Crise souveraine : les autorités sont-elles proches de leur seuil de tolérance ?

par Valentijn van Nieuwenhuijzen, directeur de la stratégie Monde chez ING Investment Management

À la suite du regain de tensions entourant l’approbation de la prochaine tranche du prêt d’urgence à la Grèce par la troïka (UE, FMI, BCE), de l’évocation d’un aléa moral après la marche arrière du gouvernement italien, des inquiétudes relatives au financement interbancaire et des discussions sur les collatéraux du FESF, la crise de dette est redevenue en septembre le facteur prépondérant pour le sentiment des marchés. Ce Focus Point présente notre vision des choses. Nous exposons quatre scénarios possibles et analysons leur impact sur les rendements des marchés obligataires.

La contagion de la crise souveraine aux banques augmente

La crise de l’euro a connu une escalade en raison du risque accru d’une faillite désordonnée d’un État membre (la Grèce) ou de banques importantes pour le système à court terme. En dépit des déclarations publiques des autorités des pays du cœur de l’Europe spécifiant qu’un «défaut désordonné sera évité» (notamment par la chancelière allemande, Angela Merkel le 12 septembre), il est de plus en plus clair qu’en coulisse, les pays du cœur de l’Europe et l’UE prennent des mesures pour se préparer à un défaut de la Grèce au cours des prochains mois.

Si un tel scénario devait se matérialiser lors de l’examen trimestriel actuel de la Troïka ou lors de celui de décembre, il aurait très probablement des effets très perturbateurs, avec une contamination relativement importante des autres marchés obligataires (hausse des spreads périphériques, baisse du rendement du Bund allemand) et des marchés finançant les banques européennes. S’il n’est pas protégé efficacement par des octrois de liquidités aux banques et aux gouvernements périphériques ainsi que par une recapitalisation substantielle des banques européennes, le système financier de l’euro sera confronté à des pressions sans précédent.

Soulignons que l’effondrement du système de l’euro ou la fin de la zone euro ne font pas partie de notre scénario central. Nous ne nous attendons pas à ce que la Grèce soit «éjectée» de la zone euro.

Un développement inquiétant est le cercle vicieux alimenté par les bilans des États et des banques. Les craintes souveraines accrues entraînent une détérioration des bilans des banques car ces dernières détiennent de grandes quantités d’obligations d’État. Ceci porte, à son tour, atteinte à la pérennité des dettes publiques car la probabilité que les banques doivent être recapitalisées augmente. Ceci est susceptible d’avoir un impact très néfaste sur l’économie réelle via une hausse du coût du capital et une réduction du crédit disponible, sans parler des effets négatifs sur la confiance et des efforts d’austérité des gouvernements susceptibles d’aller à l’encontre du but recherché. À cet égard, le coût accru du financement sur les marchés et la réduction des réserves de liquidités des banques observée au cours du mois écoulé sont des évolutions inquiétantes. Il est par conséquent absolument vital que des mesures soient prises afin d’enrayer ce cercle vicieux alimenté par les dettes publiques et les banques.

Une intervention conjointe des banques centrales apporte un certain soulagement

Le jeudi 15 septembre, la BCE a décidé, en collaboration avec la Réserve fédérale, la Banque d’Angleterre, la Banque du Japon et la banque nationale suisse, de procurer des financements en dollars aux banques européennes. Les banques centrales mèneront trois opérations de refinancement en USD d’une maturité approximative de trois mois couvrant la fin de l’année. Cette intervention conjointe a quelque peu soulagé les marchés.

Une union fiscale est la seule solution viable – à long terme

Comme nous l’avons déjà souvent mentionné, à long terme, la seule solution viable pour l’union monétaire est le passage à une certaine forme d’union fiscale prévoyant des transferts fiscaux entre les pays ou l’introduction d’une euro-obligation dont le service de la dette serait assumé à parts égales par tous les États membres. Pour éviter tout aléa moral, ceci devrait bien sûr être complété par une supervision supranationale des déficits budgétaires des pays individuels, régie par des règles automatiques (et non tributaires de décisions politiques). Étant donné que les déséquilibres macroéconomiques (compte courant, compétitivité, etc.) sont véritablement au cœur du problème, une coordination supranationale dans ce domaine est également hautement souhaitable. Il faudra toutefois beaucoup de temps avant que de telles institutions soient établies (si elles le sont jamais), ne fût-ce qu’en raison du passage obligé par les traditionnels marchandages politiques.

