Après l’orage

par Thibault Mercier, économiste chez BNP Paribas

Au plus fort de la crise de la dette européenne, entre 2010 et 2012, les trois principales agences de notation (Moody’s, S&P et Fitch) auront, en moyenne, baissé les notes souveraines de l’Espagne et du Portugal de huit crans, celle de l’Irlande de six. Si 2013 a été l’année de la stabilisation, 2014 pourrait bien être celle de la réhabilitation. La semaine dernière, Moody’s a relevé la note souveraine de l’Espagne d’un cran, à Baa2, après avoir sorti, un mois plus tôt, l’Irlande de la catégorie spéculative en revoyant sa note à Baa3. De façon plus relative, le Portugal a aussi vu son image s’améliorer auprès des agences, S&P ayant finalement décidé de maintenir sa note à BB (toujours en catégorie spéculative), après un examen sous surveillance négative qui, jusqu’à peu, annonçait un déclassement.

L’année 2014 pourrait donc marquer le début du cycle de relèvement des notes de crédit. Celles de l’Espagne et de l’Irlande sont désormais assorties d’une perspective positive chez Moody’s. Au- delà des diverses réformes structurelles engagées, l’opinion des agences se fonde sur le retour de la croissance et l’amélioration des conditions de financement des Etats, ces deux éléments agissant de concert pour réduire les dettes. Le cercle vicieux « hausse des taux – récession – déclassement » pourrait donc bien laisser place à l’enchaînement inverse… pourvu que la reprise naissante soit suffisamment confortée.

En effet, si les pays périphériques semblent sortir de l’ornière, renouant avec la croissance, leur situation demeure très fragile. L’ajustement macroéconomique réalisé depuis trois ans a été particulièrement coûteux en activité et en emploi. La dévaluation interne a permis un ajustement relatif des prix mais s’est accompagnée d’un chômage de masse. Les pays périphériques de l’UEM souffrent aujourd’hui d’un important retard de production (output gap) qui les expose, plus que les autres, aux risques d’instabilité politique et de déflation. Il est donc primordial que la reprise accélère pour réduire le sous-emploi et générer à nouveau des pressions inflationnistes. Pour cela, le taux de croissance du PIB doit être supérieur à son potentiel pendant plusieurs années, ce qui nécessite, au mieux, un soutien macroéconomique (budgétaire et/ou monétaire), au moins, une absence de freins.

Or, les politiques budgétaires, bien que fortement assouplies en 2013, restent restrictives, avec des objectifs de réduction des déficits publics toujours ambitieux. L’Espagne et l’Irlande prévoient des mesures d’austérité représentant environ 1,5 point de PIB en 2014, le Portugal 2,5 points de PIB. Même si les effets récessifs pourraient être moins intenses que par le passé, la demande intérieure demeurera pénalisée.

Dans le même temps, la politique monétaire, très accommodante, se transmet mal à l’ensemble de l’économie. Alors que les écarts de rendements vis-à-vis du Bund se sont considérablement réduits depuis un an en Espagne, en Irlande et au Portugal1, ramenant les taux d’intérêt à des niveaux historiquement bas, les conditions d’accès au crédit pour les sociétés non financières (SNF) peinent à s’améliorer. En légère baisse, les taux sur les prêts aux SNF allant jusqu’à EUR 1mn de maturité comprise entre 1 et 5 ans se situaient encore à 5,2% en Espagne et 5,7% au Portugal en décembre 2013 contre respectivement 5,7% et 6,5% un an plus tôt. Les flux de crédit, eux, continuent de se contracter. Le soutien de la politique monétaire à l’investissement est encore très limité.

En définitive, le policy mix semble aujourd’hui trop restrictif pour permettre une réduction rapide des écarts de production dans les pays périphériques. Malgré la reprise, l’inflation restera trop basse pour écarter le risque déflationniste. Certes, la faible inflation fait aussi partie de l’ajustement demandé à ces pays et permet le rééquilibrage de leur croissance vers les exportations. En ce sens, elle pourrait être source d’activité et d’emplois. Mais, pour résorber les capacités excédentaires par cette voie, il faudrait que la demande externe soit très vigoureuse et/ou que l’euro baisse significativement.

La faiblesse attendue de l’inflation en zone euro pourrait inciter la BCE à prendre des mesures non conventionnelles dans les prochains mois. Que ce soit par son effet direct sur les conditions financières et monétaires ou par son effet indirect sur le taux de change, le lancement d’un programme d’achats d’actifs par la BCE pourrait permettre un rattrapage plus rapide de la production dans les pays périphériques. La semaine prochaine aura lieu la réunion de politique monétaire de la BCE qui présentera ses nouvelles projections macroéconomiques jusqu’en 2016. Des perspectives d’inflation revues à la baisse augmenteraient les chances de voir la BCE s’engager dans la voie de mesures non conventionnelles.

NOTES

  1. Entre fin février 2014 et janvier 2013, les spreads ont baissé de 210pb en Espagne, 247pb au Portugal et 170bp en Irlande.

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