Banques irlandaises : retour sur le mirage celte

par Philippe Sabuco, économiste chez BNP Paribas

Citée en exemple au cours de la dernière décennie, l’économie irlandaise connaît aujourd’hui de graves difficultés. Le retournement du cycle immobilier au début de l’année 2007 et la crise financière – amorcée dès l’été 2007 – ont durement frappé l’île d’émeraude. Après trois années de sévère récession, le système bancaire du pays est à l’agonie. A l’heure où le gouvernement s’apprête à nationaliser ses principales banques – après avoir bénéficié d’une aide extérieure auprès de l’Union européenne (UE) et du Fonds monétaire international (FMI) – nous revenons sur les origines d’une telle situation.

Tout d’abord, l’environnement macroéconomique a joué un rôle fondamental dans la crise bancaire actuelle. Le faible niveau des taux d’intérêt réels a alimenté une dynamique du crédit insoutenable, provoquant de forts déséquilibres internes : endettement des agents privés et bulle spéculative sur les prix d’actifs immobiliers. Les banques irlandaises – dont l’activité est principalement domestique et liée au secteur immobilier – ont accompagné ce mouvement, devenant particulièrement vulnérables au retournement du cycle.

La crise économique et financière a confirmé la fragilité du système bancaire. La situation des banques du pays s’est très rapidement détériorée, conduisant notamment les autorités nationales et européennes à prendre des mesures d’urgence (comme, par exemple, la nationalisation de Anglo Irish Bank). Celles-ci se sont, toutefois, avérées insuffisantes face à la recrudescence des tensions sur le marché de la dette souveraine des pays périphériques de la zone euro, à l’automne 2010.

Dans ce contexte – et en dépit des réticences initiales – le gouvernement irlandais s’est finalement résolu, à l’invitation des autres pays de la zone euro, à solliciter une aide extérieure pour recapitaliser ses banques mais également assurer le refinancement du pays sur les marchés. Sur un montant total de 85 milliards d’euros (55% du PIB), environ 35 milliards seront dévolus à la recapitalisation des banques du pays ; ce qui devrait conduire à la quasi-nationalisation du système bancaire.

Les prochains trimestres pourraient être marqués par un vaste mouvement de concentration du secteur bancaire et un profond recentrage des banques sur leur marché domestique. Or, les perspectives de l’économie celte ne sont pas particulièrement réjouissantes. C’est pourquoi nous pensons que, dans l’ensemble, les banques ne devraient renouer avec les profits qu’à partir de 2012 et ce, de manière timide. Au-delà, le système bancaire irlandais devra repenser son business model pour s’adapter à un contexte économique et financier durablement transformé : désendettement prolongé, coût des ressources élevé et contraintes réglementaires accrues.

A bien des égards, nous constaterons que cette crise présente de nombreux traits communs avec d’autres crises bancaires ayant eu lieu dans les pays avancés : afflux massifs de capitaux, excès de crédit, bulle spéculative sur les prix des actifs immobiliers, resserrement de la politique monétaire… Dans cet article, nous reviendrons sur ces éléments qui annoncent une crise bancaire de nature systémique.

 Des déséquilibres économiques internes

L’Irlande a connu une expansion économique remarquable au cours de la dernière décennie, avec un taux de croissance annuel moyen de 6,5% entre 1999 (début de la parité avec l’euro) et 2007, contre 2,2% pour la zone euro à 16. L’entrée dans l’Union monétaire a facilité l’accès au crédit via des taux d’intérêt réels faibles, voire négatifs, incitant les agents privés à s’endetter et favorisant le développement d’une bulle immobilière.

Le retournement du marché de l’immobilier (début 2007) et les turbulences financières de l’été 2007 ont très largement affecté le système financier irlandais, conduisant à un durcissement des conditions de crédit.

L’intensification de la crise financière et le ralentissement brutal de l’économie mondiale à compter de l’automne 2008 ont amplifié ces difficultés, en dépit d’un net assouplissement de la politique monétaire de la zone euro. La récession qui a durement frappé le pays – le PIB s’est contracté de 7,6% en 2009, après -3,5% en 2008 – a entraîné une forte détérioration des finances publiques, très dépendantes des recettes fiscales liées au logement.

Profitant de conditions avantageuses, les ménages et les entreprises se sont fortement endettés, entraînant ainsi une hausse de la valeur des actifs patrimoniaux, notamment immobiliers.

– Des taux d’intérêt réels extrêmement faibles

L’entrée de l’Irlande dans la zone euro a facilité l’accès au crédit, via des taux d’intérêt faibles, voire négatifs. Sur la période 1999-2007, l’inflation totale en Irlande s’est élevée à 3,4% en moyenne, contre 2,1% pour la zone euro à 16. Sur la même période, le taux refi – principal taux directeur de la Banque centrale européenne (BCE) – atteignait 3,0%, soit un écart moyen de 40 points de base par rapport à l’inflation irlandaise. Dans le cas de l’Irlande, les taux fixés par la BCE étaient trop faibles au regard du dynamisme de l’économie. Selon une étude citée par l’OCDE, le taux directeur de la BCE a été en moyenne inférieur de 1 point de pourcentage au niveau approprié pour l’Irlande selon une règle de Taylor sur la période troisième trimestre 2001 / quatrième trimestre 2006, d’où une orientation plus expansionniste que dans tout autre pays de la zone euro. Au cours de la dernière décennie, l’unification monétaire a donc constitué une forte incitation à l’endettement, tant du point de vue des ménages que des entreprises.

En outre, la période se caractérisait alors par une faible aversion au risque (comme en témoignaient les primes de risques sur certains actifs) et des liquidités particulièrement abondantes (en provenance des pays exportateurs de matières premières notamment ou de pays émergents ne bénéficiant pas de systèmes financiers développés). C’est ainsi que l’excès d’épargne des pays émergents est venu alimenter l’endettement des ménages et des entreprises irlandais. Dans ce contexte, la balance courante de l’Irlande est devenue structurellement déficitaire (tout comme en Espagne). Sur la période 1999-2007, le déficit moyen de la balance courante a atteint 1,5% du PIB (plus de 5% du PIB en 2007), contre un excédent de 0,3% du PIB pour la zone euro.

Enfin, la titrisation des créances hypothécaires a permis d’augmenter, à la marge, la capacité de prêt aux ménages. D’après l’OCDE, le montant des prêts titrisés avait été multiplié par 4,5 par rapport aux cinq années précédentes et représentait 12% des créances hypothécaires en décembre 2007. La titrisation est demeurée, néanmoins, relativement modeste comparativement à certains pays d’Europe (Royaume- Uni par exemple). D’après nos estimations, les encours de prêts irlandais titrisés (quel que soit le sous-jacent) constituaient 3% du total des encours de crédit des Institutions financières et monétaires (IFM) – hors Eurosystème –, contre 11,3% pour le Royaume-Uni, 7,8% pour l’Espagne et 5% pour l’Italie.

