par Jean-Luc Proutat, économiste chez BNP Paribas
Rattrapé par ses dettes, le monde développé a vécu un été 2011 exécrable, à peine sauvé par la reprise de la production au Japon, et plombé par la chute des places financières. Les indices de conjoncture ont véritablement décroché au mois d’août, après que les Etats-Unis aient sottement joué à se mettre au bord du défaut de paiement, perdant dans l’aventure leur triple A, et que l’Union économique et monétaire (UEM) se soit, une fois de plus, divisée sur la question grecque.
Aussi la perte de confiance des ménages et des chefs d’entreprise dont témoignent les enquêtes renvoie-t-elle d’abord aux dissensions politiques qui ont affairé Bruxelles ou le Congrès américain. A supposer qu’elle soit rattrapée, elle est allée trop loin pour ne pas entamer la marche des affaires. Fin 2011, les reports d’investissement ou de consommation entraîneront un recul de l’activité industrielle et, au mieux, une stagnation des produits intérieurs bruts (PIB). 2012 sera abordée à toute petite vitesse et les chiffres de croissance qui lui sont attachés s’en ressentent. Nous les révisons en baisse, d’un point et demi de pourcentage pour les économies avancées, dont le rythme de progression ne dépasserait guère 1% l’an prochain.
C’est peu, mais tout de même mieux qu’une récession. Or si celle-ci peut encore être évitée, c’est à une condition expresse : il faut que la coopération progresse en zone euro, ce qui implique l'usage, précédé de la ratification, des outils mis en place pour une gestion solidaire des dettes: Facilité puis Mécanisme permanent de stabilité (FESF, MES). A défaut, les tensions qui affectent le financement de certains États comme l’Italie ou l’Espagne auront du mal à s’apaiser, tout comme celles qui, par extension, empêchent le bon fonctionnement du marché monétaire.
Pour l’heure, la seule institution en mesure d’agir est la Banque centrale européenne (BCE). Depuis le début du mois d’août, elle s’est remise à prêter à plus long terme (jusqu’à six mois), ainsi qu’en dollars, toujours à taux fixe et sans limite de montant ; l’encours de son Programme pour les marchés de titres, un quantitative easing qui ne dit pas son nom, a doublé. A 156 milliards d’euros le 26 septembre, il ne représente que 1,9% du stock de la dette publique en zone euro, ce qui est loin des montants achetés par la Banque d’Angleterre (16% du stock) ou la Réserve fédérale (9%). Mais pour celle qui a hérité des statuts de la très orthodoxe Bundesbank, l’écart de conduite n’est pas anodin. Il divise le Directoire, et a déjà provoqué la démission de deux de ses membres, MM. Weber et Stark.
La BCE agira mieux, ou du moins plus sereinement, dès lors que le FESF l'assistera dans des tâches qui ne relèvent pas de son mandat, comme précisément l’achat de dette souveraine. Les accords du 21 juillet signés à Bruxelles le prévoient et, au moment d’écrire ces lignes, quinze des dix-sept États membres de la zone euro les avaient ratifiés. Il pourrait s’en suivre une forme d'accalmie, mais certainement pas de miracle. D'abord parce que le FESF, qui n’est pas une institution internationale mais un véhicule financier, n'a pas de réel pouvoir décisionnel. Il n'interviendra sur le marché secondaire de la dette qu'avec l'accord des États et après avis de la BCE. Ensuite parce que ses marges de manoeuvre sont limitées : les 440 milliards d’euros dont il dispose ne couvrent que 12% du stock de la dette des six pays à « spread élargi » (Italie, Espagne, Portugal, Grèce, Irlande, Belgique).
Le Mécanisme européen de stabilité, plus proche dans ses statuts d'un véritable Fonds monétaire, devrait être en mesure d’agir plus vite et plus fort. Mais il n’est pas prévu de le faire fonctionner avant mi 2013, et sans que les parlements nationaux l'aient, lui aussi, ratifié.
Fussent-il animés d'un esprit coopératif ou même issus d’une majorité nouvelle, les gouvernements n’auront pas d’autre choix, en 2012 et au-delà, que d’administrer leurs comptes au plus juste. Laisser jouer les « stabilisateurs automatiques », autrement dit creuser les déficits pour compenser le manque de croissance, devient très compliqué dès lors que les dettes publiques représentent près d’une année de PIB et que ceux qui les détiennent exigent des gages de bonne conduite.
L’Allemagne ou encore les Etats-Unis, dont le privilège, autrefois qualifié d’exorbitant, est de se financer dans une monnaie dont personne ne peut véritablement se passer, peuvent encore se le permettre. Les autres non. Toute forme de laisser-aller budgétaire serait sanctionnée par une hausse des taux d’intérêt qui, eu égard aux masses en jeu – 50 milliards d’euros de charges financières pour la France en 2011, 75 milliards d’euros pour l’Italie – est la dernière des choses à souhaiter. Pour bon nombre de vieilles puissances occidentales rattrapées par leur dette, la meilleure politique de relance est encore celle qui limite les paiements d'intérêts, dont l'essentiel, rappelons-le, passe les frontières. Fin 2010, le taux de détention étrangère de la dette française était de 62,5%.
Restent les politiques monétaires, qui seront très accommodantes au cours des mois à venir. D’autres assouplissements quantitatifs pourraient avoir lieu aux Etats-Unis comme au Royaume-Uni. Nous anticipons par ailleurs une baisse d'un demi point des taux d'intérêt directeurs en zone euro. La BCE ramènera donc de 1,5% à 1% le coût de ses principales opérations de refinancement, selon toute vraisemblance d'ici à la fin d'année 2011. Le même faible loyer de l'argent sera pratiqué tout au long de 2012. L’inflation n’est plus un obstacle. Certes, à 3% en septembre, elle n'est pas insignifiante et dépasse la cible officielle de 2%. Mais elle est vouée à ralentir, ce qu'anticipent déjà les "points morts" du marché obligataire -l'écart entre les rendements nominaux et indexés- ainsi que la BCE elle-même. Le renchérissement des matières premières, dont l'inflation s’est nourrie jusqu’à présent, a cessé. Quant aux effets dits « de second tour » par lesquels les hausses de prix se transmettent aux salaires, leur risque d’opérer s’éloigne avec les perspectives de recul de chômage. A moins de 2% de croissance, cette hypothèse est malheureusement très faible.
L’euro n’aurait plus tellement vocation à s’apprécier vis-à-vis du dollar, en dépit de la prodigalité des autorités monétaires américaines. D’abord parce que, la BCE ayant changé de cap, l’évolution de l’écart transatlantique des taux d’intérêt ne jouera plus en sa faveur. Ensuite parce que, si l’offre de dollars est importante, sa demande sur le vieux continent l’est aussi. Dans son rapport trimestriel de septembre, la Banque des règlements internationaux indique que les besoins européens de financement en dollars restent élevés, bien qu’un peu moins qu’en 2008.