La contagion s’étend

Entre-temps, la zone euro a toujours besoin d’un disjoncteur pour empêcher un dérapage de la situation. Les autorités ont initialement créé le Fonds européen de stabilité financière (FESF) à cet effet, mais le problème est que son champ d’action est limité et qu’il ne peut agir rapidement car ses interventions doivent être approuvées à l’unanimité par les 17 États membres. Son échec à rassembler tout le monde est devenu flagrant au cours de ces derniers mois puisque la crise s’est propagée aux grands pays périphériques affichant des fondamentaux plus sains, l’Espagne et l’Italie. Selon nous, ces derniers pays sont plutôt confrontés à un problème de liquidité qu’à un problème de solvabilité, mais dans la pratique, ces deux concepts sont malheureusement étroitement liés.

En réalité, un pays ne pouvant pas imprimer sa propre devise est tout aussi vulnérable qu’une banque. Si les déposants perdent confiance, ils se précipiteront pour récupérer leurs fonds, ce qui augmentera le coût de financement et provoquera un problème de liquidité. La banque tentera alors de vendre ses actifs, mais étant donné que ceux-ci sont beaucoup moins liquides que ses passifs, elle n’y parviendra pas, ou à des prix bradés uniquement. Par conséquent, ce qui était au départ un problème de liquidité devient rapidement un problème de solvabilité et la perte de confiance des déposants devient une prophétie s’autoalimentant. De telles ruées sur les banques étaient très fréquentes avant la Grande Dépression, mais étaient, depuis lors, devenues extrêmement rares en raison de l’introduction de mécanismes de protection des dépôts et du rôle de prêteur en dernier ressort joué par la banque centrale. L’ironie est qu’une fois que tels mécanismes crédibles sont mis en place, très peu de fonds doivent en réalité être dépensés car les chocs de confiance négatifs sont étouffés dans l’œuf.

La BCE joue le rôle de prêteur en dernier ressort

Actuellement, la BCE joue une fois de plus le rôle de prêteur en dernier ressort (PDR) pour le secteur bancaire de l’UEM afin d’éviter un effondrement. Les banques grecques et irlandaises, qui ont été confrontées à d’importants retraits de capitaux, bénéficient pour l’instant d’une assistance d’urgence à la liquidité, ce qui signifie qu’elles peuvent emprunter sans collatéral auprès de leur banque centrale nationale car elles ne disposent plus des collatéraux requis pour les opérations classiques de la BCE.

Néanmoins, ce PDR ne fait rien pour empêcher les problèmes de liquidité et de solvabilité susceptibles de s’autoalimenter et de menacer la solvabilité des banques. Si les investisseurs redoutent un défaut de paiement, ils propulseront les taux à la hausse, ce qui rendra un défaut plus probable. Même des pays aux finances initialement saines peuvent de la sorte être mis en difficultés. Le système a donc besoin d’un PDR pour les États également, une tâche qui peut être assumée soit par les États du cœur de l’Europe, soit par la BCE.

Les moyens et le champ d’action du FESF sont trop limités

Le FESF est au fond une timide tentative de procurer un filet de sécurité par la voie souveraine. Ceci aurait pu fonctionner dès le départ si le fonds avait été autorisé à intervenir de façon préventive sur les marchés secondaires, même si ses moyens limités auraient alors été testés par les marchés. Néanmoins, maintenant que la contagion a atteint l’Italie et l’Espagne, le FESF devrait s’avérer insuffisant. La dette combinée de l’Irlande, de la Grèce, du Portugal, de l’Italie et de l’Espagne s’élève à près de EUR 3350 milliards, de sorte que pour le FESF soit crédible, il devrait disposer de moyens du même ordre de grandeur. Or, il est très improbable que les pays du cœur de l’Europe s’accordent à ce propos.