– Des ménages particulièrement endettés

En à peine dix ans, le ratio d’endettement des ménages irlandais a plus que doublé. Au début des années 2000, l’endettement des ménages représentait 50% du PIB (autour de 100% en % du RDB), un niveau comparable à la moyenne de la zone euro. A cette période, seuls les ménages portugais et allemands étaient plus endettés (respectivement 65,5% et 72,8% du PIB). En 2009, l’endettement des ménages irlandais a atteint près de 118% du PIB (204% du RDB), contre plus de 61% pour la zone euro. Les ménages celtes sont désormais parmi les plus endettés de la zone euro, loin devant leurs homologues portugais et espagnols (respectivement 99% et 86% du PIB).

La différence entre les patrimoines financiers brut et net des ménages est également un bon indicateur du niveau élevé d’endettement des ménages. En 2007, la dette représentait 61,1% du patrimoine financier brut des ménages irlandais, contre 32% pour la France, 34% pour l’Allemagne et 48,5% pour l’Espagne. La solvabilité des ménages était donc sensible au retournement de la conjoncture (stagnation, voire baisse, des salaires en termes réels, chômage…).

Conséquence logique, le taux d’épargne des ménages a fortement reculé pour représenter 6,4% du RDB avant la crise (2007), contre 13,9% pour la zone euro à 16. A titre d’illustration, les taux d’épargne des ménages allemands et français se situaient respectivement à 16,8% et 15,2% du RDB. La dynamique d’endettement a encouragé la hausse des prix des actifs immobiliers, les ménages empruntant principalement pour l’acquisition de leur logement (75% des encours de crédit aux ménages).

 – Entreprises : un contexte de taux favorable au levier d’endettement

La faiblesse des taux d’intérêt réels a également profité aux entreprises en réduisant les coûts d’emprunt. Au début des années 2000, l’endettement des sociétés non financières du pays était particulièrement faible. Il s’élevait à près de 45% du PIB, contre près de 60% pour la zone euro. En 2009, il a atteint 80% du PIB (174,5% de la VA), contre moins de 70% pour la zone euro. Si les entreprises irlandaises étaient moins endettées que leurs homologues portugaises et espagnoles (respectivement 128% et 116% du PIB), elles se situaient très largement au-dessus des entreprises françaises et allemandes (respectivement 62% et 57% du PIB).

Ici aussi, la dynamique a été exceptionnelle. Entre 2001 et 2008, l’endettement des sociétés non financières a progressé de près de 42 points de PIB, contre seulement 8 points de PIB pour la zone euro. Parmi les pays périphériques, seule l’Espagne a connu une dynamique aussi forte (+52,8 points de PIB). Dans ces conditions, le retournement de la conjoncture a fortement touché les entreprises, fragilisées par un niveau d’endettement élevé. Par la suite, ces dernières ont cherché à se désendetter (deleveraging process) afin de diminuer leur dépendance aux financements externes 1 et consolider leur situation financière – ce qui explique en partie l’effondrement de l’investissement en 2009 (-30,9%, après -15,6% en 2008).

Dans ce contexte, le crédit immobilier – résidentiel et commercial – a connu un essor considérable, alimentant une bulle immobilière sans précédent et dopant, de manière artificielle, l’économie irlandaise.

– Une bulle spéculative sur les prix des actifs immobiliers

L’augmentation du crédit a conduit à un gonflement des prix d’actifs et, par là même, à des effets de richesse positifs et une augmentation du montant des garanties. Dans ces conditions, de nouveaux crédits ont été consentis, provoquant une nouvelle hausse des prix. A certains égards, ce processus auto-alimenté de hausse des prix des actifs rappelle la bulle immobilière qui a précédé la crise bancaire scandinave au début des années 1990 suite à la libéralisation de la sphère financière (Suède notamment). De manière générale, ce processus caractérise une bulle spéculative sur les prix des actifs immobiliers, qui constitue généralement un facteur déclencheur des crises bancaires2.

Entre 2004 (début de la série) et 2006 (année précédant le retournement), le taux de croissance annuel moyen des crédits à l’habitat octroyés par les IFM irlandaises (hors Eurosystème) s’est élevé à 27,6%, contre 10,3% pour la zone euro. L’investissement dans la construction totale (résidentielle et non résidentielle) a particulièrement progressé, jusqu’à représenter 16,5% du PIB en 2005 (une proportion très proche de celle de l’Espagne, mais deux fois plus élevée que la moyenne de l’OCDE). Les prix immobiliers ont ainsi connu une poussée spectaculaire jusqu’à la fin de l’année 2006. Même si le phénomène a touché plusieurs pays européens (l’Espagne, le Royaume-Uni et la France), il a été amplifié en Irlande par le faible niveau du stock initial de logements disponibles à la vente («effet rattrapage », également avancé, autrefois, pour les pays scandinaves). Par conséquent, les anticipations de hausses des prix immobiliers étaient sans doute plus fortes en Irlande que dans les autres pays européens. Les risques ont ainsi été sous-évalués, à cause de l’illusion de sécurité donnée par l’appréciation durable – et anticipée – des prix des actifs immobiliers.

– Resserrement de la politique monétaire et éclatement de la bulle

Le resserrement de la politique monétaire au début de l’année 2006 a entraîné le retournement du marché immobilier au premier semestre 2007. La baisse des prix des actifs immobiliers s’est traduite par un repli du montant des garanties et des effets de richesse négatifs, entraînant une diminution du crédit contribuant, elle-même, au recul des prix immobiliers… Entre le haut du cycle et le troisième trimestre 2010, les prix des logements ont chuté de 36%, contre 16,8% pour le Royaume-Uni, 12,3% pour l’Espagne et 10,2% pour les Etats-Unis. L’investissement dans la construction a brutalement reculé pour ne plus représenter que 9,9% du PIB en 2009. L’ajustement a été particulièrement rapide (6,6 points de pourcentage entre 2005 et 2009, contre seulement 2,9 pp en Espagne sur la même période), mais les niveaux de valorisation demeurent toujours très élevés; ce qui suppose une poursuite de l’ajustement. Les prix des logements devraient donc continuer à baisser.

Le resserrement de la politique monétaire – après une période qui, a posteriori, apparaît excessivement accommodante – constitue traditionnellement un facteur déclencheur des crises bancaires. Ce fut le cas aux Etats-Unis en octobre 1979 (avant la crise des Savings & Loan), en Finlande en 1989 (avant la crise bancaire de 1991), au Japon en 1990 (avant la crise bancaire qui débuta en 1992) ou encore en Suède au début des années 1990 (avant la crise bancaire qui s’acheva en 1993). Le cas irlandais n’échappe pas à cette règle. La hausse des taux directeurs au début de l’année 2006 a entraîné celle du coût des ressources, que les banques ont répercutée sur les taux débiteurs (la référence aux taux variables contribuant à accélérer ce processus).

Le retournement du marché immobilier et l’intensification de la crise ont plongé le pays dans la récession, bien avant que celle-ci touche l’économie mondiale. Le PIB irlandais s’est contracté à partir du premier trimestre 2008 (-1,3% en glissement annuel). Depuis cette date, l’île d’émeraude n’est toujours pas sortie de la récession. Le retour à un sentier de croissance comparable à celui qui prévalait avant la crise promet d’être extrêmement long.

