Allemagne : quelles perspectives en 2014 et 2015 ?

Par Philippe Vilas Boas, économiste au Crédit Agricole

• Après deux années de croissance modérée, l’activité allemande devrait progresser de 1,7% en 2014. Les derniers trimestres 2013 demeurent encourageants et les récents indicateurs conjoncturels plutôt optimistes. Les exportations nettes seront le principal moteur de la croissance en 2014; elles permettront aux entreprises de dégager de meilleures marges, et de rattraper ainsi plusieurs années de sous-investissement. La consommation bénéficiera plus que dans le passé récent de la hausse des revenus et contribuera à soutenir la croissance.

• La rigueur budgétaire ne devrait pas fléchir avec un déficit maîtrisé et une dette maintenue à la baisse. Les nouvelles mesures prévues par la nouvelle coalition pèseront, in fine, peu sur l’objectif d’équilibre budgétaire prévu en 2014.

• Deux types de risques sont susceptibles de venir altérer notre scénario central. Le premier concerne un choc éventuel sur la demande extérieure provenant d’une rechute de la croissance européenne. Le second porterait davantage sur la demande intérieure qui pourrait se retourner vers l’épargne au détriment de la consommation.

• Le décalage entre les performances de l'Allemagne et celles du reste de l'Europe, et ses positions en matière de politique économique la font souvent percevoir comme peu coopérative dans les enjeux économiques européens. Il serait pourtant déraisonnable d'attendre de sa part un changement de posture et de politique dans les deux années à venir.

Tous les leviers de la croissance sont activés

La croissance allemande s’est stabilisée à 0,5% en 2013, contre 0,9% en 2012. Un ralentissement essentiellement dû à l’acquis de croissance négatif du T4 2012 venant fortement impacter le premier trimestre 2013. Néanmoins, plusieurs indicateurs conjoncturels soulignent une activité plus optimiste en début d’année 2014.

L’enquête sur la production industrielle (hors énergie et construction) bondit ainsi de 4,6% (a/a) en février, tandis que les nouvelles commandes à l’industrie atteignent les 6,1% (a/a). Dans le même temps, l’indice IFO, mesurant le climat des affaires en Allemagne, croît de 3,6% (a/a). L’année 2014 devrait voir l’activité croître à un rythme de croissance annuelle plus soutenue, de 1,7%. Une tendance qui devrait se poursuivre également en 2015. Notre scénario se fonde tant sur une poursuite de la dynamique des exportations nettes, que sur le ressort insuffisamment exploité de la demande domestique.

La demande extérieure continuera d’être le premier contributeur à la croissance en 2014. Après avoir contribué négativement à la croissance sur les trois premiers trimestres 2013, il aura suffi d’une forte contribution positive des exportations nettes au T42013, pour revenir en tête des composantes de l’activité allemande. Une performance lui permettant de dégager un excédent commercial annuel de plus de 200 Mds € et de gonfler encore davantage son excédent de la balance courante (7,6% en 2013).

La consommation, dont la croissance annuelle progresse de 0,9% en 2013, devrait rester un pilier central, et sera portée par la progression des salaires. Les salaires et traitements poursuivront, en effet, leur progression au-delà des 2,8% déjà réalisés en 2013. Ils pourraient encore augmenter en 2014 dans certains secteurs comme la métallurgie et la chimie, avec les revalorisations salariales actées l’an passé lors des négociations de branche L’embellie du marché de l’emploi contribuera également à améliorer le moral des ménages, dans un contexte où la progression des prix à la consommation reste très favorable (+1,2% a/a, en février 2014). La confiance des consommateurs remonte d'ailleurs dans les enquêtes, ce qui permet d'attendre un affermissement des ventes au détail.

L’investissement rattrapera son retard. Les deux dernières années ont été marquées par un recul de l’investissement durant six trimestres consécutifs, allant du T4 2011 au T1 2013. Pendant cette période, l’investissement en machines et équipements a chuté de plus de 7%. Les trois derniers trimestres de 2013 ont déjà marqué la fin de ce cycle récessif, avec un redressement de l’investissement de 1,3% en moyenne.

Cette reprise de l’investissement est rendue possible grâce à une reconstitution des taux de marge à partir de 2013, après deux années de baisse de la profitabilité des entreprises. Par ailleurs, la récente remontée du taux de marge s’est accompagnée d’une hausse du taux d’utilisation des capacités productives. Un phénomène accentué par le ralentissement des coûts salariaux unitaires pendant cette période. En niveau, l’investissement reste toutefois inférieur à son niveau d’avant crise.

