Allocation d’actifs et prisme ESG

par Pierre Carpentier, Directeur des Gestions à Dubly Transatlantique Gestion

La réallocation du capital vers la transition énergétique et la prise en compte des enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance, sont au cœur du débat politique européen et constituent un des objectifs affichés des politiques publiques de l’Union. 

Le règlement européen SFDR oblige depuis 2021 les sociétés de gestion d’actifs à évaluer les préférences de leurs clients en termes de durabilité, tandis que le règlement CSRD, entré en vigueur au 1er janvier de cette année, amène les entreprises à se conformer à de nouvelles exigences de reporting en matière de durabilité et de performances extra-financières. Mais, en pratique, deux questions demeurent et interrogent les allocataires d’actifs. La première est celle du rendement : l’investissement vertueux, socialement responsable, est-il un investissement performant? La seconde se penche sur les stratégies d’allocation à privilégier, tant les options sont variées et parfois contradictoires. La tendance à la décollecte observée ces derniers mois sur les fonds ESG souligne en creux l’intérêt d’approches s’inscrivant dans une perspective patrimoniale équilibrée. 

Impact sur l’univers d’investissement 

L’intégration d’un filtre ESG dans une stratégie d’investissement a prouvé sa pertinence en termes de gestion des risques. L’investisseur durable privilégie des modèles capables de s’adapter à un avenir incertain, en se tournant vers des entreprises robustes ayant anticipé les transformations, et qui créent de la valeur pour la société et les actionnaires sur le long terme. En intégrant les enjeux de parité hommes-femmes ou les questions environnementales dans sa gouvernance, un groupe comme l’Oréal a renforcé sa résilience et amélioré sa performance. À l’inverse, les entreprises opérant dans les énergies fossiles ou des secteurs fortement émetteurs de gaz à effet de serre seront plus exposés aux risques de transition vers un modèle bas-carbone, aux risques liés à des réglementations plus strictes, et aux pressions sociétales. 

Le suivi des controverses permet de limiter les risques de réputation et de destruction de valeur en cas de polémique environnementale ou sociale majeure. Les déboires d’Orpeaet de Teleperformance (2022), qui n’avaient pas été anticipés par les analystes, ont souligné l’importance pour les gestionnaires d’actifs de développer des méthodologies rigoureuses et des capacités d’analyse ESG en interne, notamment dans le domaine de la cartographie des risques et du suivi de «signaux faibles» annonciateurs de possibles polémiques. 

Mais, si les filtres ESG diminuent les risques, le choix de thématiques trop ciblées et de modèles d’affaires trop vertueux peuvent cependant nuire à la diversification des portefeuilles, et entraîner une réduction excessive de l’univers d’investissement. 

Historiquement, les premières stratégies d’investissement durable ont reposé en priorité sur des politiques d’exclusion, consistant à éviter les secteurs d’activité susceptibles d’avoir un impact négatif (tabac, armes). Cette approche a été complétée par l’approche norm-based, excluant les entreprises ou secteurs ne respectant pas les conventions internationales. Ces stratégies coexistent maintenant avec les approches «Best-in», qui reposent sur le principe de la sélection multi-sectorielle ESG. 

Stratégies de sélection multi-sectorielle 

Trois types de stratégies s’offrent classiquement aux gérants. La sélection «Best-in-Universe» ne retient que les valeurs disposant du meilleur scoring ESG, tous secteurs confondus. En apparence la plus exigeante, elle induit en réalité des distorsions considérables, en écartant de facto certaines classes d’actifs comme l’énergie, et des pans entiers de l’industrie. Très répandue, l’approche «Best-in-Class » se concentre sur les entreprises aux meilleures pratiques dans leur secteur. Plus incitatives et les plus porteuses en termes d’impact, les stratégies «Best-in-Progress» sont fondées sur le dialogue actionnarial. Une politique proactive de vote et d’engagement permet d’influer sur la gouvernance des entreprises pour s’assurer de la mise en œuvre de leurs engagements ESG, de leur stratégie climat, ou de leur devoir de vigilance. Enfin, la sélection thématique (sustainable theme) et l’investissement d’impact (invest investing) sont d’autres manières d’opérer une gestion responsable. 

Aucun modèle n’étant pleinement satisfaisant, il convient donc d’adopter une approche pragmatique, en ajustant les différentes stratégies selon les spécificités du marché et les objectifs des investisseurs. Une telle flexibilité, combinée à l’indispensable suivi des controverses, permettra d’assurer une gestion d’actifs plus résiliente et durable sur le long terme.