Chômage en zone euro : les traces de la crise

par Clemente De Lucia, économiste chez BNP Paribas

  • La crise a durement affecté le marché de l’emploi en zone euro. Mais, bien qu’importante, la baisse des effectifs aurait pu être plus marquée, notamment au regard des récessions précédentes.
  • Cette relative résistance est en partie due aux mesures prises par les gouvernements, favorisant la réduction du temps de travail pour essayer de préserver l’emploi.
  • Le taux de chômage n’a pas augmenté autant qu’on aurait pu le penser. A 10 %, il atteint tout de même son niveau le plus élevé depuis la création de l’UEM.
  • Surtout, on peut craindre que, même atténué, le choc ne laisse derrière lui davantage de chômage structurel, via l’effet dit d’“hystérésis”.

par Clemente De Lucia, économiste chez BNP Paribas

  • La crise a durement affecté le marché de l’emploi en zone euro. Mais, bien qu’importante, la baisse des effectifs aurait pu être plus marquée, notamment au regard des récessions précédentes.
  • Cette relative résistance est en partie due aux mesures prises par les gouvernements, favorisant la réduction du temps de travail pour essayer de préserver l’emploi.
  • Le taux de chômage n’a pas augmenté autant qu’on aurait pu le penser. A 10 %, il atteint tout de même son niveau le plus élevé depuis la création de l’UEM.
  • Surtout, on peut craindre que, même atténué, le choc ne laisse derrière lui davantage de chômage structurel, via l’effet dit d’“hystérésis”.
  • Certaines études montrent que, lorsque sa composante de longue durée augmente, le chômage exerce moins de pression à la baisse sur les salaires et les prix.

 

En 2008 et 2009, l’économie de la zone euro a été confrontée à sa pire récession d’après-guerre. Entre le premier trimestre 2008 et le deuxième trimestre 2009, le PIB a reculé de plus de 5 %, une contraction bien plus importante qu’au cours des récessions précédentes. Depuis, le PIB a retrouvé son expansion et la reprise s’est accélérée au premier semestre 2010. Mais il faudra encore du temps avant un rétablissement complet. L’histoire montre, en effet, que les récessions dues à des crises financières sont particulièrement sévères et ont tendance à durer plus longtemps.

Un choc inégalement ressenti…

La gravité de la récession a provoqué un net ajustement de l’emploi, quoique avec un certain décalage par rapport à la production. C’est, en particulier, dans l’industrie manufacturière et le bâtiment, gravement touchés par la crise, que la chute de l’emploi a été la plus sévère. Des pays tels que l’Irlande et l’Espagne, particulièrement exposés au repli de l’activité dans ces secteurs, ont pâti d’une nette contraction de l’emploi. Outre des écarts d’un secteur à l’autre, on observe une répartition très inégale des pertes d’emplois entre les divers groupes de travailleurs. Les intérimaires ont payé un lourd tribut à cet ajustement. Face à une demande future très incertaine, les entreprises ont sensiblement réduit les renouvellements de contrats de travail temporaire. Alors que l’emploi total dans la zone euro a reculé d’environ 2,5 % entre T1 2008 et T1 2010, le nombre de travailleurs intérimaires a chuté de plus de 9 % sur la même période. Ce phénomène a été particulièrement marqué en Espagne où le nombre d’intérimaires a reculé de près de 27 % et de plus de 50 % dans le bâtiment, de loin le secteur le plus affecté par la crise.

… et atténué par les mesures gouvernementales

La chute de l’emploi a été moins importante que celle à laquelle on aurait pu s’attendre au vu des récessions antérieures. Pour la zone euro dans son ensemble, la contraction de l’emploi en 2008-2009 a été similaire à celle enregistrée lors de la récession de 1992. Or, le repli de l’activité a été quasiment deux fois plus important. Si l’emploi a été moins sensible au recul de la production, c’est en raison des mesures adoptées par les gouvernements au cours de la crise.

Plusieurs gouvernements de la zone euro ont, de fait, mis en œuvre différents programmes pour soutenir l’emploi. Grâce à ces plans, la réponse à la chute des volume d’activité s’est faite plutôt par la réduction du temps de travail que par la contraction de l’emploi. L’Allemagne et l’Italie ont eu largement recours à ce type de plans (“Kurzarbeit” en Allemagne et “Cassa Integrazione Guadagni” en Italie). En Allemagne, la nette réduction du total des heures ouvrées s’explique plutôt par la diminution des heures de travail moyennes dans le secteur privé que par la chute de l’emploi. A l’inverse, l’ajustement à la baisse du total des heures ouvrées en Espagne est principalement imputable à une contraction de l’emploi.

