellement par les Banques Centrales des pays à excédents extérieurs (et par d'autres possibles investisseurs publics : fonds souverains…) ;
- que ces investisseurs publics des pays excédentaires réaliseront que la dette publique des Etats-Unis, dans laquelle ils investissent) est à la fois trop importante et plus risquée, puisqu'elle finance les besoins des ménages, des banques, d'autres institutions financières aux Etats-Unis.
Quelles sont alors, à l'équilibre, les conséquences pour les marchés financiers ?
Possibilité 1 : les investisseurs des pays excédentaires continuent d'acheter les titres publics émis aux Etats-Unis. Nous venons de dire que, progressivement, ces investisseurs devraient au contraire se détourner progressivement de ces titres en réalisant que la dette publique des Etats-Unis devient plus risquée. Si, cependant, ils continuaient sans réticence à accroître leur détention de dette publique américaine (ce qui n'est pas notre scénario), il n'y aurait pas de modification importante de l'équilibre financier.
Possibilité 2 : les investisseurs des pays excédentaires restent investis en actifs en dollars mais se reportent progressivement des titres publics (américains) vers les titres privés (américains). Il s'agit d'une réaction normale au fait que le gouvernement américain améliore la situation financière du secteur privé par des opérations (rachats d'actifs, recapitalisations…) financées par de l'émission de titres publics. Dans cette configuration :
- le montant d'achat de titres en dollars n'étant pas affecté, il n'y a pas d'effet négatif sur le dollar ;
- le passage des investisseurs des titres publics en dollars vers les titres privés en dollars conduit à l'inversion du mouvement observé pendant la crise : il y aurait pentification de la courbe des taux par la hausse des taux d'intérêt à long terme, resserrement des spreads de crédit, hausse du marché des actions ; il y aurait poursuite du resserrement des swap-spreads.
Possibilité 3 : les investissements des pays excédentaires se détournent des actifs en dollars vers des actifs en d'autres devises devant l'aggravation du déficit extérieur des Etats-Unis. Il y aurait alors dépréciation du dollar vis-à-vis de l'euro, des monnaies des émergentes.