par Jean-Luc Proutat et Catherine Stephan, économistes chez BNP Paribas
Crise de la quarantaine ? Quarante ans après son adhésion à l’Union européenne (UE, ex-CEE), le Royaume-Uni évoque la possibilité d’en sortir. Dans un discours prononcé à Londres le mercredi 23 janvier 2013, le Premier ministre britannique David Cameron a confirmé la tenue d’un référendum sur cette question. Mais si la sortie britannique ou « Brixit » est aujourd'hui officiellement évoquée, elle reste très hypothétique.
Un « Brixit » très hypothétique…
D’abord parce que le référendum n’aurait lieu que fin 2017 et seulement en cas de victoire de l’actuel Premier ministre aux élections générales de 2015, ce qui est loin d’être acquis. Dans les sondages, le parti travailliste (Labour) possède une dizaine de points d’avance sur le parti conservateur de David Cameron. C'est notamment pourquoi ce dernier, en durcissant son discours sur l’UE, cherche à se rallier le soutien du parti indépendant UKIP, eurosceptique. Les reports de voix en provenance de l'UKIP ne seraient toutefois pas suffisants pour faire basculer le rapport de force.
Ensuite, parce que M. Cameron indique vouloir renégocier les traités dans un sens plus favorable aux intérêts britanniques, avant d’enclencher une consultation populaire1. Or il n’est absolument pas sûr que ses partenaires européens y soient prêts. On voit mal, notamment, comment l'exigence britannique de "rapatriement" de pouvoirs de Bruxelles vers Londres se concilierait avec la volonté somme toute commune de l'Allemagne et de la France de renforcer les institutions communautaires, et avec elles la zone euro. Le président français F. Hollande a d'ailleurs indiqué que, si les Britanniques étaient libres de tenir un référendum sur leur appartenance à l'UE, cela ne saurait entrer en ligne de compte pour une quelconque renégociation des traités. Dans le même esprit, la chancelière A. Merkel a rappelé que, dans le cadre de l'Union, les intérêts particuliers du Royaume-Uni devaient être mis en balance avec ceux des vingt- six autres Etats membres.
Le Royaume-Uni a toujours occupé une place à part dans l'Union européenne qui, dans l'esprit de ses dirigeants, se résume surtout à un espace de libre-échange. Un "chèque" négocié en 1984 par Margaret Thatcher réduit ainsi substantiellement la contribution britannique au budget européen (0,64% du revenu national brut en 2011, contre 0,75% pour l’Allemagne et 0,89% pour la France). Le Royaume-Uni n'est pas dans l'euro et ne participe pas aux accords de Shengen. Il n'a pas signé la charte des droits sociaux fondamentaux, ni le « pacte » budgétaire instituant la règle d’or, dont l’une des caractéristiques est qu’il confère plus de pouvoir à la Commission européenne.
… qui n’est pas forcément une bonne affaire
D’une participation réduite à la sortie, le pas est néanmoins considérable à franchir. Pour le Royaume-Uni, l’économie d’une contribution au budget communautaire est à mettre en face des nombreux avantages, non forcément quantifiables, que procure l’appartenance au Marché unique: absence de droits de douanes, liberté des mouvements de capitaux, facilité d’implantations à l’étranger, développement des infrastructures favorables aux échanges, etc. Rien n’indique ainsi que le Royaume-Uni ait intérêt à se mettre en marge d’un marché de plus de 500 millions d’habitants, auquel il destine la moitié de ses exportations.
L’appartenance à l’UE permet également au Royaume-Uni de bénéficier d’un poids politique plus important face aux Etats-Unis et aux économies en pleine croissance telles que la Chine ou le Brésil. Vue d’Amérique, la perspective de voir un allié historique sortir d’une zone représentant autant d’intérêts économiques que l’Union européenne n’est pas spécialement une bonne nouvelle.
Enfin, les absents ayant toujours tort, le Royaume-Uni, en quittant l’UE, perdrait la capacité de peser dans les choix européens, notamment sur des thèmes qui lui sont chers tels que la libéralisation des marchés des services, de l’énergie, ou du numérique. Il serait sans doute plus compliqué pour lui de ménager les intérêts de son secteur financier, notamment face au projet d’union bancaire qui se met en place dans la zone euro.
De tout cela, le Premier ministre D. Cameron, qui s’est déclaré personnellement « pour » le maintien dans l’UE, a conscience. Son discours, outre qu’il fait écho à un euro scepticisme croissant outre-Manche, est avant tout un moyen de faire valoir les intérêts britanniques auprès des partenaires européens. Une stratégie contestable. L’expérience montre, en effet, que les référendums peuvent être détournés de leur but initial pour sanctionner les gouvernements en place. S’il est réélu en 2015, M. Cameron prend un grand risque pour 2017.
NOTE
- Celui-ci a notamment insisté sur l’importance pour l’Union européenne d’améliorer la compétitivité de ses économies en assurant un meilleur fonctionnement du marché unique dans les services, les secteurs de l’énergie et du numérique. Il souhaite également que la spécificité des pays membres puisse être prise en compte par l’Union européenne en leur offrant davantage de flexibilité dans la mise en œuvre de certaines règlementations. La législation européenne sur le temps de travail est particulièrement visée. Enfin, David Cameron, comme le traité le prévoit, souhaiterait que le Royaume-Uni puisse rapatrier, le cas échéant, certaines des prérogatives dévolues à l’Union européenne.