par Augustin Vincent, Responsable de la recherche ESG chez Mandarine Gestion
La montée en puissance du nucléaire dans le contexte énergétique, économique et géopolitique mondial est devenue un sujet incontournable. Alors que les objectifs de décarbonation accélèrent la transition vers une énergie plus propre et fiable, plusieurs pays clés réévaluent leur position sur cette technologie controversée.
Malgré un passé marqué par des incidents et des préoccupations environnementales légitimes, les investissements croissants suggèrent une réhabilitation progressive du nucléaire dans les stratégies énergétiques actuelles.
Le nucléaire sous le prisme de l’ESG : entre opportunités et controverses
Le nucléaire cristallise un paradoxe au sein de l’Europe et du monde de la finance durable. Sur le plan environnemental, il se distingue par sa faible empreinte carbone, contribuant efficacement à la lutte contre le réchauffement climatique. Cependant, la gestion des déchets radioactifs, les quantités d’eau nécessaires pour refroidir les réacteurs et les coûts élevés de démantèlement, autant d’interrogations quant à son réel impact écologique.

Sur le volet social, la sûreté nucléaire reste un défi majeur. Les catastrophes de Tchernobyl en 1986 et Fukushima en 2011 rappellent les conséquences potentielles d’un accident sur les populations et les écosystèmes. De plus, l’acceptabilité sociale varie selon les régions, avec une opposition marquée dans certains pays européens.
Enfin, en termes de gouvernance, la transparence et la responsabilité des acteurs du nucléaire sont essentielles pour garantir une gestion rigoureuse des risques et assurer une production durable. Des efforts continus en matière de réglementation et d’innovation sont nécessaires pour renforcer la confiance des investisseurs.
Nucléaire et taxonomie verte : la question qui tend les relations franco-allemandes
En Europe, l’inclusion du nucléaire dans la taxonomie verte de l’Union européenne depuis seulement 2023 illustre la complexité du débat. Si certains États, comme la France, défendent son rôle stratégique dans la transition énergétique, d’autres pays, tels que l’Autriche et l’Allemagne, contestent cette classification.
La bataille juridique engagée devant la Cour de justice de l’Union européenne reflète cette divergence, en témoigne les Verts en Allemagne qui accusent la Commission européenne de greenwashing en qualifiant le nucléaire de « solution durable ».
En parallèle, les trois dernières centrales nucléaires encore en service en Allemagne, d’une puissance totale nette de 4055 MW, ont été arrêtées définitivement le 15 avril 2023, soit 21 ans après la décision de sortir de l’électronucléaire.
En France, dans le cadre des investissements du plan France 2030, la filière nucléaire bénéficie de 1,2 milliard d’euros de fonds publics pour développer une industrie nucléaire souveraine et durable, en accélérant sur l’innovation, l’émergence de nouveaux réacteurs nucléaires de petite taille et la formation aux métiers du nucléaire.
Cependant, à Berlin (comme à Rome), sous perfusion de Moscou pour l’approvisionnement en gaz depuis de nombreuses années, le retour du nucléaire n’est plus un tabou. Rien n’est encore acté et le conflit avec la Russie pourrait plutôt profiter à un autre combustible que l’uranium, bien plus néfaste pour le climat : le charbon.
Impact sur les investissements ESG : entre exclusion et intégration
Cette opposition influence directement les stratégies d’investissement des fonds ESG, souvent contraints par les lignes directrices des labels nationaux. En Autriche et en Allemagne, les certifications de finance durable excluent systématiquement le nucléaire, réduisant son attractivité pour les capitaux privés. À l’inverse, d’autres acteurs, notamment les gestionnaires d’actifs, considèrent le nucléaire comme un levier essentiel de la transition énergétique, intégrant des entreprises spécialisées dans leurs portefeuilles.
Parmi les entreprises de la filière nucléaire, GE Vernova (réacteurs), Spie (maintenance), Veolia Environnement (traitement des déchets nucléaires) ou encore Dassault Systèmes (conception et optimisation de projets) figurent parmi les opportunités d’investissement que nous privilégions dans cette industrie.

Perspectives : vers une réintégration généralisée de l’atome ?
L’avenir du nucléaire dans la finance durable dépendra de plusieurs facteurs clés :
- L’innovation technologique, notamment le développement des petits réacteurs modulaires (SMR), perçus comme plus sûrs et plus flexibles.
- L’amélioration du traitement des déchets, réduisant l’impact écologique à long terme.
- Le renforcement des normes de sûreté, pour rassurer les investisseurs et le grand public.
Si ces défis sont relevés, le nucléaire pourrait progressivement gagner en légitimité au sein des portefeuilles ESG (Environnement, Social, Gouvernance) et représenter un pilier incontournable de la transition énergétique. En effet, le nucléaire offre une source d’énergie à faible émission de carbone, capable de fournir une production stable et continue, ce qui est essentiel pour compenser les intermittences des énergies renouvelables comme le solaire et l’éolien. Les investisseurs devront suivre de près ces évolutions pour évaluer la place du nucléaire dans un avenir énergétique durable.