En effet, les crises bancaires qui s’accompagnent d’un retournement du marché immobilier sont généralement plus sévères et plus longues que les autres. C. M. Reinhart et K. S. Rogoff ont montré que la phase de baisse des prix réels des logements dure, en moyenne, quatre à six ans3 (contrairement aux marchés actions qui se redressent plus rapidement en moyenne). Ce qui exerce un effet dépressif sur l’ensemble de l’économie. Nous prévoyons que le PIB devrait mettre de nombreuses années avant de retrouver son niveau d’avant crise, comme en témoignent nos prévisions de croissance (+0,1% en 2011, contre 1,3% dans la zone euro et +1,4% en 2012, contre 1,7% dans la zone euro).

Un système bancaire vulnérable

Au cours de la dernière décennie, le bilan des banques irlandaises a augmenté à un rythme sans précédent. Dans le même temps, le système financier s’est très largement ouvert aux capitaux étrangers, grâce à un régime fiscal particulièrement avantageux. Ces éléments ont fragilisé le système bancaire irlandais.

– Une augmentation des bilans bancaires jusqu’à l’hypertrophie

Le gonflement des bilans bancaires constitue le premier indicateur de vulnérabilité. Entre 2000 et 2010, le total actif des Institutions financières et monétaires (IFM) irlandaises (hors Eurosystème) a été multiplié par plus de cinq (de 310 à 1 655 milliards d’euros). Dans le même temps, le total actif des IFM de la zone euro (hors Eurosystème) a été multiplié par deux (de 15 600 à 31 400 milliards d’euros). Par conséquent, le poids des IFM irlandaises dans les IFM de la zone euro a plus que doublé, passant de 2% à 5% sur la même période.

En 2000, le total actif des IFM irlandaises représentait près de trois fois le PIB nominal. Le multiple était quasiment identique pour l’Allemagne et sensiblement inférieur pour la zone euro dans son ensemble (x2,5). Au cours de la dernière décennie, le multiple s’est littéralement envolé pour atteindre près de onze fois le PIB nominal, contre seulement x3,3 en Allemagne et x3,6 dans la zone euro. La part de la valeur ajoutée (VA) produite par le secteur financier rapportée au PIB nous renseigne également sur le poids du secteur dans l’économie. En Irlande, elle s’est élevée à 10,6% du PIB avant la crise (2007), contre seulement 4,8% pour la zone euro à 16. En 2009, le ratio n’a que très peu diminué (9,8% du PIB) en raison d’un effet dénominateur important (la contraction du PIB a pratiquement compensé la baisse de la VA dans le secteur financier). Cette spécialisation croissante dans le secteur financier a rendu l’île d’émeraude très dépendante de l’effet de levier, sensibilité accrue par un taux d’intermédiation élevé et des équilibres de bilan fragiles.

Car le financement de l’économie irlandaise demeure très dépendant du système bancaire. La part des crédits octroyés par les institutions financières dans le total des financements des agents non financiers – taux d’intermédiation bancaire au sens strict4 – s’est élevé à 71,6% en 2006, contre 49,8% pour la zone euro. Ces dernières ont donc subi de plein fouet la hausse des défauts et des créances douteuses. Depuis la crise, le taux d’intermédiation bancaire a baissé de plus de dix points, pour atteindre désormais 59,5% (contre 51,3% pour la zone euro). Cette tendance indique une déformation de la structure de financement au profit de l’autofinancement et des financements externes directs (émissions obligataires notamment). Plus généralement, l’endettement des sociétés non financières a reculé, passant de 86,5% du PIB en 2008 à 80,1% en 2009. La dernière décennie a confirmé l’hypertrophie du secteur financier en Irlande, mais la crise actuelle devrait conduire à un rééquilibrage.

– Des banques surexposées au marché immobilier

Attirées par des prix en hausse, les banques irlandaises ont augmenté la concentration de leurs crédits au secteur immobilier (« effet amplificateur »). En 2007, plus de 60% des prêts étaient liés au secteur immobilier d’après la Banque centrale d’Irlande. Les banques étaient particulièrement présentes sur le segment du crédit immobilier commercial. En revanche, les prêts hypothécaires résidentiels, bien qu’en forte progression, ne représentaient que 19,6% des encours de crédit aux agents non financiers en 2007, contre 21,4% pour l’Allemagne et 28,6% pour l’Espagne.

Dans l’euphorie, elles ont prêté au-delà de leurs frontières sur ce segment de marché. Or, le marché immobilier s’est également retourné dans plusieurs pays où les banques irlandaises étaient présentes et actives, comme le Royaume-Uni ou les Etats-Unis. Les banques irlandaises étaient finalement très peu diversifiées. Le retournement simultané des marchés immobiliers a provoqué une détérioration de la qualité des actifs des banques et une baisse de la valeur des garanties. Les banques ont donc passé des provisions importantes liées à la dépréciation des biens en garantie, amputant d’autant leur résultat brut d’exploitation.

Contrairement aux Etats-Unis ou à la Suisse par exemple, les établissements bancaires irlandais ont essuyé très peu de pertes liées aux actifs toxiques (produits structurés). L’Irlande reste, en effet, un marché relativement modeste de la titrisation en Europe, avec des encours d’émissions qui s’élevaient à 61,1 milliards d’euros au premier trimestre 2010, contre 608,2 milliards pour le Royaume-Uni et 239,5 milliards pour l’Espagne. Le système bancaire irlandais est donc resté très prudent sur le marché des actifs titrisés, tant en termes d’émission que de détention.

– L’ambivalence d’un fort taux d’ouverture financière

Le fort développement économique de l’Irlande, conjugué à une fiscalité particulièrement avantageuse (un taux d’impôt sur les sociétés à 12,5% depuis 2003, contre 27,5% en moyenne dans la zone euro), a attiré de nombreux capitaux étrangers, notamment dans le secteur financier. Environ 40% du passif des banques irlandaises était constitué de dépôts issus d’IFM non résidentes. D’autre part, la dette émise par les banques irlandaises était détenue à près de 80% par les non- résidents. Or, des travaux académiques ont montré qu’un gonflement des entrées de capitaux (« bonanza de capitaux ») augmente la probabilité de survenance d’une crise bancaire. Selon les travaux de C. M. Reinhart, la majorité des pays (61%) présentent une propension supérieure à subir des crises bancaires autour des périodes de bonanza ; ce pourcentage serait plus élevé si l’on intégrait des données postérieures à 20075. Ici aussi, l’Irlande n’a pas échappé à cette régularité statistique.

En 2009, deux des cinq principaux établissements de crédit irlandais en termes de capital tier one étaient des filiales de banques étrangères: Merrill Lynch International Bank, filiale de Bank of America Merrill Lynch (Etats-Unis) et Depfa Bank, filiale de Hypo Real Estate (Allemagne). Avant la crise (2007), le nombre d’établissements étrangers (filiales et succursales) représentait 85,2% des établissements de crédit présents sur le territoire irlandais (contre 66,7% au Royaume-Uni, 55,6% en Grèce, 29,6% en France et 6,1% en Allemagne). Ces établissements ont participé à l’expansion économique du pays au cours de la dernière décennie.