Il ne reste dès lors plus que la BCE, dont les moyens sont, du moins en théorie, illimités. Toutefois, beaucoup affirment qu’utiliser la banque centrale comme filet de sécurité ultime pour les États comporte des dangers. Nous reconnaissons qu’il y a des risques, mais pensons qu’ils peuvent être maîtrisés si le mécanisme de PDR est bien conçu. Le danger le plus évident est, bien sûr, que le programme de financement monétaire de la dette périphérique soit sans limite de durée, ce qui affaiblirait la motivation des gouvernements à assainir leurs finances publiques. Le rôle de PDR pour les États de la BCE devra dès lors toujours aller de pair avec un mécanisme supranational automatique visant à empêcher tout aléa moral.

La BCE est en mesure de veiller à la discipline budgétaire

Au cours de ces dernières semaines, il a cependant été intéressant de constater que la BCE était aussi en mesure de veiller à la discipline budgétaire. Lorsque la résolution du gouvernement italien de mettre en œuvre les mesures d’austérité annoncées précédemment a faibli, la BCE a de nouveau laissé les spreads italiens augmenter. Le gouvernement italien a alors fait marche arrière et il a été “récompensé” par la suite par une certaine contraction des spreads. Il est important de souligner que le problème d’aléa moral est aussi présent au niveau de la fonction de PDR pour les banques et dans ce cas aussi, la solution n’est pas d’abolir le système, mais plutôt d’y ajouter un cadre réglementaire strict.

Un PDR crédible empêche les prophéties s’autoalimentant

Un autre risque est que la BCE pourrait se retrouver dans l’obligation d’acheter tellement d’obligations d’État que ceci provoquerait une perte de confiance dans la stabilité de la devise. Ceci se traduirait alors par une forte hausse des attentes inflationnistes et une nette dépréciation de l’euro, deux facteurs susceptibles d’entraîner une hausse de l’inflation réelle indépendamment de la position de l’économie dans le cycle. Nous pensons qu’il existe un point au-delà duquel ces mécanismes s’enclenchent, mais si la fonction de PDR est bien conçue, un tel point ne devrait pas être atteint.

La clé de la fonction de PDR est d’empêcher les prophéties s’autoalimentant. Si la BCE s’engage de façon crédible à procurer un filet de sécurité, elle devra en réalité acheter très peu de papier d’État et elle n’encourra guère de pertes sur les obligations qu’elle acquerra. Le parallèle dans le domaine bancaire est évident. Grâce à la fonction de PDR, on a assisté à peu de ruées sur les banques au cours de ces dernières décennies.

La crédibilité de la BCE est déjà entamée

Il y a plusieurs bonnes raisons de poursuivre le programme de rachats d’obligations de la BCE, même si la banque centrale devrait probablement se limiter aux pays dont les problèmes de liquidité n’ont pas encore complètement dégénéré en problèmes de solvabilité (surtout l’Italie et l’Espagne et peut-être aussi l’Irlande et le Portugal, mais certainement pas la Grèce). Il est à cet égard malheureux que la crédibilité de la BCE ait déjà été entamée durant l’année écoulée. Plusieurs leaders politiques influents ont ainsi critiqué le rachat d’obligations, tandis qu’il y a eu une opposition tenace d’une minorité au sein du Conseil de la BCE. Plus tôt dans l’année, le président de la Bundesbank, Axel Weber, a présenté sa démission pour cette raison et, la semaine passée, l’économiste en chef de la BCE, Jurgen Stark, a suivi son exemple. Comme Weber, Stark était un farouche opposant du programme de rachat d’obligations de la BCE et probablement le plus ‘faucon’ des membres du Directoire de la BCE.

