Australie : indécision politique, tonus économique

par Raymond Van der Putten, économiste chez BNP Paribas

  • Après les élections législatives du samedi 21 août, l’Australie se retrouve sans majorité claire au Parlement, et ce, pour la première fois depuis sept décennies.
  • Dans les semaines à venir, les travaillistes et la coalition des libéraux-nationaux vont essayer de gagner les faveurs des députés indépendants. Si aucun des deux camps ne parvient à former un gouvernement stable, il faut s’attendre à la tenue de nouvelles élections.
  • Les perspectives économiques semblent bonnes dans ce pays qui devrait, selon nos prévisions, enregistrer une croissance supérieure à 3 % dans les années à venir, principalement en raison du dynamisme des économies émergentes asiatiques.

 

Samedi 21 août, les Australiens ont voté, mais sans donner de majorité claire au Parlement, et ce, pour la première fois depuis sept décennies. Après le dépouillement du scrutin, les travaillistes, le parti de la Première ministre, ont obtenu 72 sièges à la Chambre basse qui en compte 150 alors que l’opposition conservatrice (libéraux-nationaux) en a remporté 73.

En qualité de chef du gouvernement sortant, Mme Julia Gillard est en droit de rechercher le soutien des députés indépendants pour former un nouveau gouvernement. Si ces négociations n’aboutissent pas, le leader de l’opposition, M. Tony Abbott, pourra tenter à son tour de rassembler une majorité de gouvernement.

D’excellents résultats économiques…

Pour les étrangers, l’issue des élections en Australie a de quoi surprendre. L’Australie est l’un des rares pays de l’OCDE qui a été épargné par la récession de 2008-09. Le gouvernement a mis en œuvre deux plans de relance, d’un montant total de 53 milliards de dollars australiens, soit 5,4 % du PIB. De plus, entre septembre 2008 et avril 2009, la banque centrale australienne (RBA) a progressivement abaissé son taux directeur, le ramenant de 7,25 % à 3 %. Conséquence, le PIB s’est rapidement redressé au premier trimestre 2009 après un trimestre seulement de croissance négative. 

Toutefois, ce résultat ne s’explique pas seulement par des politiques macroéconomiques réactives. En effet, l’Australie a également bénéficié d’une demande soutenue pour les matières premières, en particulier en provenance de Chine. Avec la hausse consécutive des prix des matières premières au niveau mondial, les investissements ont afflué vers l’économie australienne. En 2009, la croissance du PIB a atteint 1,3 %, soit le niveau le plus élevé des pays de l’OCDE après la Pologne (1,8 %). L’amélioration de la situation économique a permis à la banque centrale australienne de resserrer de nouveau sa politique monétaire. Depuis octobre 2009, le taux directeur a été relevé à six reprises, de 25 pb jusqu’à 4,5 %.

… dont les travaillistes n’on guère profité

Au cours de sa campagne présidentielle de 1992 qui devait l’emmener au pouvoir, Bill Clinton avait coutume de rappeler à George Bush que “c’est l’économie, idiote !” qui guide le choix des Américains. Cependant, comme le montre l’expérience du gouvernement travailliste dirigé jusqu’en juin 2010 par Kevin Rudd, d’autres facteurs ont également pesé dans la balance. Malgré les succès économiques remportés pendant son mandat, la cote de popularité de M. Rudd a régulièrement baissé et ce pour trois raisons.

Tout d’abord, le programme de relance adopté par le gouvernement a fait l’objet de vives critiques de la part de l’opposition. Son importance était jugée démesurée, compte tenu des anticipations de croissance au moment de l’annonce faite par le gouvernement. Il est vrai que la récession a été évitée, mais à grand frais. Le pays a ainsi accusé un déficit budgétaire de près de 4 % du PIB, contre un léger excédent en 2008.

L’hostilité aux plans de relance s’est encore aggravée avec la polémique engendrée par le programme d’isolation des maisons (Home Insulation) qui a représenté un coût de 2,5 milliards de dollars australiens. Ce programme proposait au maximum 1 600 dollars aux ménages pour isoler leur logement. Un million de foyers en ont bénéficié. Mais, en raison du non-respect des règles de sécurité, quatre accidents mortels ont été déplorés au sein du personnel chargé d’effectuer ces travaux. Conséquence, le ministre responsable a été démis de ses fonctions et le programme a été finalement abandonné.

Deuxième point de clivage : l’introduction d’une Bourse du carbone (Emission Trading System ou ETS) en 2010. Ce plan s’inscrivait dans le cadre de l’action du gouvernement pour réduire les émissions de carbone de 5 % d’ici à 2020 par rapport aux niveaux de l’année 2000. Selon les résultats des négociations internationales, l’objectif de réduction pourrait même être porté à 25 %.

Avant novembre 2009, la politique en faveur de la protection de l’environnement bénéficiait du soutien des travaillistes comme des conservateurs. La situation allait changer avec le remplacement du leader de l’opposition, Malcolm Turnbull, par Tony Abbott. Ce dernier estimait, en effet, que l’ETS allait constituer une taxe supplémentaire. Pour atteindre les objectifs fixés en matière de réduction des émissions, l’opposition préconisait plutôt des mesures incitatives pour certains secteurs et l’investissement dans les techniques de piégeage du carbone dans le sol.

