par Philippe Waechter, directeur de la recherche économique de Natixis AM
La crise n'en finit pas de jouer les prolongations. La phase de relance mise en place de manière concertée au tournant de l'année 2009 avait permis à l'économie globale de sortir d'une récession sans précédent depuis la Seconde Guerre mondiale. La dynamique des indicateurs d'activité s'était inversée et améliorée rapidement.
Mais cette reprise n'a pas été suffisante : les relais de croissance ont manqué et le cercle vertueux tant attendu tarde à se mettre en place.
À l'homogénéité des réponses faites à la récession post-crise de Lehman Brothers s'oppose aujourd'hui une hétérogénéité marquée. les spécificités locales qui avaient été "gommées" grâce à l’intervention coordonnée des autorités sont à nouveau perceptibles. si cela peut être positif (comme cela semble être le cas pour l'Allemagne et sa capacité particulière à capter la dynamique des échanges internationaux de biens), cela peut également être pénalisant pour l'activité, comme dans le cas de l'immobilier américain. une chose est sûre néanmoins au niveau mondial : de nombreux challenges vont devoir être relevés dans les mois à venir…
La dynamique globale
Depuis le printemps 2010, l'activité économique globale continue de progresser mais n'accélère plus. il est désormais nécessaire de trouver localement des relais à la dynamique globale qui avait été mise en place via l’étroite coordination des politiques économiques.
Cette inflexion s'observe sur la production industrielle mondiale qui augmentait au rythme annualisé de 13,4 % au premier trimestre et qui ne progresse plus que de 8,3 % au deuxième.
Le profil du commerce mondial est similaire. le changement de tendance du printemps se reflète dans l'enquête mondiale sur l'activité du secteur manufacturier. Après un rebond spectaculaire jusqu'en avril 2010, l'indice qui synthétise l'ensemble des enquêtes s'est infléchi.
Le rebond brutal de l'activité suivi d'un ralentissement est habituel. Ce qui est préoccupant ici est que l'inflexion se manifeste d'abord en Asie qui a été la première région à redémarrer et la seule à avoir aujourd'hui une activité supérieure à celle d'avant la récession. si ce changement de tendance devait durer, c'est l'ensemble de l'activité mondiale qui serait fragilisé.
Cette situation nouvelle doit obliger les autres zones géographiques à prendre le relais. la dynamique va changer et probablement davantage se recentrer sur chaque économie.
Quelle reprise américaine ?
Sous l'effet du plan de soutien à l'activité et de la reprise des échanges internationaux, la croissance américaine était repartie rapidement. La profitabilité des entreprises s'était améliorée et elles avaient recommencé à investir.
Ce processus, généralement constaté par le passé lors des phases de reprise, était satisfaisant pour les observateurs qui y voyaient les prémices d'un mouvement plus durable.
Cependant, l'emploi est resté le point noir. Son repli durant la récession a été bien supérieur à celui de l'activité et la reprise s'est quasiment opérée sans générer de créations d'emplois. Le mouvement d'amélioration du marché du travail constaté depuis la fin de l'année 2009 n'est pas suffisant pour réduire les contraintes auxquelles les ménages doivent faire face. En effet, ceux-ci restent très endettés (leur endettement représente 125 % de leur revenu au second trimestre 2010) avec, en contrepartie, un actif immobilier pour lequel le marché a perdu toute fluidité et toute liquidité. Cela incite les ménages à épargner. Seule l'amélioration durable du marché du travail permettrait de réduire ces contraintes et faciliterait le retour vers une croissance plus équilibrée.
Jusqu'à la fin de l'année, deux interrogations vont poindre aux États–Unis :
- La première est de savoir si les entreprises peuvent maintenir leur dynamique d'investissement face à une demande moins robuste. Spontanément la réponse est négative et ce sera un des enjeux majeurs de la fin de l'année. Les anticipations d'activité seront donc importantes et les autorités joueront un rôle clé.
- La seconde interrogation porte sur le comportement des autorités américaines. un plan de soutien supplémentaire de l'administration permettrait de modifier les anticipations des acteurs économiques (prolongation des baisses d'impôts décidées par Bush en 2001 et qui arrivaient à échéance en 2011). Si ces mesures mettent l’accent sur les PMe, cela devrait permettre de redonner de la vigueur au tissu économique local qui a beaucoup souffert pendant cette crise.
La Federal Reserve doit aussi modifier les anticipations des acteurs économiques en favorisant la mise en place d'anticipations d'inflation afin de réduire le coût du capital. L'enjeu de ces discussions sera perceptible au cours des prochains mois. il portera sur la capacité de l'économie à échapper au scénario de croissance lente et peu créatrice d'emplois.
Les décisions de politique économique et l'impact qu'elles auront sur les anticipations de l'ensemble des acteurs économiques seront au cœur des analyses des prochains mois.
L’hétérogénéité en Europe
La situation européenne est contrastée. Le rebond singulier de l'activité en Allemagne au deuxième trimestre cohabite avec une contraction vive de l'activité en Grèce, un taux de chômage à 20 % en Espagne et une activité qui progresse à un rythme modéré en Italie comme en France.
Cette dynamique disparate a pris forme et s'est renforcée alors que les marchés financiers rencontraient des tensions importantes et que les gouvernements mettaient progressivement en place des politiques de consolidation budgétaire.
Les modèles ne sont donc pas unifiés.
- L’Espagne et l'Irlande cherchent encore le modèle qui leur permettra de retrouver une croissance plus durable et robuste après "l’implosion" de leur marché immobilier ;
- La Grèce et le Portugal sont attentifs à la réduction de leur déficit public qui jouait pourtant un rôle clé dans la dynamique de l'économie locale ;
- La France et l'Italie retrouvent le chemin d'une expansion modérée (mais sans accélération remarquable qui replacerait spontanément ces pays sur une dynamique cyclique plus favorable) ;
- L'Allemagne a quant à elle bénéficié de la reprise rapide et forte du commerce mondial. Cet ensemble plutôt hétérogène a pu retrouver progressivement une orientation plus positive en raison d'un environnement global favorable et s’appuie sur la capacité de l'Allemagne à le capter.
La question qui se pose est donc double :
- Les relais européens pour prolonger cette phase sont-ils bien en place, notamment sur le marché du travail ? Ceci n'est pas encore certain, mais on constate une amélioration des perspectives d'emploi dans les enquêtes auprès des chefs d'entreprise. L’enjeu des prochains mois est d'observer la robustesse de la dynamique interne si l'environnement global est moins porteur. Cet enjeu est important surtout si la progression de l'activité est moins vive en Asie.
- Quel impact aura la consolidation budgétaire ? Ces mesures restrictives qui viendront s'appliquer à de nombreux pays et que l'on constate déjà en Espagne, en Grèce ou en Irlande, risquent d'affaiblir la demande interne et, de fait, limiter la croissance.
Les incertitudes sont encore fortes en Europe avec, pour conséquence immédiate, le maintien de taux d'intérêt très bas du côté de la Banque Centrale européenne.
L'incertitude globale toujours significative et la consolidation budgétaire ne feraient pas bon ménage avec une politique monétaire moins accommodante.
Conclusion
Les incertitudes sur le profil de l'économie globale ne sont pas encore totalement levées. La dynamique des pays émergents apparaît moins robuste depuis la fin du printemps alors que les pays industrialisés peinent à trouver des relais internes pour alimenter leur expansion.
Ceci a deux conséquences liées : les risques sur l'inflation sont toujours très réduits en l’absence de tension sur l'appareil productif et les taux d'intérêt resteront bas encore un long moment.