Afrique du Sud : d’autres baisses de taux à venir

par Sophie MAMETZ, Anne-Laure MICHEL et Thuy Anh Nguyen Ngoc, économistes chez Natixis

Pour la première fois en trois ans, le 11 décembre, la banque centrale sud-africaine a décidé de baisser ses taux directeurs de 50pb, à 11,50%. Selon nos estimations, l’inflation est la seule variable retenue la SARB dans ces décisions de politique monétaire. Dans la mesure où nous prévoyons une baisse de l’inflation entre 2008 et 2009, la SARB réduira ses taux directeurs de 2,25 pb, pour s’établir à 9,0%. Une dépréciation du Rand vis-à-vis du dollar U.S. devrait donc s’observer davantage encore dans les prochains mois. Le déficit du compte courant conforte également cette tendance.

Le 11 décembre, la South Africa Reserve Bank (noté SARB) a décidé de baisser ses taux directeurs de 50 pb, pour s’établir à 11,50%. Cette décision marque un changement de cap dans la conduite de la politique monétaire : depuis plus de trois ans, en effet, la SARB ne cessait d’augmenter les taux, alors que les tensions inflationnistes étaient de plus en plus marquées. Alors que l’inflation a dépassé les 13% en GA en juillet, la politique monétaire de la SARB a été de plus en plus restrictive, jusqu’à atteindre 12% en juillet 2008.

 Arguments justifiant la baisse des taux directeurs 

Le gouverneur de la banque centrale s’est appuyé sur deux arguments pour justifier de cette inflexion dans la politique monétaire :

i) des perspectives de croissance mal orientées,
ii) un retour de l’inflation dans la fourchette définie par la SARB au T3-08.

i) Net ralentissement de la croissance en 2009

L’Afrique du sud n’est pas épargnée par la crise globale et, comme partout, les prévisions de croissance sont revues à la baisse pour 2009. L’an prochain, la croissance s’établira à 2,5% en GA selon nos prévisions, contre +3,7% attendue cette année.

Désormais, les canaux de transmission de la crise mondiale vers l’économie sud africaine sont triples : dégradation des termes de l’échange (demande en métaux précieux notamment) ; instabilité financière (fuite de capitaux en raison d’une aversion des investisseurs pour une prise de risque trop élevé associée à une forte volatilité du Rand – le rand a perdu 27,8% contre dollar US entre janvier et novembre 2008) et enfin renchérissement du coût du crédit pour les entreprises et les ménages sud africains).

La crise financière actuelle devrait accroitre les problèmes de financement d’un déficit courant déjà bien très élevé. Le tarissement des flux entrants de capitaux est en passe de remettre en cause nombre de programmes d’investissements en Afrique du sud (dans le cadre de la coupe du monde de Football de 2010). La non-réalisation de ces projets fragiliserait davantage l’économie sud-africaine : outre les perspectives très nettement dégradées de l’économie mondiale et l’impact négatif que l’on peut en attendre sur les exportations de matières premières de l’Afrique du Sud, la composante « investissement en équipement » pourrait nettement peser sur la croissance en 2009. Ce contexte place la Banque centrale sud africaine face à un arbitrage difficile : maintenir ou non des taux directeurs élevés pour attirer les capitaux étrangers au risque d’étrangler les ménages et les entreprises endettés. Cependant, la réduction des tensions inflationnistes conduit et conduira selon nos prévisions, la SARB à adopter un biais baissier (Flash à paraître, “ Les vulnérabilités financières de l’Afrique du Sud : contraintes sur la balance des paiements et implications monétaires »).

ii) Les tensions inflationnistes sont moindres depuis le mois de septembre.

Depuis avril 2007, l’inflation évolue hors des bandes de fluctuation(1). Cette inflation résultait avant tout de chocs exogènes à l’économie sud africaine à savoir les prix élevés de l’énergie et des denrées alimentaires Parallèlement depuis juin 2006, les taux directeurs n’ont cessé d’augmenter : en deux ans, ils ont ainsi progressé de 5 points de pourcentage, passant de 7% à 12%.

Depuis septembre, toutefois, on observe un mouvement inverse : l’inflation est ainsi passée de 13% à 12,4% de septembre à octobre. La croissance ralentie en raison de la production industrielle, du secteur minier, des ventes au détail et de gros. Pour la première fois depuis 1998, les dépenses de consommation se sont inscrites en baisse. Dans la mesure où le secteur minier, notamment, a déjà annoncé des fermetures de mines et des licenciements massifs – Limpopo Mine pourrait supprimer jusqu’à 6000 emplois(2) -, les dépenses de consommation resteront limitées dans les prochains mois, exerçant peu de pression inflationniste.

D’autres baisses de taux sont à prévoir en 2009

Ce mouvement devrait se poursuivre en 2009, incitant la SARB à adopter un biais baissier tout au long de l’année (la prochaine baisse des taux devrait intervenir en février 2009 ; d’autres suivront tout au long de l’année amenant les taux directeurs proches de 9,0% en fin d’année selon nos prévisions). En effet nous anticipons une réduction de l’inflation en 2009 (+7,0% en GA contre +11,6% en 2008, soit une baisse de 4,6 points de pourcentage) en raison de la baisse des prix du pétrole et des matières premières et de l’adoption d’une nouvelle méthodologie concernant le calcul de l’inflation (une nouvelle pondération de l’IPC sera retenue, laissant une place moins importante à l’alimentaire et l’énergie au profit des services). Celle ci prendra effet dès janvier 2009. Le plus gros risque inflationniste actuel est la dépréciation du Rand contre dollar.

Il semblerait en effet que la Banque Centrale sud-africaine ne tienne compte que de l’inflation pour décider de sa politique monétaire. En fonction de différents tests économétriques basés sur la règle de Taylor augmentée des conditions monétaires, il s’avère que seule l’évolution de l’inflation (plus précisément un écart par rapport à la cible d’inflation de 3 à 6%) intervient dans la décision d’augmenter ou non les taux directeurs. D’après les résultats obtenus, si l’inflation augmente de 1 point de pourcentage par rapport à la valeur médiane de la cible (i.e. 4,5%), alors les taux directeurs sont rehaussés de 0,48 point de pourcentage, soit 50pb. Dans la mesure où nous prévoyons une baisse de l’inflation de 4,6 points de % entre 2008 et 2009, la SARB réduira ses taux directeurs de 2,25 pb, pour s’établir à 9,0%.

Globalement, la situation de déficit courant place la Banque centrale sud africaine face à un arbitrage difficile : maintenir ou non des taux directeurs élevés pour attirer les capitaux étrangers au risque d’étrangler les ménages et les entreprises endettés. Récemment, il semblerait que la SARB ait accordé une plus grande importance au risque croissant de hausse d’endettement des agents privés domestiques. La réduction de l’inflation a conduit le 11 décembre et conduira la SARB à adopter un biais baissier en 2009, selon nos prévisions.

NOTES

(1) Depuis 2000, la Banque centrale sud africaine poursuit une politique de cible d’inflation. Sa fourchette est établie entre 3-6% depuis mi 2003.
(2) Selon une étude du « Solidarity Labor Union », un salarié des mines fait vivre huit personnes.