Allemagne : décélération de la croissance

par Caroline Newhouse, économiste chez BNP Paribas

•  La croissance allemande a légèrement décéléré au troisième trimestre.

•  Seule la consommation privée et publique a soutenu l’activité contrairement à l’investissement privé et au commerce extérieur.

•  Les indicateurs disponibles et les enquêtes récentes montrent que le profil de croissance ne devrait pas être sensiblement différent au quatrième trimestre.

Si, en France, la croissance a rebondi au troisième trimestre (+0,3% après 0% au T2), la situation a été différente en Allemagne. Avec une progression de 0,3% t/t au T3, confirmée en seconde estimation par l’agence fédérale des statistiques, la croissance du PIB a légèrement décéléré par rapport au trimestre précédent (+0,4% t/t au T2).

Vers un rééquilibrage du modèle de croissance

Ce résultat constitue néanmoins une relativement bonne surprise compte tenu de ce que le repli de la production industrielle (-0,2% t/t) au troisième trimestre avait laissé anticiper. En outre, le détail des composantes est encourageant dans la mesure où la demande interne est le principal facteur de soutien de la croissance (contribution de +0,7 point de pourcentage à la croissance du PIB).

La consommation des ménages a été particulièrement vigoureuse, en hausse de 0,6% t/t (+0,3 pp), en nette accélération par rapport au trimestre précédent (+0,1% au T2 2015). Les enquêtes auprès des ménages ne sont toutefois pas aussi bien orientées pour la fin de l’année. En particulier, l’indice de confiance des consommateurs calculé par la Commission européenne est repassé en territoire négatif en septembre et est retombé en octobre à son niveau le plus bas depuis avril 2013. Les ménages allemands anticipent, en effet, une détérioration de la situation économique ainsi qu’une progression du chômage à l’horizon d’un an. Dans ces conditions, leur volonté de faire des achats importants est au plus bas depuis plus d’un an. Pour l’heure, cependant, les conditions restent favorables sur le marché du travail, avec un taux de chômage à 6,4% en octobre, son niveau le plus bas depuis la réunification et un rythme de création d’emplois proche de 1% g.a. en septembre.

Par ailleurs, les dépenses de consommation publique, en hausse de 1,3% t/t ont, elles aussi, soutenu la croissance (+0,3 pp). En outre, l’afflux sans précédent de migrants (un million cette année et 750 000 en 2016, selon les dernières estimations du Conseil des experts économiques, ou Conseil des cinq sages, publiées à l’occasion de la sortie de son rapport annuel mi-novembre) occasionnera des dépenses supplémentaires de la part de l’administration centrale et des Länder (estimées entre EUR 5,9 et 8,3 mds en 2015 et entre EUR 9 et 14,3 mds en 2016) qui devraient soutenir la consommation publique tout au long de l’année prochaine. A contrario, l’investissement des entreprises privées s’est replié pour le second trimestre consécutif (-0,3% t/t après -0,4% au T2), en ligne avec la chute de l’investissement en biens d’équipements (-0,8%). Cette dernière a interrompu la progression marquée enregistrée au cours des trois trimestres précédents (+2,6% au T4 2014, +1,9% au T1 2015 et +0,5% au T2 2015) et pourrait se poursuivre au T4, comme l’indique la baisse importante des commandes manufacturières en biens d’investissement au cours de l’été (-3,5% t/t au T3, plus fort déclin enregistré depuis T3 2011, qui avait précédé une chute de 2,2% de l’investissement en biens d’équipement au T4 de la même année).

Le commerce extérieur a, quant à lui, exercé un effet négatif sur la croissance (environ -0,4 pp) au troisième trimestre, les exportations étant resté quasiment inchangées (+0,2% t/t). En effet, les principaux marchés émergents de l’Allemagne, Chine et Russie en tête, accusent un net ralentissement depuis quelques mois, tandis que la reprise dans la zone euro n’est que graduelle. A cet égard, notons que les commandes manufacturières en provenance de l’extérieur de la zone euro reculent depuis plusieurs mois et sont désormais inférieures de plus de 8% au niveau atteint en septembre 2014. A contrario, les importations ont augmenté de 1,1%, en réponse à la hausse vigoureuse de la demande interne et au besoin de reconstituer, au moins partiellement, les stocks des entreprises (+0,2 pp) après l’important déstockage opéré au T2 (-0,4 pp).