Aujourd’hui, leur présence sur l’île d’émeraude n’est peut-être plus un atout aussi fort que par le passé. Les établissements étrangers étant certainement davantage sensibles aux évolutions conjoncturelles et réglementaires du pays hôte. Par conséquent, un net recul de l’activité et/ou une remontée des taux d’imposition pourraient conduire certains acteurs à quitter le pays. 

En outre, un grand nombre de pays restent particulièrement exposés au risque irlandais dans son ensemble (risque bancaire et souverain). D’après les statistiques de la BRI, les pays les plus exposés à l’Irlande sont l’Allemagne (qui représente 26,8% des engagements étrangers vis-à-vis de l’Irlande 6 ), le Royaume-Uni (25,4%) et les Etats-Unis (11,1%). Ces résultats s’expliquent, notamment, par la présence de filiales sur le sol irlandais – dans le cas de l’Allemagne et des Etats-Unis – ou de rapports financiers particulièrement étroits – dans le cas du Royaume-Uni. Il est probable que ces pays – et leurs banques – souhaitent progressivement se désengager de l’Irlande afin de limiter leur exposition au risque bancaire et souverain.

Les effets de la crise sur le système bancaire

La crise économique et financière a particulièrement affecté les résultats des banques irlandaises. Ces dernières ont enregistré de lourdes pertes sur leur portefeuille de prêts, conduisant les autorités nationales et européennes à prendre des mesures d’urgence pour éviter l’effondrement du système bancaire. Insuffisantes, ces mesures ont été complétées par un vaste plan de soutien UE-FMI. Dans ce contexte, nous avons assisté à la matérialisation des principaux risques bilanciels (risques de liquidité et de transformation). 

-) De lourdes pertes sur les actifs et une forte dégradation de la solvabilité

Les principales banques du pays ont affiché de lourdes pertes en 2009 et au premier semestre 2010, notamment en raison d’un net repli du PNB et d’une envolée sans précédent du coût du risque. 

– Un net repli du produit net bancaire (PNB)

En 2009 et au premier semestre 2010, les banques irlandaises ont affiché de lourdes pertes. Le Produit Net Bancaire (PNB) agrégé des cinq principaux établissements de crédit s’est élevé à 9,4 milliards d’euros en 2009, contre 13,7 milliards en 2008 (soit une baisse de près de 40%)7. Entre 2008 et 2009, toutes les composantes du PNB ont diminué. Les produits nets d’intérêt sont passés de 10,5 à 7,8 milliards d’euros (soit une baisse de 25,3%) et les commissions nettes et autres produits nets d’exploitation se sont repliés de 3,2 à 0,6 milliards d’euros (soit une baisse de 81,7%).

La baisse des produits nets d’intérêt s’explique à la fois par une contraction des volumes (entre 2008 et 2009, les prêts et créances sur la clientèle ont baissé de 4,1%) et un repli des marges (sur la même période, la marge nette d’intérêt est passée de 1% à 0,8%), les intérêts reçus reculant sensiblement plus vite que les intérêts versés. Du fait de la prépondérance des taux variables, la baisse des taux courts a entraîné celle du taux débiteur moyen dans son sillage. En outre, l’intensification de la concurrence dans la collecte des dépôts a limité la baisse des intérêts versés.

Les commissions – pour une large part ad valorem – ont fortement diminué (-77,9% en 2009, après -26,8% en 2008), en ligne avec la chute vertigineuse des marchés actions. Entre juin 2007, point haut du cycle boursier, et mars 2009, point bas, l’indice actions irlandais, l’Irish Stock Exchange Quotient (ISEQ), a perdu 80% de sa valeur. Le repli du marché actions s’est traduit par une baisse des transactions et des actifs sous gestion, liée à une désaffection des investisseurs à l’égard des produits de placement à risque. L’aversion au risque a conduit ces derniers à préférer des placements plus sûrs comme les dépôts à terme. Les commissions perçues ont, en conséquence, marqué le pas en 2008 et 2009. Les autres produits nets d’exploitation – qui comprennent notamment ceux liés aux activités d’assurance, aux produits d’arbitrage et de couverture – ont également lourdement chuté en 2009 (-85,1%).

La baisse plus prononcée des commissions nettes et autres produits assimilés a donc entraîné une déformation de la structure du PNB en faveur des produits nets d’intérêt. Ces derniers sont ainsi passés de 61,6% du PNB à 92,9%, tandis que les commissions nettes et autres produits assimilés ont reculé de 38,4% du PNB à 7,1%. Cette déformation de la structure du PNB témoigne davantage de la forte volatilité des revenus liés aux activités de marché que d’une stratégie active de réallocation des activités bancaires.

– Un ajustement des frais généraux insuffisant pour stabiliser le résultat brut d’exploitation (RBE)

En 2009, les frais généraux des établissements de crédit irlandais se sont très nettement repliés. Afin de s’adapter à un rythme d’activité beaucoup moins soutenu que par le passé, certaines banques ont réduit leurs effectifs. Depuis le début de la crise, Bank of Ireland a procédé à 1 700 licenciements économiques (soit 10,6% du personnel), contre 1 500 pour Allied Irish Banks (5,8%) et 230 pour Anglo Irish Bank (12,3%).

Dans leur ensemble, les frais généraux ont, toutefois, reculé moins vite que le PNB. En conséquence, le Revenu Brut d’Exploitation (RBE), qui correspond au solde entre le PNB et les frais généraux, s’est inscrit en baisse, passant de 6,6 milliards d’euros en 2008 à 4,1 milliards en 2009. Le coefficient net d’exploitation (frais généraux rapportés au PNB) s’est donc détérioré, passant de 52% à 56,3%. Les principaux établissements bancaires irlandais affichaient encore des coefficients d’exploitation moyens parmi les plus faibles d’Europe en 2009 – derrière l’Espagne (43,5%), mais devant l’Italie et l’Allemagne par exemple (respectivement 62,2% et 65,5%) –, mais ces derniers devraient sensiblement se détériorer en 2010. Déjà au premier semestre 2010, le coefficient d’exploitation moyen des cinq principales banques irlandaises s’élevait à 75,8%.

– Une progression vertigineuse du coût du risque

L’exercice 2009 a été marqué par une envolée sans précédent du coût du risque. Les difficultés rencontrées dans les secteurs de l’immobilier et de la construction (baisse de la valeur des actifs, augmentation du nombre de créances douteuses) ont conduit la dégradation brutale de l’économie irlandaise et de ses incidences sur la qualité du crédit des débiteurs.plupart des banques à passer de lourdes provisions, anticipant des défauts plus nombreux et des taux de récupération plus faibles. Les dotations aux provisions ont ainsi été multipliées par près de 7 entre 2008 et 2009. Le ratio du coût du risque – qui rapporte les dotations aux provisions au PNB – est passé de 3,4% en 2007 à 268,5% en 2009. Ces résultats sont le reflet de la dégradation brutale de l’économie irlandaise et de ses incidences sur la qualité du crédit des débiteurs.

