par Caroline Newhouse-Cohen, économiste chez BNP Paribas
Depuis septembre dernier, la banque centrale australienne RBA s’est associée au mouvement international de baisse des taux et a ramené son taux directeur à 3,25%, son niveau le plus bas en 45 ans, en cinq décisions entre septembre 2008 et février 2009 (respectivement -25 points de base en septembre, -100 pb en octobre, -75 pb en novembre, -100 pb en décembre et 100 pb en février), après avoir culminé à 7,25% l’été dernier, son niveau le plus haut depuis douze ans.
Le dernier communiqué du 3 février (la banque centrale se réunit tous les premiers mardis du mois, sauf en janvier) souligne que les perspectives à court terme de l’économie mondiale n’ont jamais été aussi médiocres depuis plusieurs années. La RBA dispose encore d’importantes marges de manœuvre et opterait pour une pause monétaire après avoir ramené le cash rate (son principal taux directeur) à 2% à la fin du deuxième trimestre.
Début du ralentissement au cours de l’été dernier
L’activité a franchement marqué le pas au cours de l’été dernier. Après avoir crû de 1,4% annualisé au T2 (à comparer à 3,5% en moyenne sur les dix dernières années), le PIB a augmenté de seulement 0,3% au T3. En faisant l’hypothèse d’une croissance nulle au dernier trimestre (publication attendue dans les prochaines semaines), le PIB progresserait de 2,3% en 2008, à comparer avec une croissance moyenne de 3,4% au cours des vingt dernières années et de 4% en 2007. En outre, les statistiques et enquêtes les plus récentes montrent que cette tendance devrait s’amplifier au cours de l’année. Nous anticipons une légère contraction du PIB cette année, puis une reprise progressive de l’activité en 2010. La croissance de l’indicateur avancé, calculé par le Melbourne Institute, a nettement reculé, de 5% g.a. au T2 2008 à 3,9% au T3 et -0,4% en novembre. De plus, dans le secteur manufacturier, la composante des commandes nouvelles de l’enquête PMI, qui est habituellement un bon indicateur avancé de l’activité, est installée sous 50 depuis mai. Elle a, en outre, touché un point bas historique en novembre, à 24,5, avant de se redresser légèrement en décembre (30,1).
Le resserrement passé des conditions monétaires (250 points de base en six ans jusqu’au milieu de l’année dernière) et de crédit, l’envolée des prix de l’essence et de l’alimentation jusqu’à l’été dernier, ont fini par peser sur la confiance des ménages dont la situation financière pâtit désormais du retournement du marché immobilier, de celui de la Bourse et de la détérioration des conditions sur le marché du travail. La confiance des ménages a chuté de plus de 40 points par rapport au pic qu’elle avait enregistré en mai 2007, atteignant en juillet dernier un plus bas depuis près de 15 ans. Elle s’est redressée depuis, probablement en réaction aux décisions de la RBA et au repli récent des prix à la consommation. Toutefois, la consommation privée est quasiment anémique depuis le deuxième trimestre (-0,1% t/t au T2 et +0,1% t/t au T3, telle que mesurée par les comptes nationaux). Au T4 08, cette tendance pourrait être confirmée, les ventes au détail entre septembre et novembre n’ayant progressé que de 0,1%. L’indice composite d’activité de l’enquête de confiance dans les services était, en décembre, proche de son plus bas niveau atteint en novembre, à 39,3, demeurant sous la barre des 50 qui sépare les phases d’expansion et de contraction de l’activité pour le neuvième mois consécutif. Cette évolution reflète en partie la faiblesse de la consommation des ménages. L’indice relatif aux nouvelles commandes s’est légèrement redressé de 35,3 en novembre, son point bas à 38,0 en décembre.
Le marché immobilier s’est retourné
Les ménages se sont endettés rapidement au cours des dernières années pour acquérir un logement. Fin 2007, leur dette représentait environ 160% de leur revenu disponible, contre seulement 90% en 2001 et 66% en 1995. Selon les calculs de la Housing Industry Association, la charge de la dette mensuelle représentait 38% de leur revenu disponible au T1 2008, un pic sur 22 ans, contre moins de 35% au T4 07. Le retournement du marché immobilier est désormais sensible, et le prix des maisons a cessé de progresser depuis le deuxième trimestre 2008. Le prix médian des maisons a reculé de 1,8% t/t au T3 08, selon l’Australian Statistician. En outre, on observe une baisse significative des encours de nouveaux prêts immobiliers aux ménages, dont 90% ont été contractés à taux variables.
