par Mike Carey, Peter Chatwell, Frederik Ducrozet, Hervé Goulletquer, Dariusz Kowalczyk et Daragh Maher, économistes au Crédit Agricole
- Les intervenants de marché sont confrontés à un manque de visibilité quant au rythme de croissance à court terme, en particulier pour les économies développées.
- Nous ne pensons cependant pas que l’économie mondiale soit sur le point de retomber en récession.
- Un scénario de rechute de l’économie (double-dip) – qui n’est pas notre scénario central – ferait probablement baisser davantage les taux, mais le potentiel de hausse du prix des obligations est assez limité, en particulier pour les maturités courtes.
par Mike Carey, Peter Chatwell, Frederik Ducrozet, Hervé Goulletquer, Dariusz Kowalczyk et Daragh Maher, économistes au Crédit Agricole
- Les intervenants de marché sont confrontés à un manque de visibilité quant au rythme de croissance à court terme, en particulier pour les économies développées.
- Nous ne pensons cependant pas que l’économie mondiale soit sur le point de retomber en récession.
- Un scénario de rechute de l’économie (double-dip) – qui n’est pas notre scénario central – ferait probablement baisser davantage les taux, mais le potentiel de hausse du prix des obligations est assez limité, en particulier pour les maturités courtes.
- Si les Etats-Unis étaient les premiers à retomber en récession, le dollar aurait beaucoup de difficulté à trouver un support, du moins dans un premier temps. Mais à mesure que la récession se propagerait à l’Europe et au reste du monde, le billet vert retrouverait de son attrait en tant que valeur refuge.
Manque de visibilité
Les intervenants de marché sont confrontés à un manqué de visibilité quant au rythme de croissance à court terme, en particulier pour les économies développées. Dans notre scénario central, la première phase d’accélération liée au redémarrage mécanique de l’activité, lui-même aidé par l’action volontariste des pouvoirs publics, laisse progressivement place à une phase de consolidation caractérisée par une croissance ralentie, plus en ligne avec les fondamentaux économiques, mais aussi plus autonome. Mais des freins structurels existent et pourraient mettre en péril cet enclenchement naturel des différentes étapes de la reprise.
Les deux défis principaux auxquels les économies développées vont devoir faire face sont liées à la contrainte de désendettement et la nécessité de revenir vers des politiques, monétaire et budgétaire, plus neutres. Les deux comportent des risques.
L’impact de la réduction de la dette sur la croissance n’est pas connu avec exactitude. La chute du marché immobilier américain, les problèmes de l’industrie bancaire européenne ou des dettes souveraines dans les pays développés soulignent les fragilités de la reprise en cours. Le risque d’erreur de politique économique ne peut pas être exclu.
Peut-on à la fois favoriser la croissance, réduire le déficit public et normaliser la politique monétaire ? Bien que tous ces problèmes structurels délicats méritent l’attention, il ne faut pas oublier le pouvoir du cycle conjoncturel. Le passage d’une phase du cycle à une autre affecte généralement le rythme de croissance. Aujourd’hui, de nombreux pays passent ainsi d’une phase de reprise à une phase de consolidation. Cela suggère une croissance plus durable, mais la fin de la reconstitution des stocks et la diminution de l’impact des politiques de soutien à la croissance mises en place auparavant constituent des éléments modérateurs.
Il nous semble que ce cheminement vers une croissance autoentretenue n’est pas menacé au point de faire replonger l’économie mondiale en récession.
Pas de rechute de l’économie dans notre scénario central
Notre scénario central pour les Etats-Unis table sur une reprise molle, inférieure au potentiel.
Nous estimons cependant que la probabilité d’une nouvelle récession dans les prochains trimestres aux Etats-Unis est relativement faible.
