Allemagne : Coup de frein

par Hélène Baudchon et Caroline Newhouse, économistes chez BNP Paribas

  • Après un très fort rebond au premier trimestre de 2014, la croissance allemande marque un coup de frein
  • Ce ralentissement souligne la cyclicité de l’économie allemande et sa dépendance au commerce mondial.
  • Il devrait toutefois rester ponctuel, la croissance retrouvant, au deuxième semestre, son rythme de croisière.

Les dernières données disponibles montrent que la croissance allemande a nettement ralenti au deuxième trimestre (T2) 2014, et probablement plus que ce que nous attendions après le rebond marqué du premier trimestre (la première estimation du PIB du T2 sera publiée, sans détail des composantes, le 14 août prochain).

Nous savions que les facteurs temporaires, qui avaient fortement amplifié l’accélération de l’activité au T1 (+0,8% t/t), ne se reproduiraient pas au printemps. Selon la Bundesbank, les conditions météorologiques très favorables auraient contribué positivement à la croissance à hauteur de 0,3 points de pourcentage, tandis que la reconstitution des stocks ajoutait 0,6pp à l’activité.

Mais nous n’avions pas anticipé l’ampleur du ralentissement qui a touché le secteur manufacturier au T2. Les tensions géopolitiques (en particulier en Irak, en Syrie et en Ukraine), la force de l’euro (en hausse de 9 % en termes effectifs réels depuis le plus bas de l’été 2012), le niveau élevé des prix du pétrole et le ralentissement de la croissance en Asie ont fini par peser sur la confiance des entreprises manufacturières dont les carnets de commandes à l’exportation se sont désépaissis progressivement. En outre, le week-end pascal, plus tardif cette année, ainsi que les congés du mois de mai (ponts du 1er mai et de l’ascension) ont mécaniquement rogné l’activité aux mois d’avril et de mai.

Le secteur manufacturier en panne

Contre toute attente, la production industrielle, particulièrement sensible à la demande mondiale, a nettement baissé en mai (-1,8% m/m, après -0,3% m/m en avril). Pourtant les enquêtes récentes (IFO, Indicateur du Sentiment Economique et PMI) indiquaient seulement un ralentissement de l’activité (après +1,3% t/t et +5% t/t dans l’industrie et la construction respectivement au premier trimestre). Si l’indice PMI manufacturier global a reculé, de près de deux points au deuxième trimestre, il est resté en zone d’expansion (52,9) pour le quatrième trimestre consécutif. Dans la construction, la situation est différente. L’hiver particulièrement clément a soutenu l’investissement dans le secteur (+3,6% t/t, plus forte progression depuis le T1 2011) et une correction était à prévoir au deuxième trimestre. L’indice PMI est repassé sous 50 dès avril, indiquant une contraction de l’activité au T2. Somme toute, la production industrielle (qui représente environ un quart de la valeur ajoutée totale) s’est probablement contractée de près de 1% au deuxième trimestre, en dépit de la correction à la hausse attendue en juin.

Comme au premier trimestre (+0,2% t/t), les exportations pourraient, quant à elles, être restées quasiment inchangées au T2, le commerce extérieur taillant ainsi à nouveau dans la croissance (-0,9pp au T1). En mai, les exportations ont reculé de 1,2% m/m après avoir enregistré une nette progression en avril (+2,6% m/m). D’une part la zone euro (environ 40% des exportations totales) demeure le principal partenaire commercial de l’Allemagne et peine à accélérer (nous serons probablement amenés à réviser à la baisse nos prévisions de croissance pour le T2 pour l’ensemble de la zone). Les enquêtes dans la région montrent un essoufflement du secteur manufacturier. Les nouvelles commandes à l’exportation baissent régulièrement depuis novembre 2013, tandis que le ratio des commandes rapportées aux stocks, qui est un bon indicateur de la tendance sous-jacente, recule également.

