par Clemente De Lucia, économiste chez BNP Paribas
- L'euro s'est nettement apprécié depuis son point bas du 6 juin 2010, notamment contre dollar.
- L'amélioration de la situation économique dans la zone euro comparativement à celle des Etats-Unis, les divergences de stratégies entre la Fed et la BCE sont à l'origine de la hausse récente de la monnaie unique.
- Le raffermissement de l’euro, quoique significatif, n’aura probablement qu’un impact limité sur les exportations.
- Les exportations sont, en effet, bien plus sensibles aux variations de la demande qu'aux fluctuations des taux de change.
- Néanmoins, l'appréciation de l'euro pourrait exacerber les pressions déflationnistes dans certains pays, notamment ceux de la « périphérie » ayant engagé les plus gros efforts de réduction des déficits.
Récemment, l'euro s'est redressé sensiblement contre le dollar. Depuis son plus bas du mois de juin au plus fort de la crise de la dette souveraine, la monnaie unique s'est appréciée de près de 17 % contre le dollar. A 1,40 dollar environ pour 1 euro, la parité euro/dollar est supérieure de plus de 12 % à sa juste valeur (qui se situe aux alentours de 1,25)1.
Les raisons de la hausse
Différents éléments peuvent expliquer cette vigueur de l'euro. La valeur d'une monnaie est le reflet, entre autres choses, de la santé de l'économie. Les indicateurs économiques montrent ainsi que, comparée aux Etats-Unis, la zone euro se trouve dans une meilleure situation économique. Sa reprise s'est renforcée au deuxième trimestre, et les données d'enquête ainsi que les statistiques disponibles font état d'une croissance du PIB toujours supérieure au potentiel cet automne. A l'inverse, l'économie américaine a subi un ralentissement significatif et peine à déduire son taux de chômage. En outre, les anticipations d'inflation aux Etats-Unis sont plutôt modérées et pourraient encore diminuer si la détérioration de l'économie devait se poursuivre. Dans ce contexte, limitée par des taux d'intérêt déjà proches de zéro, la Fed envisage sérieusement la mise en œuvre de mesures non conventionnelles supplémentaires afin de remplir sa double mission de garantir la stabilité des prix et le plein emploi. Une nouvelle vague d'assouplissement quantitatif va probablement être annoncée lors de la prochaine réunion du FOMC du 3 novembre.
L'approche de la BCE est différente. Lors de la réunion d'octobre, son président Jean-Claude Trichet a insisté sur le fait que le Conseil des gouverneurs n'avait pas renoncé à l’objectif de retrait des mesures non conventionnelles. Mais il aussi souligné que ces dernières demeuraient pour heure nécessaires, le marché monétaire n'ayant pas encore retrouvé un fonctionnement normal. Les tensions persistent par ailleurs dans ce qu'il est convenu d'appeler les pays périphériques. Leurs banques continuent de se refinancer au guichet de la BCE et figurent aussi parmi les principaux acquéreurs de titres de dette souveraine « décotée ». Cela fait dire à certains que, même si elle achète moins d’obligations d’Etats « périphériques », la BCE mène une politique d'assouplissement quantitatif « indirecte ».
Si la BCE décidait d'accélérer le rétablissement du cadre en vigueur, le secteur bancaire disposerait de moins de liquidité pour financer la dette publique des pays les plus risqués.
Dernier point mais non le moindre, la diminution de la rentabilité des actifs américains et l'augmentation de la liquidité générée par les nouvelles mesures d'assouplissement quantitatif vont contribuer à amplifier les flux financiers à destination des pays émergents en mesure d'offrir des niveaux de rentabilité plus élevés. Toutefois, plutôt que de laisser leur monnaie s'apprécier, de nombreux gouvernements ont réagi en achetant des devises ou un imposant des taxes sur les flux financiers des non-résidents. Le Brésil a récemment multiplié par deux les taxes sur les achats de titres de sa dette publique effectués par des non-résidents, et la Thaïlande a annoncé l'instauration d'une retenue à la source de 15 % pour les investisseurs étrangers qui achètent des obligations d'Etat thaïlandaises. La réponse des pays émergents pourrait contribuer à renforcer l'appréciation de l'euro.
Taux de change effectif réel et exportations
L’euro s’est moins apprécié contre la plupart des devises que contre le dollar, la compétitivité prix de ses produits étant par ailleurs relativement préservée par la faiblesse de l’inflation. D’après les calculs de la BCE son taux de change effectif réel a gagné 2 % à fin septembre, renchérissement qui peut être porté à 2,5% au 20 octobre2. D’après nos calculs, un tel choc entretenu coûterait 1 à 1,5 point de croissance aux exportations extra zone et 0,3 point de croissance au PIB à l’horizon 2011 3.
Les exportations sont en fait bien plus sensibles aux variations de la demande mondiale. Le coefficient qui est associé est, en effet, deux fois plus élevé que celui associé au taux de change. Au cours des prochains trimestres, l'activité mondiale devrait rester dynamique mais fléchir légèrement par rapport au premier semestre de l'année. L'activité va ralentir aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, deux des principaux partenaires commerciaux de la zone euro. Bien que beaucoup plus modeste, la contribution de la Chine aux exportations extra-zone a néanmoins été significative. Sa demande couplée à celle des autres pays émergents d'Asie et d'Amérique latine profite notamment à l’Allemagne.
Enfin, il convient de noter que le taux de change va affecter seulement la moitié de la totalité des exportations de la zone euro, puisque les exportations intra-zone représentent près de 50 % du total. Etant donné que plusieurs pays de la zone euro font face à un choc budgétaire synchronisé, le niveau des exportations intra-zone sera probablement inférieur à celui des exportations extra-zone l'année prochaine.
Divergences nationales
L’appréciation de l’euro accroît les pressions déflationnistes dans les pays qui ont mis en œuvre des mesures douloureuses pour corriger leurs déséquilibres. L'inflation sous-jacente est déjà négative en Irlande et menace de l’être en Espagne, au Portugal et en Grèce. La conséquence serait une hausse du taux d'intérêt réel qui pénaliserait la demande et accentuerait les divergences intra-zone (la Grèce, le Portugal et l'Espagne ont vu leur retard de compétitivité s'accentuer dans la crise). Les mesures d'ajustement seraient encore plus douloureuses. Face à la désinflation, voire à la déflation, les entreprises devraient mettre en œuvre des mesures encore plus drastiques pour réduire leurs coûts et préserver leur rentabilité.
NOTES
- Sur la base des parités de pouvoir d'achat du PIB (principaux indicateurs économiques de l'OCDE, août 2010).
- Il s'agit du taux de change effectif par rapport à 41 partenaires commerciaux, déflaté par les IPC (calculés par la BCE).
- La Commission européenne, à partir d'une approche quelque peu différente, est parvenue à des résultats similaires. Voir le rapport trimestriel du T2 2010 sur la zone euro publié par la Commission européenne. Il ressort de cette étude qu'une appréciation de 1 % du taux de change effectif réel a pour effet de faire baisser les exportations de 0,4 à 0,6 pp. L'élasticité des exportations aux variations du revenu étranger fluctue entre 1,2 et 1,6 %. Un modèle VAR suggère par ailleurs qu’une hausse de 5 pp du TCER enlèverait environ 0,6 pp à la croissance du PIB après un an.