Cependant, les indicateurs d’activité publiés récemment aux Etats-Unis ont tendance à surprendre défavorablement, ce qui inquiète les marchés. Une progression décevante de l’emploi privé a été enregistrée au cours du mois écoulé, la confiance des consommateurs donne des signes de faiblesse, les ventes de véhicules ont été faibles en juin et les mises en chantier et les ventes de logements ont payé un lourd tribut à l’arrêt de l’incitation fiscale pour les acheteurs. Par ailleurs, les conditions financières se sont généralement dégradées, avec une baisse des actions et un élargissement des spreads de crédit.
Des développements positifs sont toutefois à signaler, avec notamment un affaiblissement du dollar, une baisse des taux des emprunts du Trésor et un recul des prix de l’énergie. Le faible degré d’utilisation des ressources devrait conduire à une baisse de l’inflation sous-jacente qui va continuer à soutenir les revenus réels et les dépenses. Face à ces pressions de nature désinflationnistes, la Fed devrait maintenir ses taux à des niveaux bas pour une période prolongée, soutenant en retour la reprise.
Les commandes de biens d’équipement hors défense et aéronautique (un bon indicateur des intentions d’investissement) restent bien orientées. Ceci conforte notre diagnostic selon lequel le soutien apporté initialement à la croissance par les dépenses publiques et la reconstitution des stocks va être relayé par un socle solide – quoique sans éclat – de dépenses de consommation des ménages et d’investissement des entreprises.
L’amélioration même timide du marché du travail devrait soutenir les revenus des ménages et la consommation. Les périodes de faibles créations d’emplois en phase de reprise ne sont pas inédites. Il n’est pas surprenant que cette reprise connaisse des à-coups, mais cette irrégularité n’est pas synonyme de récession. Les ventes en magasin ont légèrement augmenté au mois de juin, grâce à la progression des ventes chez les discounters et dans les magasins de luxe Cette tendance laisse penser que les consommateurs ayant un pouvoir d’achat contraint sont à la recherche des meilleurs prix tandis que les hauts revenus ne lésinent pas à la dépense.
La Chine va continuer à jouer un rôle moteur. La croissance chinoise1 devrait atteindre 10% en 2010 et légèrement ralentir à 9% en 2011. Elle tombera légèrement en dessous de 8% en glissement annuel au premier trimestre 2011. Notre optimisme repose sur le fait que la demande privée domestique reste forte, avec une croissance toujours très soutenue des ventes au détail. Les investissements ont aussi fortement progressé et le gouvernement a démontré sa capacité à soutenir rapidement la croissance lorsque la demande agrégée pâtissait d’un choc externe. Le niveau relativement bas du ratio dette/PIB et le contrôle de l’Etat sur les banques locales garantissent la capacité des autorités à financer les plans de relance en cas de nécessité.
En zone euro, nous prévoyons une croissance de 0,9% en 2010 et 1,2% en 2011. Bien que la reprise s’annonce inégale d’un secteur à l’autre et d’un pays à l’autre, plusieurs éléments nous amènent à exclure un scénario de rechute.
Premièrement, la tendance de la croissance mondiale reste clairement positive. Les indicateurs avancés suggèrent un ralentissement de la croissance au second semestre 2010, mais il faudrait qu’ils s’effondrent pour suggérer une récession. La demande globale devrait continuer à soutenir les exportations européennes.
Deuxièmement, les conditions monétaires et financières devraient continuer à soutenir l’activité. En plus du niveau très bas des taux directeurs et d’une liquidité toujours abondante, la baisse de l’euro devrait ajouter environ 1% de croissance dans les dix-huit prochains mois.
Troisièmement, le redressement des finances publiques ne devrait pas – à lui seul – entraîner une rechute de l’économie. La politique budgétaire va rester neutre en 2010 et l’essentiel de l’effort budgétaire devrait avoir lieu en 2011, période où la croissance économique sera plus équilibrée et durable.