Les enquêtes pour novembre indiquent une poursuite de cette tendance au rééquilibrage des moteurs de la croissance en faveur de la demande interne. L’indice composite d’activité de l’enquête PMI a augmenté de 54,2 en octobre à 54,9, principalement grâce à une amélioration enregistrée dans les services qui vient confirmer la vigueur de la demande intérieure. Par ailleurs, l’enquête IFO s’est nettement redressée en novembre, restant insensible à la progression des incertitudes mondiales. A 109 après 108,2 en octobre, elle se retrouve à son niveau de juin 2014. En particulier, la hausse de l’indice du climat manufacturier a interrompu la baisse initiée depuis septembre 2015, alors que la sous-composante automobile a continué de progresser en dépit du scandale qui a éclaté à la fin de l’été dans le secteur. Plus généralement, l’enquête IFO poursuit son amélioration en ligne avec des perspectives de consommation qui demeurent favorables en Allemagne. Quant à l’indice IFO du climat dans la construction, il se retrouve au niveau le plus élevé depuis la réunification. Le secteur bénéficie, en effet, d’un environnement de taux d’intérêt particulièrement favorable et d’une hausse attendue de la demande de logements en réponse aux besoins d’accueil de la population réfugiée.

L’intégration des migrants sur le marché du travail impose des réformes

Toutefois cet optimisme affiché pourrait faire long feu. Si à court terme, l’afflux de demandeurs d’asile devrait exercer un effet légèrement positif sur la croissance (coup de pouce à la consommation, construction de foyers de premier accueil et de logements sociaux…), il constitue à moyen terme un défi majeur pour l’Allemagne. Comme le soulignent les cinq sages dans leur rapport annuel, la vague migratoire sans précédent impose que des mesures structurelles soient prises dans au moins deux directions. D’une part, les procédures d’examen des demandes d’asile devraient être accélérées. D’autre part, les barrières à l’entrée sur le marché du travail devraient être abaissées. En particulier, les réfugiés devraient pouvoir bénéficier dès le début de leur recherche d’emploi des mêmes conditions qu’un chômeur allemand de longue durée, lequel peut être embauché à un salaire inférieur au minimum légal. Enfin, les cinq sages s’opposent à toute revalorisation du salaire minimum à court terme qui constituerait une barrière supplémentaire à l’intégration rapide de cette nouvelle main d’œuvre sur le marché du travail. Plus généralement toutefois, les cinq sages estiment que la réponse donnée par les autorités publiques à cette situation d’urgence ne devrait pas remettre en cause la bonne santé des finances publiques allemandes, alors même que les hypothèses de croissance qu’ils retiennent sont inférieures de 0,2 pp à celles du gouvernement (1,8% en 2016).

La Commission européenne tire globalement les mêmes conclusions. Elle évalue le coût budgétaire de l’accueil des réfugiés à 0,25 pp en 2016 après 0,1 pp en 2015, et table sur un effet négatif moins important sur les finances publiques. Elle anticipe, en effet, un excédent budgétaire encore égal à 0,5% du PIB l’an prochain. Alors qu’initialement prévu à l’équilibre en 2015, le solde des administrations publiques devrait être en excédent cette année (autour de 1%). De meilleures rentrées fiscales qu’escompté (principalement sur l’impôt sur le revenu et l’impôt sur la fortune), d’une part, et des dépenses moindres (indemnisations chômage et prestations sociales), d’autre part, expliquent principalement ce décalage entre la loi de finance 2015 et son exécution, malgré des hypothèses de croissance pour 2015 (1,7%) qui apparaissent désormais quelque peu optimistes, au regard de l’acquis au T3, inférieur à 1,4%. Pour 2016, Wolfgang Schaüble prévoit encore une fois un budget à l’équilibre, ce qui supposerait un relâchement de la politique budgétaire de 0,75 pp de PIB, compte tenu des hypothèses de croissance retenues (1,8%). Dans ces conditions, le ratio d’endettement devrait poursuivre sa décrue rapide et repasser sous la barre des 60% du PIB d’ici 2020.

A contrario, l’Allemagne ne fait aucun progrès en matière de réduction de son excédent de balance des paiements courants. Ce dernier est supérieur au seuil de référence de 6% depuis 2012 (moyenne sur les trois dernières années) et Berlin se trouve depuis cette année au stade 3 de la procédure lancée par la Commission européenne dans le cadre du Semestre européen. La Chancellerie doit désormais adopter des mesures « décisives » pour relancer sa demande intérieure et la croissance à moyen terme. A cet égard, le rééquilibrage du modèle économique de croissance auquel nous assistons depuis quelques trimestres va dans le sens des recommandations de la Commission.

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