par Malik Haddouk, Directeur de la Gestion Diversifiée, et Laetitia Baldeschi, Responsable des Études et de la Stratégie chez CPR AM
La pandémie continue de souffler le chaud et le froid sur la dynamique de reprise mondiale. Certes, les États- Unis semblent avoir pris une bonne avance, bénéficiant conjointement d’un plan de vaccination efficace, qui permet début mai d’afficher 245,6 millions de doses injectées, soit 44,3 % de la population ayant reçu une première dose, mais aussi d’un soutien budgétaire d’ampleur historique (1 900 Mds de $) venant soutenir le revenu des ménages. Cela leur a permis d’enregistrer une croissance soutenue au 1er trimestre 2021, de 6,4 % (variation trimestrielle annualisée) et d’envisager la suite avec confiance, compte tenu notamment des enveloppes budgétaires encore disponibles mais aussi en raison d’un taux d’épargne historiquement élevé à 27,6 % du revenu disponible à fin mars.
La vaccination a conduit à la réouverture, ce qui se traduit notamment dans le nombre mensuel des créations d’emploi (près d’un million en mars) et donc la baisse du chômage. Joe Biden ne se contente pas de soutenir la croissance aujourd’hui, mais voit plus loin et, à travers deux plans, le « American Jobs Plan » (prévu pour cet été) qui est un plan d’infrastructures physiques de 2 250 Mds $ sur 8 ans et le « American Families Plan », plan d’infrastructures « sociales » de 1 800 Mds $, afin de relancer le potentiel de croissance sur le plus long terme. Il est prévu que ces plans soient financés par un accroissement de la fiscalité sur les entreprises et les ménages les plus aisés.
Si la dynamique de croissance semble bien installée aux États-Unis, elle semble commencer à se renforcer en Europe. Certes la pandémie et les restrictions d’activité qu’elle impose sont venues ralentir la croissance du PIB, ce dernier reculant même de 0,6 % sur le 1er trimestre, mais les enquêtes de conjoncture sont nettement en hausse, et la consommation des ménages se reprend. Le plan de relance européen devrait être mis en oeuvre concrètement à l’été et venir cofinancer les différents programmes de relance des États membres. L’avenir semble donc s’éclaircir sur le plan macro-économique.
Autre facteur de soutien tant pour les États-Unis pour le moment, que pour la zone euro : les banques centrales choisissent d’assurer le maintien de conditions financières très accommodantes pour accompagner cette phase de reprise. Ce contexte, qui est celui de notre scénario central probabilisé à hauteur de 60 % est encore propice à une hausse des marchés actions à 3 mois, même si cette hausse, compte tenu des niveaux de valorisation atteints, nous semble plus limitée aux États-Unis qu’en Europe. Les marchés européens bénéficieraient également d’une composition d’indice plus « value ».
Qu’est ce qui peut faire dérailler ce scénario centrale ?
Une recrudescence de la pandémie ne peut malheureusement pas être à ce jour exclue, ce qui aurait pour conséquence de retarder une nouvelle fois la reprise. L’exemple à ce titre de ce qui se passe en Inde ne peut être mis de côté. Dans un tel scénario, probabilisé à hauteur de 15 %, les obligations joueraient leur rôle de valeur refuge et les actions souffriraient face à la remise en cause des bénéfices attendus pour 2021.
Par ailleurs, comme nous l’indiquions un peu plus haut, la demande est très soutenue aux États-Unis et une accélération des perspectives d’inflation au-delà des éléments temporaires attendus dans cette phase de reprise (effet de base, goulets d’étranglement liés aux perturbations dans les chaînes d’approvisionnement…) peut être observée, renforcée par les contraintes pesant sur l’offre. Dans ce cas, les taux d’intérêt jusqu’alors contenus notamment par les achats des grandes banques centrales progresseraient plus fortement, entrainant dans un premier temps un changement plus rapide de l’orientation des politiques monétaires des banques centrales et bien entendu la chute des marchés actions. Ce risque de surchauffe est probabilisé à hauteur de 25 %.
L’attention devrait ainsi rester focalisée sur l’inflation, dont l’augmentation depuis le début de l’année demeure sans commune mesure avec les années récentes. Certes, celle-ci est liée à des facteurs temporaires, mais son niveau atteint des plus hauts sur la décennie : 2,6 % en mars aux États-Unis ! La Réserve fédérale, par la voix de son président Jerome Powell, a cependant rassuré les marchés en rappelant que la priorité était d’abord un retour à la normale du marché de l’emploi et de l’économie.
Les marchés actions ne se sont pas embarrassés de ces inquiétudes, surfant à plein sur la vague de la réouverture des économies promise pour l’été. Les marchés ont été également rassurés par les très bons résultats des entreprises publiés jusqu’à présent. La remontée des taux longs a soutenu dans un premier temps la rotation sectorielle du début de l’année : il est intéressant de noter que depuis la stagnation des taux en avril, les marchés de croissance ont repris leur marche en avant (Nasdaq +6 % en avril). Les marchés actions ont pour le moment ignoré les récentes déclarations de l’administration Biden au sujet d’une forte remontée de la taxation des entreprises.
Malgré le momentum positif sur les marchés, nous pensons que le début d’un resserrement de la politique monétaire aux États-Unis n’est peut-être pas si éloigné que les marchés le laissent entendre actuellement, à l’image de la banque centrale canadienne qui s’est en effet déjà engagée dans une réduction progressive de ses achats d’actifs. Nous devons également garder à l’esprit que les valorisations exigeantes des marchés d’actions et l’important effet de levier utilisé actuellement par divers investisseurs relèvent la barre des attentes sur les rendements futurs, alors même que certains développements défavorables notamment concernant l’environnement réglementaire et fiscal pourraient se matérialiser dans les prochains mois. Dans ce contexte que nous estimons moins favorable aux marchés actions, nous avons ajouté quelques protections et commencé à réduire graduellement nos expositions au risque.