En dépit de l’accord conclu avec l’opposition, dont des compensations substantielles pour certaines industries polluantes, le sénat n’a pas adopté l’ETS. Le gouvernement avait l’intention de soumettre de nouveau le projet au premier semestre 2010. Cependant, à l’approche des nouvelles élections législatives, le Premier ministre Kevin Rudd a décidé de reporter le plan après l’expiration du traité de Kyoto en 2012.

Troisième raison à l’origine de la baisse de popularité : le projet de taxation, à hauteur de 40 %, des profits générés par l’exploitation minière, un impôt comparable à celui en vigueur sur le pétrole (Petroleum Resource Rent Tax). Comme il fallait s’y attendre, l’industrie minière est montée au créneau en lançant une vaste campagne publicitaire centrée sur la menace que cette taxe faisait peser sur l’emploi et les fonds de pension pour beaucoup investis dans les sociétés du secteur.

Une campagne qui a porté ses fruits puisque le projet n’a pas remporté l’adhésion populaire. Comme les élections législatives approchaient, les travaillistes, de plus en plus inquiets face à la baisse de la cote de popularité de leur leader, ont fini par écarter ce dernier en juin, le remplaçant par Julia Gillard.

Après négociation avec les sociétés de l’industrie minière, le gouvernement Gillard a remanié le projet de loi. Le taux d’imposition serait ramené à 30 % et appliqué uniquement aux mines de charbon et de minerai de fer. Le manque à gagner fiscal serait compensé par un certain nombre d’économies dont l’abandon partiel du projet de réduction de l’impôt sur les sociétés. Mais la coalition des libéraux-nationaux est restée hostile au projet de loi ainsi remanié.

Pendant la campagne électorale, les bons résultats économiques de l’Australie n’ont guère plaidé en faveur des travaillistes. Mme Gillard a, en effet, eu du mal à défendre l’excellent bilan économique de Kevin Dudd et sa gestion de la crise, dans la mesure où elle était en partie responsable de son éviction.

L’opposition n’a cessé entre-temps de mettre l’accent sur l’augmentation massive de la dette sous l’effet de la politique du gouvernement, feignant d’ignorer que tous les pays industrialisés étaient dans le même cas. De plus, l’endettement de l’Australie à 19 % du PIB en 2009 est, après le Luxembourg, le plus faible des pays de l’OCDE. En termes nets, le secteur public accuse même un excédent de 3,8 %.

Perspectives

Dans les semaines à venir, les travaillistes comme la coalition des libéraux-nationaux vont engager de grandes manœuvres pour obtenir le soutien des députés indépendants. Mme Gillard aura beaucoup de mal à maintenir la nouvelle taxe sur les mines de fer et de charbon. Par ailleurs, l’introduction de l’ETS va probablement être ajournée. Dans le cas où aucun des deux camps ne parviendrait à former un gouvernement, il faudra probablement organiser de nouvelles élections.

Heureusement, l’Australie n’est pas confrontée aux mêmes défis que la plupart des autres pays de l’OCDE en matière de finances publiques. Malgré les critiques de l’opposition, les finances publiques sont en bonne santé. Les politiques proposées par les travaillistes et la coalition des libéraux-nationaux sont assez proches. Les uns et les autres sont favorables à des restrictions budgétaires alors que l’économie est en plein essor. Dans le cas où la coalition des libéraux-nationaux formerait un gouvernement, l’assainissement budgétaire pourrait être plus rapide. Selon ces partis, l’impact négatif sur l’activité serait compensé par l’accroissement des investissements dans l’industrie minière avec l’abandon de la taxe sur les profits miniers.

Le résultat du scrutin n’a eu qu’un faible impact sur les marchés. Après avoir, dans un premier temps, faibli, le dollar australien s’est redressé. Le marché des actions a marqué le pas mais les valeurs des sociétés minières se sont appréciées dans la perspective du retrait de la taxe sur les profits du secteur.

Les perspectives économiques du pays semblent bonnes. Nous tablons sur une croissance de plus de 3 % dans les années à venir, principalement à la faveur du dynamisme des économies émergentes asiatiques. La forte demande de matières premières encourage les investissements dans le secteur minier. Ceux-ci pourraient être appelés à augmenter encore, une fois que les incertitudes entourant la politique fiscale auront été dissipées. En revanche, compte tenu de la fermeté persistante du dollar australien, l’industrie manufacturière aura du mal à rester compétitive sur les marchés mondiaux. Nous prévoyons une appréciation de l’AUD vis-à-vis du billet vert de 0,88 actuellement aux environs de 0,95 au second semestre 2011.

Principaux risques de ce scénario : l’environnement extérieur et la demande de matières premières. En cas de repli de la demande dans ce secteur, un gouvernement emmené par les travaillistes sera plus enclin à mettre en œuvre des mesures d’expansion budgétaire qu’une coalition libéraux-nationaux.

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