A pile ou face

 

par Alexandra Estiot, économiste chez BNP Paribas

D’après Alan Greenspan, pour déterminer dans quelle direction se dirigent les marchés des changes, le mieux est de tirer à pile ou face.

Officiellement, les Etats-Unis ont une politique du dollar fort, récemment réaffirmée par le Secrétaire au Trésor Timothy Geithner, soutenu par Ben Bernanke. Pourtant, la chute du dollar semble sans fin. Selon que l’on retient le taux de change effectif nominal ou réel, le diagnostic diffère. D’après la première mesure, le dollar n’est pas si bon marché. En revanche, il a touché un point bas historique en début d’année d’après la seconde.

Le poids de l’Europe dans les échanges extérieurs américains ne cesse de baisser, celui de l’Asie ne cessant d’augmenter, et pourtant la parité euro/dollar demeure un symbole. Plus qu’un symbole, elle évolue de fait avec le taux de change effectif réel du dollar. Au cours du deuxième trimestre 2008, le dollar a presque passé 1,60 contre euro ; récemment, il a atteint un point bas de 1,4830. Voici les éléments à suivre au cours des prochains…

… jours

Le dollar s’est quelque peu renforcé cette semaine, reflétant les corrections marquées sur les marchés des matières premières. L’indice LMEX a perdu 6%, le Brent 11,4%, le cuivre 5,4%, l’or 4,0% et l’argent… 28,4% ! Il est actuellement difficile de savoir si ce mouvement est une simple (et forte) correction ou s’il s’agit du début d’une nouvelle tendance (qui serait très favorable au secteur manufacturier et aiderait par ailleurs les banques centrales à lutter contre l’inflation). Si ce n’étaitt qu’une correction, le dollar continuerait de baisser. S’il s’agissait d’un renversement de tendance, le billet vert pourrait se renforcer significativement. L’évolution des marchés des matières premières sera donc cruciale au cours des prochains jours.

… semaines

Les données récentes ont été plutôt décevantes, indiquant un ralentissement temporaire de la reprise économique américaine (voir : La semaine aux Etats-Unis). En Europe, tel n’a pas été le cas. En avril, l’indice PMI composite d’activité est demeuré proche de ses plus hauts, à 57,8, tandis que l’indice ISM synthétique de l’activité dans les secteurs manufacturier et non manufacturier perdait 4,1 points sur le mois, à 53,7 (contre 59,9 en février). Etonnamment, la baisse de l’indice synthétique provenait principalement du secteur non manufacturier, inquiet de la flambée des prix des matières premières, en dépit du recul de l’indice des prix des intrants (70,1 en avril contre 73,3 en février). Le trou d’air que traverse l’activité américaine ne devrait être que temporaire, dans la mesure où le marché du travail n’est pas touché. 244K emplois ont été créés en avril (après une moyenne mensuelle de +175K au T1 2011). L’amélioration provient en outre des embauches dans le secteur privé, une autre raison d’être optimiste.

… mois

Les fondamentaux haussiers sont plus rares à cet horizon. La politique monétaire est bien plus accommodante aux Etats-Unis qu’en Europe, et ce constat ne devrait pas être amendé avant longtemps. La BCE a beau faire actuellement une pause, le cycle de resserrement monétaire devrait reprendre en juillet, tandis qu’aucune décision comparable n’est à attendre de la Fed avant l’automne, au plus tôt. En conséquence l’écart de taux à 2 ans entre le Bund et les Treasuries devrait continuer d’être favorable à l’euro. Sur le front des finances publiques, les niveaux de dette et de déficit des gouvernements fédéraux et locaux demeurent particulièrement inquiétants, même au regard de la crise de la dette souveraine dans la zone euro. En 2010, le déficit budgétaire s’élevait à 10,6% du PIB aux Etats-Unis, contre 6,0% dans la zone euro. Leur dette brute représentait 91,6% du PIB à la fin de l’année dernière contre 85,1% dans la zone euro.

L’été sera par ailleurs rythmé par deux tests importants, qui pourraient avoir des effets majeurs sur les taux d’intérêt. A la fin du mois de juin, le programme QE2 prendra fin. Depuis son lancement, la Fed a acheté près de 80% des émissions nettes du Trésor. Ainsi, du jour au lendemain, le principal acheteur du marché va se retirer. Le deuxième test est fixé au 2 août, lorsque le Congrès devra relever le plafond de la dette fédérale. Sans accord, les Etats-Unis feraient défaut sur leur dette: pure économique-fiction. Cela dit, les termes de l’accord bipartisan seront significatifs quant à la capacité des autorités à régler le problème à long terme des finances publiques.

… trimestres

Le potentiel de croissance est plus important aux Etats-Unis qu’en Europe. Les Etats-Unis bénéficient de gains de productivité plus forts et d’une croissance de la main-d’œuvre plus dynamique. La crise financière a certainement eu des conséquences sur cette dernière, en augmentant le chômage de long durée et en abaissant les taux d’activité. Mais la croissance reste tout de même plus dynamique outre-Atlantique. De plus, les mesures habituelles du taux de change d’équilibre indiquent toutes une sous-évaluation du dollar. La moyenne de long terme de l’euro/dollar est de 1,06 ; l’OCDE estime que la parité de pouvoir d’achat est de 1,25 ; notre mesure préférée, l’indice Big Mac de The Economist, place l’équilibre à 1,10. Le dollar reviendra à ces niveaux tôt ou tard, avec un potentiel d’“over-shooting”.

… années. Ici, les pressions sont à la baisse, et de façon marquée, avec des perspectives de long terme inquiétantes pour les finances publiques. Les réserves de changes mondiales restant principalement libellées en dollars, les autorités américaines disposent d’un peu de temps. Reste que, si ces dernières veulent continuer de pouvoir prétendre qu’elles mènent une politique du dollar fort, elles devront couper les dépenses et augmenter les recettes.

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