On peut dès lors se demander comment le programme de rachat d’obligations de la BCE évoluera au cours des prochains mois. Une solution proposée par plusieurs sources est que le FESF devienne une banque. Dans ce cas, il pourrait se financer comme une banque via la BCE, en utilisant les obligations d’État des pays périphériques acquises sur le marché secondaire comme collatéral. Ceci permettrait au FESF de se renflouer significativement et accroîtrait dès lors ses ‘munitions’ sans qu’une augmentation formelle de ses moyens soit nécessaire.

La BCE en mode neutre

Entre-temps, la conférence de presse de la BCE de la semaine dernière a laissé entrevoir un changement radical dans ses prévisions de croissance et d’inflation. À la suite du net affaiblissement de la croissance, combiné aux turbulences actuelles sur les marchés financiers, la BCE estime désormais que les risques pesant sur la croissance sont baissiers et, surtout, que les risques pesant sur l’inflation sont équilibrés. Ce dernier point est très significatif car durant l’automne 2008, la BCE avait continué après la débâcle de Lehman à prévoir des risques inflationnistes haussiers pendant deux à trois mois. La banque centrale est actuellement en mode neutre, ce qui est compatible avec nos attentes d’un statu quo monétaire cette année et la prochaine.

La BCE a toujours insisté sur le principe de la séparation : le taux refi est utilisé pour assurer la stabilité des prix, tandis que toutes les autres mesures (rachat d’obligations, octroi de liquidités sans limite) ont pour objectif de préserver la stabilité du système financier. En ce qui concerne ce dernier point, la BCE a déjà décidé de réintroduire en août les opérations de liquidité sans limite d’octroi pour une période de 6 mois et elle pourrait également mener une opération à 1 an.

Pour ce qui est du taux de refinancement, la BCE pense toujours qu’il est accommodant. Compte tenu de la prévision d’inflation de la banque centrale de 1,7% en 2012, il sera même en territoire légèrement négatif l’année prochaine aussi. Par conséquent, si les risques baissiers ne se matérialisent pas, la BCE laissera, selon nous, les taux inchangés. Toutefois, si l’économie replonge en récession ou si la crise souveraine connaît une escalade, il est probable que la BCE n’hésitera pas à abaisser à nouveau les taux. À cet égard, la situation ressemble de plus en plus à celle de 2008, lorsque la BCE a relevé les taux en juillet et a été contrainte de les rabaisser quelques mois plus tard.

La solution structurelle doit venir des leaders politiques

Comme le FESF ne dispose pas de moyens suffisants pour éviter la contagion à l’Espagne et à l’Italie, la BCE doit continuer à jouer son rôle d’acheteur en dernier ressort d’obligations espagnoles et italiennes. Les achats d’obligations de la BCE ne peuvent cependant pas être inconditionnels car cela inciterait à relâcher les efforts. La BCE doit par conséquent se limiter aux pays dont les problèmes de liquidité n’ont pas encore complètement dégénéré en problèmes de liquidité (Espagne et Italie et peut-être aussi l’Irlande et le Portugal, mais certainement pas la Grèce). Soit la Grèce doit être financée par le FESF, soit la dette grecque doit est restructurée.

En outre, il devrait y avoir un mécanisme comparable au TARP (Troubled Assets Relief Program) américain afin de recapitaliser les banques vulnérables. EUR 50 à 100 milliards seraient nécessaires. Ceci pourrait être financé soit par l’émission d’actions, soit par les gouvernements. La nouvelle organisation du FESF permet, en outre, le financement de la recapitalisation d’institutions financières via des prêts aux gouvernements.

À terme, les interventions devraient être remplacées par les mécanismes d’une véritable union fiscale. Le président de la Commission européenne Barroso a déclaré que des options pour l’introduction d’euro-obligations devraient être étudiées. À nos yeux, des euro-obligations sont un bon instrument afin de faire cesser les attaques spéculatives sur la zone euro. Elles peuvent prévenir, plutôt que guérir des crises de liquidité ou des “ruées sur des États”. L’introduction d’euro-obligations envoie un message clair indiquant que les États membres se sentent impliqués par le futur de l’euro. Ceci créerait un marché obligataire plus vaste et plus liquide, offrant une alternative viable aux Treasuries américains.

