Banque Centrale Indienne : 2 mois, 2 hausses de taux

par Pauline Quinebeche, économiste chez Natixis

Après presque deux mois à la tête de la banque centrale indienne (la RBI), Rajan a relevé à deux reprises le principal taux directeur (le taux repo) et pris d’importantes décisions visant à assurer la stabilité de la roupie. Nous revenons ici sur la conduite de la politique monétaire et ses implications sur le taux de change.

Le 28 août, la devise indienne atteignait son plus bas historique à plus de 68 roupies pour un dollar. C’est dans ce contexte que le 23ème gouverneur de la banque centrale, Raghuram Rajan, a pris ses fonctions. Or, son expérience aussi bien sur la scène internationale1 que nationale2 et son « approche » de la politique monétaire3 sont parmi les éléments (avec bien sûr le contexte aux Etats-Unis4) qui pourraient expliquer la plus forte appréciation de la devise – comparé aux autres monnaies émergentes – ces dernières semaines. La roupie s’est appréciée de près de 10% face au dollar depuis le 28 août, le real brésilien de 7%, le rand sud-africain de 5%, la livre turque et le baht thaïlandais de plus de 3%….

Mais si les pressions sur le taux de change sont moins flagrantes, celles sur l’inflation se font plus vives. Les prix à la consommation ainsi que les prix de gros ont augmenté passant respectivement de 9,3% et 4,6% en mai à 9,8% et 6,5% en septembre et ce principalement en raison de la hausse des prix alimentaires (le prix de l’oignon a bondi depuis le début de l’année avec une hausse de +323% en glissement annuel en septembre).

La conduite de la politique monétaire reste donc délicate et est face à un dilemme : augmenter les taux d'intérêt afin de stabiliser l’inflation et la monnaie en pénalisant la croissance économique qui est déjà au ralenti, ou conserver des taux d'intérêt plus bas pour favoriser l'activité en engendrant un risque sur la monnaie et sur l'inflation. La banque centrale indienne semble privilégier la première voie.

Le taux repo (le taux auquel la RBI prête aux banques commerciales) a augmenté à deux reprises (le 20 septembre puis le 29 octobre) passant de 7,25% à 7,75%. Néanmoins, pour limiter l’impact sur la liquidité, la RBI est revenue sur certaines mesures restrictives mises en place depuis juillet au moment où la roupie était « sous pression » : le taux d'intérêt sur les prêts d'urgence consentis aux banques (i.e le taux MSF – Marginal Standing Facility) a ainsi diminué à trois reprises passant de 10,25% en juillet à 8,75% fin octobre.

Si la conduite de la politique monétaire semblerait rassurer, dans une certaine mesure, les marchés, parviendra-t-elle à le faire de manière durable ? Car si la roupie a regagné du terrain ces dernières semaines, elle a toutefois perdu 14% de sa valeur depuis le 1er mai face au dollar (l’une des plus fortes dépréciations parmi les devises émergentes) et c’est plus de 19% face à l’euro. Or, l’effet change pose des problématiques diverses. D’un point de vue domestique, certes la dépréciation de la roupie permet de soutenir les exportations en les rendant plus compétitives (+11,9% en moyenne au T3/13) mais elle renchérit la facture des importations et notamment celles liées au pétrole dont la demande est inélastique. L’Inde importe 80% de sa consommation de pétrole, ce qui rend le défi lié à l’indépendance énergétique de plus en plus grand.

Dans ce contexte, le Premier ministre indien, M. Singh, vient d’annoncer un investissement de 2,2 milliards de dollars afin de tripler les capacités de réserves pétrolières du pays. D’un point de vue des affaires, les entreprises exposées aux marchés indiens subissent de plein fouet cet effet change, au vu des résultats de certains grands groupes publiés récemment, d’autant plus que la demande domestique a tendance à ralentir. L’effet change sera un élément à intégrer de plus en plus dans la stratégie des investisseurs au regard des nombreuses zones d’incertitudes. Parmi celles-ci le ralentissement du QE3 reporté par la Fed sur le plan externe ou encore l’incertitude liée aux élections générales de mai 2014 sur le plan interne.

Si la conduite de la politique monétaire semble rassurer temporairement, les fragilités structurelles du pays (déficit budgétaire, déficit courant, goulets d’étranglement) devraient laisser la roupie à des niveaux faibles, loin de ses niveaux passés à 45 USD/INR (sur la période 2005-2011 en moyenne), avec des périodes de plus fortes volatilités à l’approche de décisions et d’évènements majeurs.

NOTES

  1. Ancien chef économiste du FMI.
  2. Conseiller informel du premier ministre Singh entre 2008 et 2012, conseiller économique en chef du gouvernement l’année passée.
  3. Volonté de développer une communication claire et cohérente via l’annonce de mesures basées sur 5 piliers : cadre de la politique monétaire, structure bancaire, marchés financiers, inclusion financière et autres développements institutionnels.
  4. Cf. Edito Eco Hebdo du 11/10/2013 « Yellen, la Fed et le shutdown ».

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