Enfin, la remontée de la confiance des entreprises suggère une nette amélioration du climat des affaires.

L’emploi, déjà au plus haut, ne devrait pas faiblir. Sur le marché de l’emploi, le nombre de chômeurs (2,3 millions) est quasiment à son plus bas niveau historique depuis 1991. L'immigration est rendue nécessaire par le vieillissement de la population. Hors bouleversement économique majeur, le taux de chômage devrait donc resté stable dans les deux prochaines années.

Des finances publiques maîtrisées

Les finances publiques sont et vont rester bien maîtrisées, grâce au contrôle du déficit public instauré depuis 2011 et à l’adoption de la règle dite du « frein à l’endettement », limitant celui-ci à 0,35% du PIB chaque année.

Depuis cette date, le déficit n’a pas dépassé les 1% du PIB, ce qui a contribué à endiguer le niveau de la dette, d’autant que le refinancement de celle- ci s’effectue à moindre coût. Le solde budgétaire est attendu à l’équilibre en 2014 et le montant de la dette stabilisé d’ici 2016. Aidé par l’accélération de la croissance, le ratio de dette sur PIB va se réduire progressivement.

Les mesures proposées par la nouvelle coalition ne devraient pas détériorer le solde budgétaire. L’instauration d’un salaire minimum à 8,50€ débutera en 2015 et pourra être reportée jusqu’en 2017, s’il existe un accord de branche (déjà en cours sur la période). La mise en place de cette mesure devrait coûter aux entreprises entre 2% et 3% de la masse salariale en fonction du secteur d’activité, ce qui reste modeste.

La réforme des retraites vise à réduire l’âge de départ à 63 ans (au lieu de 67 ans) pour les personnes ayant cotisé 45 ans. Elle sera financée par une augmentation des cotisations, sans impact significatif sur le budget.

Enfin, les dépenses supplémentaires proposées dans l'éducation et les infrastructures seront étalées sur cinq ans, pour éviter de dévier le solde budgétaire de sa trajectoire.

Quelques risques résiduels

Même si tout semble être en place pour assurer une croissance plus pérenne, certains facteurs pourraient venir altérer notre scénario central. Le dynamisme de l’activité allemande dépend avant tout de ses exportations. Une rechute de la croissance européenne viendrait handicaper la demande extérieure et restreindre ses débouchés.

D'autre part, une hausse significative du prix des produits énergétiques (pétrole et/ou gaz) pèserait sur les coûts de production, réduirait les marges dans l’industrie, et entraverait l’investissement productif.

Il existe enfin un risque sur la consommation des ménages : une reconstitution de l’épargne privée (en baisse depuis 2009) pourrait freiner la consommation domestique, en dépit des hausses salariales.

L’Allemagne contre l’Europe ?

La position économique dominante de l’Allemagne en Europe l’oblige à assumer une double fonction. Elle se doit d’être exemplaire, mais aussi de porter les objectifs communs européens. Or, sur ce dernier point, l’Allemagne est souvent jugée peu coopérative.

La politique d’austérité, généralisée en Europe et préconisée par l’Allemagne, s’est accompagnée d’une course à la compétitivité conduisant à une compression sur les prix dans l’ensemble de la zone. Une situation qui fait craindre des risques déflationnistes pouvant altérer la croissance. L'augmentation post-crise des parts de marché allemandes s’est faite au détriment de ses partenaires commerciaux européens. Une situation dénoncée à demi-mot par la Commission Européenne qui estime les excédents courants allemands excessifs.

L’Union bancaire, qui vise à instaurer un cadre commun de résolution des crises se retrouve également significativement orientée par les choix de l'Allemagne. Son opposition à l’accès des banques privées au mécanisme européen de stabilité (MES) rend, de fait, toute mutualisation du risque bancaire impossible au niveau européen. Chaque pays devra donc prendre à sa charge le coût associé à une faillite bancaire nationale.

Enfin, la remise en cause de la validité de l’OMT (« Outright Monetary Transactions ») par la Cour constitutionnelle de Karlsruhe, puis son renvoi auprès de la Cour de Justice de l’Union européenne, souligne le poids du Bundestag qui refuse toute nouvelle contribution financière européenne sans son consentement préalable. Cette objection, tout aussi légitime soit-elle, remet en cause le rôle de la BCE en tant que dernier rempart contre la crise.

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