Pour l’instant, il semble que la situation doive d’abord atteindre un point de rupture avant que les hommes politiques soient prêts à prendre une décision et à élaborer une solution structurelle crédible. Sans réaction politique coordonnée et bénéficiant d’un large soutien, les incertitudes des marchés et l’aversion au risque des investisseurs resteront élevées. Pourtant, nous sommes toujours d’avis que les leaders politiques finiront par trouver une solution définitive pour les problèmes auxquels ils sont confrontés. L’expérience suggère qu’ils le feront une fois qu’un certain seuil de tolérance sera dépassé, un seuil dont nous nous rapprochons de plus en plus.

Analyse de différents scénarios

Il est difficile de prévoir avec précision l’intensité des pressions et le résultat final, mais plusieurs scénarios peuvent néanmoins être envisagés. Afin d’avoir une idée de l’impact de tels scénarios et des rendements que l’on peut attendre des marchés obligataires, nous avons élaboré quatre scénarios possibles. Nous analyserons aussi leur impact sur un indice obligataire européen à un horizon de 1 an et de 3 ans.

En dehors de notre scénario central, nous examinons deux scénarios plus pessimistes ainsi qu’un scénario plus positif. L’accent mis sur les scénarios négatifs s’explique par l’orientation globalement baissière des risques pesant sur nos perspectives.

1. “Rafistolage” (notre scénario central)

Le premier scénario suppose une sorte de “rafistolage”, la volatilité des marchés contraignant les autorités à prendre des mesures minimales en direction d’une plus grande intégration. Ceci entraînera des mécanismes de gouvernance plus efficaces, mais pas la prévention à long terme des comportements susceptibles de favoriser les aléas moraux de la part tant des gouvernements que des institutions financières de la zone euro. Dans un tel scénario, nous prévoyons un abandon de dette (haircut) de 60% pour la Grèce qui continuerait à faire partie de l’union monétaire en dépit de ce défaut. Aucun autre pays et aucune banque importante pour le système ne ferait défaut. Nous estimons que la probabilité qu’un tel scénario se matérialise est de 60% à un horizon d’un an, mais seulement de 10% à un horizon de 3 ans. Nous estimons qu’une solution à long terme plus crédible est inévitable à un horizon plus lointain puisque nous nous attendons à ce que les pressions s’intensifient si la crise n’est pas résolue.

2. Solution

Dans ce scénario, une solution de gouvernance à long terme crédible est trouvée avec un abandon de dette limité (environ 30% comme prévu dans le programme actuel de contribution du secteur privé). Ce scénario prévoit l’introduction d’une structure de gouvernance excluant tout comportement susceptible d’entraîner des aléas moraux de la part des gouvernements et des institutions financières. Ceci mènera également à une intégration politique et fiscale accrue, à une sorte de centralisation fiscale (une forme d’euro-obligation), à la création d’une facilité de prêt en dernier ressort tant pour les banques que pour les gouvernements solvables (FESF devenant une banque ou programme permanent pour les marchés de titres) et à un mécanisme légal de résolution pour la restructuration de la dette des banques et des gouvernements insolvables. Nous supposons en outre que les taux d’intérêt des pays au rating AAA augmenteront fortement et qu’il y aura un important ‘rally’ de soulagement dans les pays au rating inférieur. Nous estimons que la probabilité qu’un tel scénario se matérialise est de 10% à un horizon d’un an, mais monte à 50% à un horizon de 3 ans.

3. Survie laborieuse

Le troisième scénario est nettement plus pessimiste. Il prévoit une sortie désordonnée de la Grèce de la zone euro en raison de l’incapacité des autorités à empêcher une escalade de la crise du système de l’euro. Ceci entraînerait des conditions économiques et financières tellement dramatiques en Grèce (dépression, chômage massif, troubles publics, ruées sur les banques et fuites de capitaux) que se conformer aux exigences de la troïka deviendrait moins intéressant qu’un défaut et une dévaluation de la devise. Comme nous estimons que ceci sera une décision unilatérale de la Grèce, il n’y aura pas de mécanisme imparable pour contenir la contagion à d’autres États européens et aux marchés finançant les banques.