Quatrièmement, nous prévoyons un apaisement progressif des tensions sur les dettes souveraines. Les dernières mesures de consolidation budgétaire paraissent suffisantes pour remettre les dettes publiques sur des trajectoires soutenables. Les données budgétaires récentes montrent que presque tous les pays atteindront leurs objectifs pour l’année 2010 et les adjudications récentes de dette publique se sont généralement bien passées. Si nécessaire, le Fonds Européen de Stabilisation Financière (FESF), le programme d’achat de titres de la BCE et ses mesures exceptionnelles de liquidité fourniront un filet de sécurité en avançant des fonds aux pays de la zone euro en difficulté. La publication des résultats des stress tests le 23 juillet devrait également rassurer les marchés. La décision de publier les résultats banque par banque a été bien accueillie par les marchés et, bien que tout ne soit pas réglé, nous pensons que ceci contribuera à réduire l’incertitude et à accroître la confiance dans le secteur bancaire de la zone euro.
Les grandes lignes d’un scénario de double-dip
Les deux éléments clés qui pourraient précipiter une rechute de l’économie américaine sont : (1) une période prolongée de faiblesse de l’emploi et (2) un changement trop brusque de la politique budgétaire, qui pèserait trop rapidement sur la demande agrégée. Notre sentiment est que le gouvernement est conscient du danger, mais le Congrès a la main sur le niveau des dépenses publiques et n’est actuellement guère enclin à les augmenter (même pour les allocations de chômage).
Ces deux éléments pourraient se renforcer mutuellement et plonger l’économie en récession. Ce scénario de double-dip devrait se traduire par une période de déflation (baisse simultanée du PIB et des prix), que la Fed combattrait agressivement avec davantage d’assouplissement quantitatif, l’arme des taux étant déjà épuisée.
Un retour en récession dans les pays développés aurait un impact négatif sur la Chine, essentiellement par le biais des exportations. Les marchés développés restent un débouché important des exportations chinoises, les Etats-Unis comptant pour 17,5%, la zone euro pour près de 15% et le Japon pour 8%. La récession mondiale de 2009 a provoqué une chute de plus de 15% des exportations chinoises, et une diminution d’un tiers de l’excédent commercial, abaissant la croissance de 4 points.
Entre le premier trimestre 2008 et le deuxième trimestre 2009, la croissance chinoise a baissé de 5% quand le PIB américain ne baissait que de 3,7%, ce qui illustre l’importance des chocs externes.
Pour contrer cette inflexion cyclique, la Chine ne devrait pas se servir de l’outil des taux dans la mesure où les autorités n’ont pas encore repris le stimulus monétaire concédé du temps de la crise financière. Cependant, la liquidité – drainée partiellement au cours des douze derniers mois – augmenterait à nouveau, via notamment une baisse du ratio des réserves obligatoires. Il s’en suivrait une baisse des taux monétaires et des taux de swap, qui annulerait une partie de la hausse survenue depuis les points bas de 2008.
L’appréciation du yuan à toutes les chances de faiblir en phase avec le ralentissement mondial et la devise chinoise pourrait de nouveau arrimée au dollar (comme elle l’avait été mi-2008) en cas de choc sévère, les NDF (Non-Deliverable Forwards) tablant alors sur une dépréciation du yuan.
L’impact d’un double-dip sur les marchés de taux
Même si nous ne croyons pas à une rechute de l’économie, il est intéressant de regarder à quel point un tel scénario est déjà intégré dans les prix afin d’en tirer des conclusions pour les marchés de taux. Quelle que soit la mesure retenue (voir par exemple le document récent de la Fed de Cleveland sur le sujet), la probabilité d’un nouveau ralentissement, voire d’une récession, a fortement augmenté depuis la fin du premier trimestre.