Au premier semestre 2010, les dotations aux provisions représentent déjà 8 milliards d’euros, soit un ratio du coût du risque égal à 275%. La qualité du crédit constitue aujourd’hui le défi majeur du système bancaire irlandais. C’est pourquoi les autorités ont proposé, dès 2009, la création de l’Agence nationale de gestion d’actifs (National Asset Management Agency, NAMA), dont l’objectif est de prendre en charge les créances liées à des opérations immobilières inscrites au bilan des banques. Le ratio du coût du risque pourrait, toutefois, continuer de se dégrader sous l’effet d’une hausse du numérateur (nous anticipons, en effet, une poursuite de la baisse du prix des actifs immobiliers) et d’un nouveau repli du PNB.

– Un système bancaire en faillite

En 2009, les pertes enregistrées par les cinq premières banques irlandaises ont représenté 16,8 milliards d’euros, après des bénéfices en baisse en 2008 (2,3 milliards d’euros et 5,4 milliards en 2007). Les difficultés rencontrées par les banques irlandaises ont, notamment, conduit à la nationalisation de Anglo Irish Bank, en janvier 2009. Les résultats du premier semestre 2010 (-10,3 milliards d’euros) suggèrent des pertes en 2010 au moins égales à celles de 2009.

Grâce à l’intervention de l’Etat (recapitalisation et réduction des actifs pondérés par les risques via la NAMA), la situation en termes de capitaux propres est restée relativement stable. En 2009, le ratio de capital tier one des cinq banques de notre échantillon s’élevait à 8,1% en moyenne (ce qui reste faible au regard des standards de marché actuels). Cette relative stabilité des ratios de solvabilité ne doit pas masquer les difficultés rencontrées par les banques irlandaises en termes de solvabilité. Ces dernières accusent encore de lourdes pertes et plusieurs d’entre elles ont été contraintes de céder des actifs. A titre d’illustration, Allied Irish Banks devrait céder sa filiale polonaise, Zachodni, à Santander pour 2,5 milliards d’euros et les parts qu’elle détient dans la banque américaine M&T Bank. Ce mouvement devrait se poursuivre au cours des prochains trimestres.

Alors qu’elles affichaient des taux de rendement sur fonds propres proches de 20% avant la crise, les banques irlandaises ne sont plus rentables désormais. Les résultats négatifs enregistrés par les banques irlandaises ont précipité leur effondrement en Bourse, bien au-delà de la débâcle des marchés actions, et des valeurs financières de la zone euro. En effet, les banques irlandaises ont sous-performé par rapport à leur indice de référence national (ISEQ) et sectoriel (Euro Stoxx Banks). Ces deux indices ont baissé d’environ 80% entre juin 2007 et mars 2009, tandis que Allied Irish Banks, Bank of Ireland et Irish Life & Permanent perdaient plus de 95% de leur valeur sur la même période.

-) La matérialisation des principaux risques bancaires

Au-delà de la qualité des actifs, la crise économique et financière a révélé les principaux risques bilanciels des établissements de crédit irlandais. Tout d’abord, ces derniers se finançaient principalement sur les marchés, notamment à court terme sur le marché interbancaire. Leur base de dépôts clientèle – ressource réputée stable – est demeurée particulièrement étroite. Dans ces conditions, les banques ont été extrêmement sensibles à l’évolution du coût des ressources ainsi qu’aux risques de liquidité et de transformation.

– Dépendance aux financements de marché et évolution du coût des ressources

De manière générale, la baisse tendancielle des dépôts clientèle au profit des instruments financiers rémunérés (conséquence de la libéralisation de la sphère financière dans le milieu des années 1980) a rendu les banques plus dépendantes des financements de marché et plus sensibles à l’évolution du coût des ressources interbancaires. Les coûts de financement des banques et, par conséquent, les taux d’intérêt des banques de dépôt, sont devenus plus sensibles aux évolutions des marchés de prêts interbancaires garantis et d’obligations sécurisées.

La faible base de dépôt clientèle des banques a limité leur accès à des ressources plus stables et moins coûteuses. Avant la crise (2006), les dépôts de la clientèle ne représentaient que 26,9% du passif des cinq principaux établissements irlandais, contre 40,2% pour le Royaume-Uni, 38,9% pour l’Espagne et 36,8% pour l’Italie. Or, les dépôts de la clientèle ont continué de se contracter en raison des récentes tensions observées sur le marché de la dette souveraine. Les banques ont enregistré un retrait massif de dépôts de la part des institutionnels et des entreprises (1,3 milliard d’euros pour Allied Irish Banks depuis le début de l’année 2010 et 600 millions d’euros pour Irish Life & Permanent). Ces retraits ont fait suite aux rumeurs selon lesquelles la dette des établissements de crédit irlandais pourrait ne plus être garantie par l’Etat. A l’inverse, les dettes envers les établissements de crédit (marché interbancaire) étaient particulièrement élevées (19% du passif, contre 11,2% pour le Royaume-Uni, 7% pour l’Espagne et 14,9% pour l’Italie). Par conséquent, le refinancement à court terme des banques irlandaises a été lourdement pénalisé par les fortes tensions observées sur les marchés interbancaires internationaux.

En outre, les banques irlandaises se finançaient, également, à long terme sur les marchés (obligations sécurisées par exemple). La part des financements issus de ces derniers s’élevait à 27,4% du passif des cinq premiers établissements du pays en 2006, contre 17,4% pour le Royaume-Uni, 22,7% pour l’Espagne et 26,3% pour l’Italie. Dans l’ensemble, le recours aux financements de marché représentait donc une part très significative du bilan des banques irlandaises. Cette dépendance s’est traduite par une forte sensibilité des banques au risque souverain, car un grand nombre de prêts interbancaires sont garantis par des titres d’emprunts publics. Par conséquent, les tensions observées sur ce marché – forte volatilité ou problème de liquidité – ont entraîné une importante détérioration des conditions de financement des banques.

– Dépendance au marché interbancaire et risque de liquidité

Les premiers dysfonctionnements sur les marchés interbancaires sont apparus à l’été 2007, lorsque les banques ont commencé à s’interroger sur l’ampleur et la répartition des pertes liées aux crédits subprimes américains et aux produits structurés. Une défiance mutuelle s’est installée entre les différents établissements de crédit. Elle a, notamment, touché les banques irlandaises, alors même que leurs engagements sur le segment des prêts à risque étaient limités. Les tensions se sont intensifiées lors de la chute de Lehman Brothers, renchérissant à nouveau le coût des ressources et privant certains établissements d’un accès au marché 8 .

Depuis, la situation ne s’est toujours pas normalisée sur ce marché, comme en témoigne la politique – toujours très active – de la BCE en termes de liquidités.

L’évolution du ratio des prêts aux dettes interbancaires témoigne d’une aggravation de la position nette emprunteuse des cinq banques irlandaises de notre échantillon sur le marché interbancaire. Entre 2006 (avant crise) et 2009, il est passé de 55,7% à 23,9%. Calculé plus largement à partir du bilan des IFM, celui-ci s’élevait à 52% en juin 2009, contre 94% pour la zone euro. Le refinancement à court terme des banques irlandaises reste donc largement tributaire du marché interbancaire et particulièrement sensible au risque de liquidité.