Par conséquent, nous pensons que de tels dommages collatéraux seront infligés à l’économie réelle (sévère récession) et aux bilans des États et du secteur financier que d’autres restructurations de la dette deviendront inévitables. Dans ce scénario, la dette grecque devra être restructurée à hauteur de 70%, les dettes irlandaise et portugaise à hauteur de 40% et les dettes italienne et espagnole à hauteur de 20%. Nous supposons qu’avant d’avoir fait faillite, les États auront renfloué systématiquement leurs grandes banques. Selon nous, on assistera alors, quoique dans une bien moindre mesure que dans le second scénario, à un ‘rally’ de soulagement des taux obligataires dans les pays ayant restructuré leur dette. Nous estimons que la probabilité qu’un tel scénario se matérialise est de 25% à un horizon d’un an et de 30% à un horizon de 3 ans.

4. Effondrement de l’euro

Il s’agit du pire scénario envisagé. Ceci n’implique pas seulement le défaut et le départ de plusieurs États membre de la zone euro, mais aussi l’éclatement de l’axe franco-allemand et la désintégration de l’Union européenne. Seule une zone euro-mark survivrait avec l’Allemagne, les Pays-Bas, la Finlande, l’Autriche et le Luxembourg. Les autres pays retourneraient à un régime de devise indépendante. Dans ce scénario, nous prévoyons des restructurations de la dette de 80% pour la Grèce, 60% pour l’Irlande et le Portugal, 40% pour l’Italie et l’Espagne et 20% pour la Belgique et la France. Nous estimons que la probabilité qu’un tel scénario se matérialise est de 5% à un horizon d’un an et de 10% à un horizon de 3 ans.

Rendements

La prépondérance des scénarios négatifs à un horizon d’un an s’explique par l’orientation globalement baissière des risques pesant sur nos perspectives à court terme.

Nous sommes cependant significativement plus optimistes à un horizon de 3 ans, ce qui se reflète au niveau des probabilités ajustées des scénarios individuels. Nous souhaitons souligner que nos indications de rendements sont largement influencées par les probabilités liées aux scénarios.

Le tableau de l’indice Barclays des obligations d’État en euro montre (1) les probabilités des scénarios individuels; (2) le rendement souverain en euro englobant tant le spread par rapport à l’Allemagne que les mouvements de ces spreads et (3) le rendement de duration englobant tant le spread que les changements de taux. Il mentionne en outre un rendement total pondéré en fonction des scénarios. Veuillez par ailleurs noter que les rendements à un horizon de 3 ans ne sont pas des rendements annualisés.

Conclusion : nous optons pour la diversification

Tout ceci doit, bien sûr, être vu dans le contexte de l’évaluation que l’on a d’une éventuelle fin de l’euro. Si l’on est tout à fait convaincu que la zone euro éclatera, il peut s’avérer judicieux pour un investisseur en obligations de privilégier les émetteurs AAA. Nous sommes cependant prudents car une telle approche réduit sensiblement la diversification. En outre, en cas d’éclatement, il n’est pas certain que les pays AAA ne subiront pas d’impact négatif.

En d’autres termes, si l’on veut être complètement protégé contre la crise souveraine européenne, la seule option est de vendre tous les instruments libellés en euro. Néanmoins, même une telle approche est discutable car un éclatement de la zone euro aura des répercussions négatives sur les marchés financiers mondiaux.

Globalement, on peut conclure qu’un indice diversifié d’obligations d’État en euro procurera un rendement nul à légèrement positif dans 3 des 4 scénarios analysés. Ceci vaut également pour le rendement pondéré par la probabilité de l’ensemble des scénarios, qui est proche de 1% à un horizon tant d’un an que de 3 ans. Les résultats changent naturellement si l’on estime que la probabilité d’éclatement de l’euro est largement supérieure à 5-10%.