Le marché du travail, proche du plein emploi encore en début d’année dernière, est désormais moins porteur. Depuis février où il avait atteint 3,9%, un plus bas depuis trente ans, il est progressivement remonté pour s’établir à 4,5% en décembre. Cette tendance devrait se poursuivre, et le taux de chômage pourrait s’approcher de 5% au cours du deuxième semestre, un plus haut depuis 2005, pour dépasser ce niveau en 2010. Dans le secteur manufacturier qui représente encore près du tiers de l’emploi total, l’indice relatif à l’emploi de l’enquête PMI manufacturier a atteint, en novembre, son plus bas historique, à 33,2. Il est remonté de plus de quatre points en décembre, demeurant toutefois sous 50 pour le dixième mois consécutif. L’indice relatif à l’emploi de l’enquête PMI services est resté quasiment stable en fin d’année, proche de son point bas de novembre, à 42,1 après 42 le mois précédent. Dans ce contexte, la croissance des salaires hebdomadaires ralentit progressivement. Elle était de 3,5% g.a. au T3 08 après 4,5% en moyenne en 2007.
Importantes marges de manœuvre budgétaires
Le gouvernement de Kevin Rudd, qui s’est fait élire en novembre 2007 sur un programme de baisses d’impôts (étalées sur 3 ans à compter de juillet 2008 et se montent à 31 milliards de dollars australiens, soit près de 3% du PIB) à l’intention des ménages australiens à faible revenu, dispose encore d’importantes marges de manœuvre budgétaires lui permettant d’amortir en partie l’ampleur de la récession. En octobre dernier, le gouvernement a mis en place un plan de relance de AUD 10,7 milliards, visant principalement les familles, les retraités, les propriétaires. Début février, de concert avec la décision de la RBA de ramener le cash rate à 3,25%, il a annoncé AUD 41,5 milliards de dépenses supplémentaires (dont 12,7 à l’intention des familles et 28,8 pour des dépenses d’infrastructures), étalées sur trois ans et demi, soit 3,5% du PIB. Selon le gouvernement, 90 000 emplois (moins de 1% de la population active) pourront ainsi être créés en deux ans.
Par ailleurs, le gouvernement étudie la création d’un fonds de financement des sociétés immobilières de AUD 5 milliards, qui se substituerait aux sociétés financières internationales si celles-ci ne parvenaient pas à renouveler les crédits qu’elles leur ont consentis, au total AUD 75 milliards. Somme toute, l’excédent budgétaire devrait fondre comme neige au soleil cette année et les finances publiques seraient provisoirement en déséquilibre, autour de 2,5% du PIB, pour la première fois depuis 2001-2002.
Les échanges extérieurs souffrent de la crise mondiale en dépit du recul récent du dollar australien en ligne avec celui des cours des matières premières. Après un mouvement continu d’appréciation depuis sept ans qui l’avait conduit à se retrouver, l’été dernier, à un plus haut depuis 1991, le taux de change effectif s’est replié pour retrouver son niveau atteint au début des années 2000. La crise économique et financière de l’économie mondiale exerce un impact direct sur l’activité australienne, via la Chine et le Japon, qui sont à eux deux les premiers débouchés des produits du continent (près de 40% du total), les exportations à destination des Etats-Unis représentant moins de 6% du total. Selon les comptes nationaux, les exportations totales ont stagné au troisième trimestre 2008. Sur l’ensemble de cette année, elles devraient s’inscrire en recul.
Marges de manœuvre supplémentaires
Comme partout ailleurs à travers le monde, la baisse des prix des matières premières, en particulier ceux du pétrole, et des produits alimentaires explique le recul rapide de l’inflation. Selon l’enquête PMI dans le secteur manufacturier, l’indice des prix des intrants s’est établi à 74,9 en décembre, soit 10,5 points sous le pic atteint en janvier 2008, mais encore loin du plus bas de la série (53,7 en décembre 2003). L’indice des prix à la consommation s’est replié rapidement depuis l’été dernier et respecte à nouveau l’objectif que s’est assigné la banque centrale (entre 2% et 3%). L’inflation avait atteint en juin un pic historique à 4,8%. Elle s’est inscrite en décembre à 2,2%, un plus bas depuis mai 2005. L’inflation devrait respecter l’objectif de la RBA en 2009 comme 2010, pour la première fois depuis 2005.
Dans ces conditions et en dépit de l’annonce faite par le gouvernement d’un deuxième plan de relance le même jour, la Réserve Banque d’Australie a décidé de baisser encore une fois sonCash rate de 100 points de base, à 3,25%, à l’occasion de sa réunion du 3 février. Dans son communiqué, elle a souligné que les perspectives à court terme de l’économie mondiale n’ont jamais été aussi médiocres depuis plusieurs années. Nous estimons que la RBA pourrait ramener son cash rate à 3% d’ici à la fin du premier trimestre, puis à 2,5% à la fin du T2 pour opter ensuite pour un statu quo monétaire prolongé, afin de juger de l’impact des baisses passées de taux d’intérêt sur la demande intérieure.