Examinons tout d’abord quelques relations bien établies, telles que celle qui existe entre la conjoncture dans le secteur manufacturier et la partie intermédiaire de la courbe des taux swap. Très simplement, les taux intermédiaires (typiquement le swap cinq ans) en euro et en dollar sont très bas eu égard au niveau actuel des indices PMI et ISM. De ce point de vue, on peut considérer que ces taux intègrent dès aujourd’hui une forte probabilité de rechute de l’économie.
Les forwards de taux courts suggèrent également un maintien prolongé des taux directeurs à leur bas niveau actuel que ce soit pour la BCE ou la Fed. Les forwards Eonia, ont fortement augmenté pour les maturités courtes, après la demande plus faible qu’anticipé à la dernière opération de refinancement à trois mois de la BCE, mais la courbe est restée très plate et n’anticipe pas de hausse de taux. Cela suggère que le risque de rechute tire le niveau des forwards vers le bas.
Le risque directionnel est selon nous asymétrique. Nous ne considérons pas qu’un double-dip soit entièrement pris en compte dans les prix – si tel était le cas, les taux seraient encore plus bas. Il semble, en effet, que la faiblesse des taux tient en partie à des achats refuge réalisés dans le sillage de la crise des dettes souveraines. En cas de scénario économique baissier, Le potentiel de hausse du prix des obligations est cependant assez limité, en particulier pour les maturités courtes. À l’inverse, un scénario de reprise, fût-elle modérée, n’est pas suffisamment pris en compte dans les prix.
Double-dip et marchés des changes
À certains égards, le comportement récent sur les marchés illustre la dynamique qui se mettrait probablement en place si le nouveau plongeon en récession était initié aux Etats-Unis. Si les Etats-Unis sont au centre des préoccupations, les inquiétudes concernant le cycle américain vont prévaloir sur les achats de type refuge. Nous avons pu observer ce phénomène après la publication récente de données décevantes sur l’immobilier américain, qui montraient une forte chute de l’activité consécutive au retrait des mesures de soutien. Si un tel accès de faiblesse affectait différents secteurs de l’économie américaine, le dollar peinerait à trouver le moindre support. Pour les autres devises, l’impact ne serait pas homogène.
Les devises les plus sensibles au risque – celles des pays producteurs de matières premières, des pays scandinaves et de nombreux marchés émergents – connaîtraient un sort semblable au dollar, tandis que les valeurs refuge traditionnelles, le franc suisse et le yen s’apprécieraient probablement. L’euro et la livre se retrouveraient dans des situations intermédiaires.
Cependant, ce schéma ne s’appliquerait que dans la phase initiale tant que la récession ne toucherait que l’économie américaine. Mais à mesure que le ralentissement de l’économie prendra un caractère global, le dollar va retrouver son statut de valeur refuge. Des scénarios de croissance plus pessimistes en dehors des Etats-Unis, devraient, en effet, peser sur des devises telles que la livre et l’euro. Le rôle de valeur refuge du franc suisse et du yen continuerait à jouer, mais le potentiel de hausse de ces monnaies risque d’être limité en raison de possibles interventions de la part des autorités, soucieuses de l’impact d’une devise forte sur leur économie en voie d’affaiblissement. Les devises à risque continueraient à souffrir pendant cette seconde phase, mais le rythme de leur baisse contre le dollar pourrait aller en s’amplifiant compte tenu des achats refuge de dollar.
NOTES
1 Dans le cas de la Chine, la signification de la ‘rechute’ (double-dip) n’est pas la même, il ne s’agit pas d’une récession. Nous la définissons comme un brusque ralentissement, à n’importe quel trimestre, de la croissance en glissement annuel à un niveau nettement inférieur à l’objectif gouvernemental de 8%. Pendant la « grande récession » de l’économie mondiale, la croissance chinoise a été clairement inférieure à 8% pendant deux trimestres : elle était tombée à 6,8% a/a au dernier trimestre 2008 (déclenchant le plan de soutien de 585 Mds USD) et avait atteint un point bas à 6,2% au premier trimestre 2009 avant de remonter par la suite.
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