– Prêts à long terme et risque de transformation

Avant crise (2006), le ratio crédits sur dépôts des ménages et sociétés non financières s’élevait à 202%, contre 102% pour l’Allemagne, 115% pour la France et 156% pour l’Italie. Il soulignait à la fois le faible volume des ressources à court terme stables mais également l’importance des engagements pris vis-à-vis de la clientèle. Or, les banques irlandaises étaient très actives sur le marché de l’immobilier – résidentiel et commercial – et de la construction, segment où les prêts sont octroyés sur des maturités plutôt longues en moyenne. Par conséquent, l’asymétrie des échéances qui caractérise le risque de transformation (financement à court terme et prêts à long terme) était particulièrement élevée. Depuis, ce ratio a nettement diminué sous l’effet d’une baisse de l’encours des prêts à la clientèle. Il s’élève désormais à près de 145%, contre 120% en Allemagne, 122% en France et près de 162% en Italie. L’ajustement devrait se poursuivre en Irlande au cours des prochains trimestres.

– Refinancement auprès de la BCE, un nouveau risque de dépendance

Dans un environnement où la défiance entre banques est particulièrement aiguë, les établissements de crédit irlandais ont un accès limité – voire nul pour certains établissements – aux financements de marché. Par conséquent, ils se tournent de plus en plus vers la BCE qui fournit des liquidités illimitées aux banques irlandaises à taux fixe et en échange de garanties, dans le cadre de sa politique de « soutien renforcé au crédit ». Fin octobre 2010, les liquidités accordées par la BCE aux banques irlandaises dans le cadre de l'ensemble de ses opérations de refinancement se sont élevées à 130 milliards d’euros (contre 120 milliards fin septembre), un niveau jamais atteint par le passé.

Il s'agit d'un montant extrêmement élevé (près de 24% de l’ensemble des liquidités accordées par la BCE à l'ensemble des banques de la zone euro) pour un pays dont l'économie est relativement modeste (environ 2 % du PIB de la zone euro). Les données publiées par la BCE indiquent que les banques irlandaises sont beaucoup plus dépendantes des autorités monétaires que ne le sont leurs homologues grecques ou portugaises. Les crédits accordés par la BCE aux banques irlandaises représentent plus de 80 % du PIB de l'Irlande, contre un peu plus de 41 % pour la Grèce et près de 23 % pour le Portugal.

Depuis la mise en place des mesures de « soutien renforcé au crédit », on observe une forte corrélation entre les tensions sur les titres d’Etat irlandais et le montant des liquidités fournies par la BCE. A mesure que les tensions sur la dette souveraine – qui servent de garantie des prêts interbancaires – ont augmenté, l’accès des établissements de crédit au marché interbancaire s’est réduit, obligeant les banques à se tourner vers la BCE, qui joue désormais le rôle de « prêteur en dernier ressort ». Cette dépendance se heurte, toutefois, à la volonté de la BCE de mettre progressivement fin aux mesures non conventionnelles adoptées depuis octobre 2008, afin d’alléger les risques qu’elle porte désormais dans son bilan.

-) Les différentes mesures prises en réponse à la crise

Afin de rassurer les déposants, garantir les créanciers et tenter d’éviter l’effondrement du système bancaire irlandais, les autorités nationales et européennes ont rapidement pris des mesures en réponse à la crise bancaire irlandaise.

– Des réponses nationales pour garantir les créanciers et assainir le système bancaire

Les autorités nationales ont adopté une batterie de mesures visant à stabiliser le système bancaire. Ces mesures s’inscrivent dans le cadre classique des outils de résolution des crises bancaires.

1) Garantie publique des dépôts

En septembre 2008, l’Irlande avait relevé le plafond de garantie des dépôts (de 20 000 euros à 100 000 euros par déposant et par établissement) avant même la généralisation de cette mesure à l’ensemble de la zone euro. En outre, le délai de remboursement des dépôts avait été réduit, de trois mois à vingt jours ouvrables. D’après l’OCDE, ce délai demeure relativement élevé par rapport à certains pays avancés (comme les Etats-Unis par exemple) et ne peut suffire à rassurer les épargnants. Un objectif de sept jours étant jugé plus efficace.

2) Garantie publique des engagements

Dublin a également garanti la dette bancaire, considérant que la simple garantie des dépôts ne serait pas suffisante pour calmer les tensions sur les marchés interbancaires. Les banques du pays étant très dépendantes des financements de marché, la seule garantie des dépôts n’aurait pas permis de soulager les banques. Ce mécanisme de garantie, mis en place en septembre 2008 (avec réexamen tous les six mois), couvre la quasi-totalité des financements (dépôts de la clientèle et financements de marché). Afin de bénéficier de cette garantie, qui a vocation à améliorer l’accès aux marchés internationaux, les banques irlandaises ont dû accepter un contrôle renforcé des autorités de surveillance.

La garantie publique des engagements constitue généralement la première réponse des autorités en cas de crise bancaire de nature systémique. Elle a été utilisée à de nombreuses reprises lors des récentes crises bancaires (Suède, Finlande, Norvège, Etats- Unis…). Toutefois, ce dispositif peut renforcer l’aléa moral en empêchant l’imputabilité d’une partie des pertes aux créanciers privés. Dans le cas de l’Irlande, ce système de garantie a été reconduit jusqu’en 2011, mais il ne concerne désormais que les dettes senior. Les investisseurs devront assumer leurs pertes sur la dette subordonnée.

3) La NAMA

L’incertitude entourant l’ampleur des pertes du système bancaire irlandais a conduit les autorités irlandaises à créer, en avril 2009, une structure de défaisance pour gérer les actifs fortement dépréciés liés à des opérations immobilières. L’objectif de cette structure est d’assainir les bilans des banques commerciales afin de leur permettre de poursuivre leur mission de financement de l’économie.

La NAMA gère et restructure les prêts hypothécaires non performants, dans l’intérêt du contribuable, en ayant pour objectif de minimiser les pertes. Si elle venait à réaliser des profits, l’intégralité serait conservée par l’Etat. L’enjeu principal de ce dispositif concerne la fixation du prix auquel la NAMA rachète les créances douteuses. Il s’agit d’un arbitrage entre les risques supportés par le contribuable et ceux supportés par la banque. Si les prix de rachat sont trop élevés, le contribuable est pénalisé (coût budgétaire et probabilité de perte élevés), tandis que les banques sont avantagées (pertes et impact sur les fonds propres limités). Inversement, si les prix de rachat sont trop faibles.

A ce jour, la NAMA a racheté pour 27,2 milliards d’actifs aux banques participantes (tranches 1 et 2), avec un discount moyen de 52,3%, soit une émission de garanties équivalant à 13 milliards d’euros. Le montant de la troisième tranche pourrait s’élever à 12 milliards d’euros supplémentaire (soit un montant total de 39,2 milliards d’euros pour les tranches 1, 2 et 3). Sous l’hypothèse (conservatrice) d’un discount moyen de 50% pour la tranche 3, le montant total des garanties s’éléverait à 19 milliards d’euros. Dans sa communication, la NAMA a indiqué que sa capacité d’achat maximale d’actifs atteignait 80 milliards d’euros.

