par Jean-Christophe Caffet, économiste chez Natixis
L’ « inévitable » krach immobilier prévu par les observateurs les plus pessimistes n’aura donc pas eu lieu sur le marché français. Après un an de baisse, les prix augmentent en effet de nouveau depuis le dernier trimestre 2009, tirés à la hausse par les grandes zones urbaines et notamment la région parisienne. Dans l’ancien comme dans le neuf, le retour des prix sur leur tendance haussière semble quasi-généralisé. La correction aura donc été de faible ampleur (quatre trimestres de baisse, soit -9,2% entre le point haut de T2 2008 et le point bas de T2 2009), au regard des évolutions observées sur les trois autres grands marchés immobiliers dits « à bulle » avant la crise (Etats-Unis (-31%), Royaume-Uni (-18%), Espagne (- 12,8%)). Les raisons pour lesquelles les prix n’ont pas autant chuté nous semblent de nature essentiellement structurelle mais aussi, pour partie, conjoncturelle.
De nature structurelle car le marché français, contrairement aux cas nord-américain ou espagnol, ne présentait pas de fort excès d’offre avant la crise (113K logements neufs en stock au point haut de T3 2008), mais se distinguait plutôt par une certaine pénurie de logements. Côté demande, à noter l’importance prépondérante accordée en France par les prêteurs aux conditions de solvabilité des emprunteurs, la possibilité de recours à des garanties réelles et/ou le montant de l’apport personnel restant des critères secondaires (d’où des ratios de loan-to-value élevés). Le système français d’accession à la propriété est en effet caractérisé par des conditions de sécurité parmi les plus strictes des pays développés. En clair, il n’y a jamais eu d’équivalent au segment subprime américain en France, la titrisation de crédit habitat ne représentant qu’une part très marginale de la production (2% de l’encours en 2008) : afin de faciliter l’accès à la propriété des ménages les plus modestes, l’Etat français intervient en accordant des aides financières (prêt à taux zéro, PTZ) ou en apportant sa garantie (prêt accession sociale, PAS) sur des montants approchant 10% de la production annuelle totale de crédits. A cela s’ajoutent la structure de l’endettement des ménages français, principalement à taux fixe, et le recours majoritaire au cautionnement plutôt qu’à l’hypothèque. Malgré un taux d’endettement en forte progression au cours du dernier cycle, les ménages français font ainsi toujours aussi peu défaut.
De nature plus conjoncturelle dans la mesure où, au plus fort de la crise, le marché s’est quasiment gelé, les acheteurs potentiels peinant à obtenir un prêt tandis que les vendeurs préféraient retirer (temporairement) leurs biens du marché plutôt que baisser leurs prix. Le retour à des conditions de liquidité plus favorables (assouplissement monétaire de la BCE) a ensuite permis un déblocage du marché et une « resolvabilisation » très substantielle des acheteurs via une baisse très prononcée des taux de crédit habitat. Les mesures adoptées fin 2008 dans le cadre du plan de relance (doublement du PTZ) et début 2009 (dispositif Scellier) ne sont également pas étrangères au rebond très net des ventes de logements neufs depuis un an.
En conséquence, la production de crédit à l’habitat s’est vivement redressée sous l’effet de l’envol – durable au vu des dernières enquêtes – des projets d’investissement des ménages. A court terme, dans un contexte de taux historiquement bas et de forte aversion au risque, nous pensons que les transactions (et les prix sur les marchés tendus) devraient continuer de progresser, l’immobilier restant perçu par les ménages comme un investissement particulièrement peu risqué. Un ralentissement des transactions est néanmoins probable courant 2011 en raison de la refonte des mesures d’aide à l’accession inscrite en loi de finance : le projet de loi (PLF) prévoit en effet la concentration de trois dispositifs actuels, dont le crédit d’impôt sur les intérêts d’emprunt (loi TEPA) ouvert à tout type d’accédant, en un nouveau prêt à taux zéro (« PTZ+ ») uniquement consacré à la primo-accession.
Les hausses de prix observées depuis près d’un an, probablement amenées à se poursuivre à très court terme, ne nous semblent pas durables. Si celles-ci ne sont pas étonnantes au regard des éléments de soutien des valorisations évoqués, et de fondamentaux plutôt sains, le marché français reste toutefois historiquement cher. Les multiples de « valorisation » ou d’« accessibilité » traditionnellement utilisés montrent en effet que celui-ci n’a que très partiellement corrigé. Nous avons déjà montré qu’en termes de valorisation stricto sensu, les prix immobiliers français ne paraissaient néanmoins pas particulièrement surévalués. La prime de risque pour un investissement immobilier reste en effet proche de sa moyenne de long terme, la très forte baisse des rendements locatifs pouvant s’expliquer par celle des rendements sans risque réels. Un ajustement violent des prix ne nous semble donc pas non plus à l’ordre du jour, en tout cas pas davantage qu’il y a deux ans. Enfin, une modélisation simple1 suggère que les prix (dans l’ancien) se stabiliseraient après le sur-ajustement actuel, pour croître à un rythme annuel moyen proche de 2 % à l’horizon d’un an.
NOTES
- Voir Flash 2010-582 : Immobilier France : la pierre vaut-elle de l’or ?