D’autre part, la croissance chinoise, troisième partenaire commerciale de l’Allemagne, décélère. Les entreprises allemandes y exportent principalement des automobiles (environ un tiers du total des exportations), ainsi que des machines et des biens d’équipement (un quart). Or, le processus de changement "structurel" lentement mené par Pékin freine la croissance. En outre, l’actuelle correction à la baisse du marché immobilier pèse sur la croissance à court terme (les secteurs immobilier et de la construction représentaient à eux deux environ 13% du PIB en 2013) et accroît les risques de crédit du secteur financier chinois.

Coup de frein au T2

Nous sommes par conséquent contraints à la prudence. Par le passé, une contraction de la production industrielle de l’ordre de 1% t/t s’est accompagnée d’une quasi-stagnation de la croissance du PIB. Nous révisons donc à la baisse notre prévision de croissance pour le deuxième trimestre, de 0,4% t/t à 0,2%.

Au premier semestre, la croissance du PIB s’établirait ainsi autour de 0,5% t/t. Elle devrait demeurer sur ces niveaux, proche de son rythme de croisière, au deuxième semestre et atteindrait environ 2% sur l’ensemble de l’année après 0,5% en 2013. La vigueur des services pourrait, en effet, compenser la faiblesse transitoire de l’activité dans l’industrie. La consommation privée devrait, en particulier, soutenir la croissance. Les conditions sur le marché du travail sont tendues. L’emploi, et en particulier les emplois réguliers soumis à cotisations sociales, a progressé de 0,9% g.a. en mai, en nette accélération par rapport à l‘année précédente (+0,5% g.a.).

Les secteurs du commerce de détail et des services aux entreprises devraient recruter à un rythme soutenu au cours des prochains mois. Par ailleurs, la situation de quasi plein emploi, avec un taux de chômage au plus bas depuis la réunification, à 6,7% en juin, encourage de nombreuses personnes à revenir sur le marché du travail ainsi qu’une vague d’immigration continue, en particulier en provenance des autres Etats membres de l’Union européenne. En 2013, les entrées nettes de travailleurs étrangers sur le sol allemand se sont montées à 437 000. Dans ces conditions, la progression des salaires devrait accélérer après plusieurs années de modération. Par ailleurs le Bundesrat vient de voter, après le Bundestag, la loi sur le salaire minimum qui bénéficiera à 4,7 millions de travailleurs pauvres d’ici le 1er janvier 2017. Enfin, les pensions de retraite ont été revalorisées à dater du 1er juillet (environ 1,7% à l’Ouest et 2,5% à l’Est) après plusieurs années de gel.

Parallèlement, on observe une quasi stabilité des prix à la consommation. A 1% en juin, l’inflation a certes accéléré par rapport au mois précédent (0,6% en mai, un plus bas depuis quatre ans) mais demeure à des niveaux très bas. Cette évolution favorable constitue une bonne nouvelle pour le revenu disponible des ménages et devrait soutenir leur confiance ainsi que leur consommation qui a vraisemblablement reculé au deuxième trimestre (après +0,7% t/t au T1). Les ventes au détail devraient ainsi rebondir au troisième trimestre après la contraction attendue du T2 (-1,5% en avril puis -0,6% m/m en mai). En particulier, l’enquête GfK souligne l’effet positif de la décision de la Banque centrale européenne d’abaisser ses taux directeurs sur la confiance des ménages allemands, et en particulier sur leur propension à consommer. A ce titre, dans son enquête trimestrielle de juin, la Bundesbank indique une progression de l’encours de crédit bancaire aux ménages que ce soit à la consommation ou hypothécaires.

L’investissement privé devrait continuer de soutenir la croissance au deuxième semestre. En hausse de 3,3% au premier trimestre, il a contribué pour 0,2 pp à la croissance. Les conditions monétaires et financières demeurent favorables tandis que le taux d’utilisation des capacités de production est retourné sur sa moyenne de long terme. En outre, la Bundesbank indique que les banques anticipent une progression de la demande de crédit des entreprises pour financer leurs investissements. Nous suivrons avec attention la publication des premières enquêtes pour le mois de juillet. Dès la semaine prochaine, l’enquête IFO devrait nous renseigner sur le climat des affaires dans l’industrie et le commerce au début du troisième trimestre, après être retombé en juin sur son niveau le plus bas depuis le début de l’année.

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