Il s’agit, là aussi, d’un dispositif de résolution des crises bancaires très souvent utilisé. Selon les modalités retenues, les actifs « sains » continuent à être gérés par la banque défaillante (pays scandinaves ou Irlande) ou sont revendus aux enchères à d’autres établissements (Etats-Unis). En pratique, les agences spécialisées dans le recouvrement des dettes sont généralement efficaces en raison de « leur plus grande expertise, d’économies d’échelle et de l’approche collective qu’elles peuvent adopter lorsqu’une partie défaillante est endettée vis-à- vis de plusieurs établissements bancaires »9.

4) Injection de capital public et nationalisation

Dès décembre 2008, le gouvernement a annoncé son intention d’injecter des capitaux publics afin de stabiliser le système bancaire national. En janvier 2009, devant les difficultés rencontrées par Anglo Irish Bank, l’Etat irlandais a été contraint de nationaliser l’établissement en apportant 3 milliards d’euros de fonds publics. Le 11 février 2009, l’Etat irlandais a injecté 3,5 milliards d’euros dans Allied Irish Banks et Bank of Ireland, sous la forme d’actions de préférence assorties d’un dividende fixe de 8%. Les banques conservent la possibilité de racheter ces actions sans surcote pendant les cinq années suivant leur émission, avec une surcote de 25% au-delà.

En contrepartie de ces injections, les autorités ont le pouvoir de nommer 25% des directeurs de chaque banque. Elles détiennent également 25% des droits de vote pour les nominations. En outre, une autorisation administrative est nécessaire pour toute modifi- cation de la structure capitalistique. Par ailleurs, les rémunérations des cadres supérieurs ont été réduites et des obligations en termes de croissance du crédit ont été fixées (notamment pour les PME et les primo accédants). En juin 2009, l’Etat a de nouveau injecté du capital dans Anglo Irish Bank (3 milliards d’euros). De leur côté, Allied Irish Banks et Anglo Irish Bank ont également levé du capital (respectivement 1,5 milliard d’euros en avril 2009 et 1,6 milliard d’euros en août 2009).

Les différentes mesures mises en œuvre au niveau national visent à faciliter le refinancement des banques et à fournir des capitaux suffisants pour essuyer les pertes. Elles conduisent, toutefois, à un transfert de risque des créanciers privés vers les contribuables (« socialisation des pertes »). Elles renvoient également aux limites des modalités classiques de résolution des crises bancaires, qui favorisent l’aléa moral. Du strict point de vue économique, il conviendrait que les créanciers privés assument leurs pertes, afin d’éviter un transfert des risques vers la sphère publique. C’est notamment l’idée des testaments bancaires (living wills), dont l’objectif est de mettre en place ex-ante les conditions permettant d’activer un large éventail d’options de résolution, autres que les modalités évoquées plus haut (octroi de garanties, restructuration des bilans, réorganisation du secteur et réformes structurelles introduites a posteriori). Ce dispositif permettrait, notamment, d’isoler les fonctions essentielles de la banque (collecte des dépôts et octroi de crédits) en cas de crise de nature systémique.

– Des réponses européennes pour assurer le refinancement et la solvabilité des banques

La Banque centrale européenne (BCE) a été – et reste – particulièrement active depuis le début de la crise. Prenant acte de ce que celle-ci limitait l’efficacité de la politique monétaire, elle a introduit de nouvelles mesures dites « non conventionnelles » – afin de garantir une transmission efficace de l’orientation de la politique monétaire aux banques et d’éviter l’installation d’une spirale déflationniste. Ces différentes mesures ont joué un rôle crucial, permettant notamment aux banques de la zone euro de se refinancer lorsque le marché monétaire ne fonctionnait plus. Elles se sont traduites par une expansion sans précédent de la taille du bilan de la BCE. Entre fin 2007 et fin 2010, celui-ci a quasiment doublé, passant d’environ 1 200 milliards d’euros à près de 2 000 milliards. Le soutien aux systèmes bancaires de la zone euro a été considérable. Les créances sur les établissements de la zone euro sont passées de près de 500 milliards d’euros en 2007 à plus de 620 milliards en 2010 (soit une progression de 25%).

Au final, l’ensemble de ces opérations s’est traduit par un accroissement de la taille du bilan de la BCE et une baisse de volume d’activité sur le marché monétaire. En un certain sens, la BCE s’est substituée au marché monétaire ; ce qui a permis d’alléger la contrainte de financement qui pesait sur le secteur bancaire, notamment irlandais. Toutefois, compte tenu des tensions persistantes dans les pays périphériques, la normalisation de la politique monétaire de la BCE devrait être très progressive.

Malgré les différentes mesures – mises en œuvre au niveau national et européen – les banques irlandaises ont continué d’enregistrer de lourdes pertes, de telle sorte que, sans l’aide de l’Etat, ces dernières auraient été contraintes de faire faillite. Ces mesures se sont, toutefois, avérées insuffisantes, si bien qu’un vaste plan de soutien du système bancaire a été décidé fin novembre 2010.

-) Un vaste plan de soutien pour soutenir l’Irlande et son système bancaire

Après que la BCE a réalisé une première estimation du montant du sauvetage des banques irlandaises, l’Irlande s’est vue contrainte d’accepter un plan de soutien UE-FMI pour éviter l’effondrement de son système bancaire et la contagion de la crise bancaire irlandaise à l’ensemble de la zone euro. Les détails de ce plan sont désormais connus.

– 50 milliards d’euros d’après les estimations de septembre de la Banque centrale d’Irlande

Le jeudi 30 septembre, la banque centrale d’Irlande a annoncé ses dernières estimations relatives aux efforts de recapitalisation de son système bancaire. Cet exercice devait permettre de déterminer le capital supplémentaire nécessaire pour atteindre les exigences réglementaires minimum en 2010. La Banque centrale d’Irlande avait estimé ce montant à partir des pertes attendues dans le cadre d’un scénario central et d’un scénario de stress, réalisé sur un horizon de trois ans (2010-2012). L’objectif était d’évaluer le montant de capital nécessaire pour atteindre un ratio de core capital tier 1 de 8% dans le cadre du scénario central, et de 4% dans le cadre du scénario adverse. Le coût total du renflouement devait s’élever à plus de 45milliards d’euros dans le cadre du scénario central et 50 milliards d’euros dans le cadre du scénario adverse. Cet exercice avait aussi pour objectif de lever les incertitudes sur le montant finalement nécessaire pour sauver le système bancaire, afin de mettre fin aux spéculations. Les autorités avaient également levé les incertitudes quant au périmètre de la garantie de l’Etat. Cette garantie, qui concerne Allied Irish Banks, Bank of Ireland, Anglo Irish Bank, Irish Life & Permanent, Irish Nationwide Building Society et Educational Building Society, continuera de porter également sur la dette senior de ces établissements. En revanche, les investisseurs devront assumer leurs pertes sur la dette subordonnée (2,5 milliards d’euros pour Anglo Irish Bank). Ces derniers titres pourraient être rachetés à leur valeur de marché, soit environ 20% de leur valeur faciale.