Grâce à ces mesures, les entreprises ont pu préserver leur capital humain, évitant des licenciements excessifs. Mais, en cas de reprise très modeste, ces plans pourraient prolonger les ajustements structurels nécessaires du fait du gel de l’emploi dans certains secteurs. Mais cela ne semble pas être le cas de l’Allemagne, où la reprise s’est considérablement accélérée au premier semestre 2010. De plus, comme le montre la répartition du PIB au second trimestre, l’accélération “supersonique” de la croissance du PIB (+2,2 % en glissement trimestriel, le taux le plus élevé depuis la réunification allemande) a été relativement équilibrée entre la demande extérieure et intérieure. Après une contraction de plusieurs trimestres, la consommation privée a grimpé de 0,6 % en glissement trimestriel. En revanche, cela ne semble pas être le cas de l’Italie. Jusqu’à présent, la reprise en Italie a été tirée essentiellement par le secteur externe alors que la consommation privée est restée morose. Contrairement à d’autres économies de la région, la confiance des ménages italiens évolue à la baisse. Même s’ils ont toujours un emploi, les travailleurs relevant du programme “Cassa Intergrazione Guadagni” semblent ne pas vouloir dépenser autant qu’auparavant, compte tenu des fortes incertitudes entourant la croissance, les offres d’emploi et la possibilité de conserver leur emploi actuel.

Plus de chômage de longue durée

D’un point de vue historique, il existe une corrélation nettement négative entre les tendances du chômage et l’évolution de la production : plus l’économie croît, plus le chômage régresse. Dans la littérature économique, c’est ce que l’on appelle la « loi d’Okun ». Le recours aux réductions de la durée du travail temporaire peut avoir un impact sur la relation entre le chômage et la croissance. C’est ce qui ressort de la courbe des tendances du chômage en fonction des variations de la production. A l’exclusion des observations les plus récentes sur la période allant du T4 2008 au T2 2010, au cours de laquelle les entreprises ont largement eu recours à la réduction du temps de travail, la corrélation est plus prononcée : le chômage est plus sensible aux variations de la production. C’est ce que confirme même une version dynamique de la loi d’Okun. L’analyse par régression récursive montre que le coefficient de croissance diminue sur les derniers trimestres ; autrement dit, les variations du chômage sont moins sensibles aux variations de la production.

Quoi qu’il en soit, même si le taux de chômage n’a pas augmenté autant que lors des récessions précédentes, il est, à 10 %, le plus élevé depuis la création de l’UEM. On peut craindre qu’une hausse significative du chômage et une prolongation de la durée de ce dernier n’augmentent le chômage structurel, sous l’effet dit d’“hystérésis”. De longues périodes de chômage ont, en effet, tendance à entraîner une destruction du capital humain. Le chômeur devient de ce fait moins attractif pour l’employeur.

Le chômage de longue durée, c’est-à-dire de plus de 12 mois, est un facteur clé de l’effet d’hystérésis, qui est lié au chômage actuel. Il existe une corrélation positive entre le taux de chômage actuel et le taux de chômage à long terme. Selon les derniers chiffres publiés par Eurostat, le taux de chômage de longue durée était de 4,2 %, le taux le plus élevé depuis la fin de 2004.

Les chômeurs de longue durée ne sont plus en concurrence avec les personnes ayant un emploi ; dès lors, ils n’exercent pas de pressions à la baisse sur les salaires, augmentant la persistance du chômage. Dans ces conditions, il y a un risque d’assister à une hausse du taux de chômage structurel ou NAIRU (taux de chômage n’accélérant pas l’inflation). L’économie pourrait ainsi atteindre un nouvel équilibre avec des taux de chômage et d’inflation plus élevés. Le NAIRU, estimé à 8,2 % par l’OCDE pour le 1er trimestre 2010, pourrait augmenter aux environs de 8,8 % vers la fin de l’année 20122.

L’augmentation du taux de chômage structurel pourrait être l’une des raisons pour lesquelles le ralentissement de l’inflation sous- jacente n’est pas plus prononcé. Toutefois, malgré la forte reprise du premier semestre, on observe toujours un net sous-emploi des ressources, de quoi limiter les hausses salariales, l’un des principaux facteurs de l’inflation sous-jacente. Dans ces conditions, l’inflation sous-jacente devrait, selon nos prévisions, continuer à refluer, quoique de manière lente et progressive au cours des prochains trimestres.

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