– Finalement, un plan de soutien UE-FMI d’un montant de 85 milliards d’euros

Depuis l’automne 2010, de fortes tensions sont réapparues sur les marchés financiers, affectant notamment le marché de la dette souveraine des pays périphériques de la zone euro. Dans ce contexte, une mission conjointe de la Commission européenne, de la BCE et du FMI s’est rendue à Dublin, le jeudi 18 novembre, pour étudier les modalités d’un plan de soutien aux banques irlandaises. En dépit des réticences initiales, le gouvernement irlandais s’est finalement résolu – sous la pression des autres pays de la zone euro – à solliciter une aide extérieure pour recapitaliser ses banques mais également assurer le refinancement du pays sur les marchés.

Deux raisons principales militaient en faveur d’une aide globale, à destination de l’Etat et des banques. Tout d’abord, l’Etat irlandais est entré au capital des principales banques du pays – nationalisation (Anglo Irish Bank) ou fortes participations (Allied Irish Banks et Bank of Ireland). Par conséquent, soutenir les banques irlandaises revient, dans une certaine mesure, à soutenir l’Etat. En outre, les banques irlandaises utilisent les titres de dette publique comme garantie des prêts interbancaires. Par conséquent, soutenir l’Etat irlandais revient à soutenir les banques irlandaises, en renforçant la solidité des garanties. Il était donc indispensable de soutenir à la fois le système bancaire et l’Etat irlandais pour une résolution globale de la crise.

Les ressources mobilisées s’élèveront à 85 milliards d’euros (soit 55% de son PIB), dont 22,5 milliards en provenance du Fonds européen de Stabilité financière (FESF), 22,5 milliards issus de prêts bilatéraux (Royaume-Uni et Suède notamment), 22,5 milliards apportés par le FMI et 17,5 milliards en provenance du fonds de réserve des retraites irlandais (National Pension Reserve Fund, NPRF). Ce plan devrait prendre la forme de plusieurs prêts d’une durée moyenne de 7,5 ans, à un taux d’intérêt moyen de 5,8%, soit 360 points de base en dessous du taux de marché qui prévalait avant l’annonce du plan. Au final, près de 35 milliards d’euros seront dédiés au sauvetage des banques : 10 milliards immédiatement débloqués afin de recapitaliser les banques irlandaises pour atteindre un ratio core tier one de 12%; 25 milliards seront conservés (contingent capital) afin de procéder à de nouvelles recapi-talisations au premier semestre 2011. Le plan devrait permettre de subvenir aux besoins en capital du système bancaire ainsi que de couvrir, en grande partie, les besoins de financement de l’Etat jusqu’en 2013. En contrepartie, l’aide s’accompagne d’un plan d’ajustement structurel défini conjointement par le FMI et la Commission européenne.

Ce plan de sauvetage devrait permettre de relâcher la contrainte de liquidité sur l’Etat irlandais, puisque ses besoins de refinancement seront couverts jusqu’en 2013. Toutefois, des interrogations subsistent sur l’après 2013. A cette date, le gouver- nement irlandais devra commencer à refinancer le prêt communautaire, alors même que ses tombées de dette vont commencer à s’alourdir.

Des perspectives difficiles

L’environnement économique irlandais ne devrait pas permettre aux banques du pays de renouer rapidement avec les profits. En voie de nationalisation, le système bancaire devrait faire face à un mouvement de concentration important et amorcer un recentrage sur son marché domestique.

 -) Un nécessaire rééquilibrage interne

– Le dénouement des déséquilibres va se poursuivre

La demande intérieure a particulièrement souffert de la crise (-12,4% en moyenne annuelle en 2009, après -4,7% en 2008). Elle devrait rester très faible au cours des prochains trimestres. La consommation privée sera pénalisée par un taux de chômage élevé (supérieur à 13% jusqu’en 2012) et une volonté des ménages de se désendetter. A court terme, le taux d’épargne devrait augmenter, les ménages désirant constituer une épargne de précaution – liée à la peur du chômage et aux perspectives de baisse des revenus – ou en raison de l’anticipation d’une forte hausse des impôts dans un futur proche (dans une perspective ricardienne). Le patrimoine financier des ménages pourrait à nouveau se contracter au cours des prochains trimestres.

Du côté des entreprises, les perspectives ne sont pas particulièrement réjouissantes. Le désendettement devrait se poursuivre, entraînant dans son sillage une atonie de l’investissement (toujours négatif en 2011, après une chute de 19,5% en 2010 et 30,9% en 2009). L’accès au crédit devrait rester difficile au cours des prochains mois. Si le marché domestique restera durablement convalescent, les entreprises irlandaises pourraient, toutefois, profiter d’une reprise du commerce mondial, à la condition d’orienter leur production vers les zones géographiques en forte croissance. En outre, la consommation publique restera sous la contrainte d’un assainissement nécessaire des finances publiques.

Les corrections sur le marché immobilier devraient se poursuivre au cours des prochaines années. Selon nos prévisions, les prix des logements devraient baisser en 2011 et 2012 (respectivement -6% et -4%), après -15% en 2010 et -13,7% en 2009. Par le passé, le logement a stimulé les recettes fiscales, ce qui a notamment permis d’alléger la pression fiscale dans d’autres secteurs de l’économie. La crise immobilière a joué en sens inverse, privant désormais l’Etat de recettes importantes et précipitant la mise en œuvre d’un plan de consolidation des finances publiques particulièrement dur. Dans ces conditions, il ne faudra pas compter sur la demande publique pour prendre le relais de la demande privée. Nos prévisions de croissance pour l’Irlande, qui tiennent compte du plan de soutien UE-FMI, suggèrent un rythme de croissance inférieur à celui qui prévalait au cours de ces dernières années.

L’Irlande conserve, toutefois, un certain nombre d’atouts de nature à redynamiser son économie. Sa flexibilité pourrait lui permettre de passer d’un modèle de croissance tirée par la demande intérieure à un modèle de croissance tirée par la demande extérieure. La baisse actuelle des coûts salariaux unitaires pourrait permettre d’améliorer la compétitivité des entreprises, qui peuvent aussi jouer de la flexibilité du marché du travail et de la qualification de leur main-d’œuvre pour se repositionner sur des secteurs en croissance. Enfin, la préservation d’un régime fiscal attractif et l’existence d’un environnement mondial plus favorable pourraient donner lieu à un retour maîtrisé des investissements directs étrangers.

– De la nécessité de prévenir les déséquilibres économiques

L’existence de forts déséquilibres économiques internes milite, toutefois, en faveur d’une régulation plus soucieuse des risques macrofinanciers. Il conviendrait, sans doute, d’inciter les institutions financières à mettre en place des instruments et des procédures permettant de détecter, mesurer et lutter contre les risques de nature systémique. Ces indicateurs avancés de solidité financière – dont on sait qu’ils préfigurent la montée de vulnérabilités et de détresses futures (early warning signals) – permettraient d’obtenir une détection précoce des risques en introduisant la dynamique macroéconomique dans la quantification et l’évaluation des risques.

L’évolution des prix d’actifs et la dynamique du crédit pourraient être les variables retenues pour rendre compte de la dynamique macrofinancière. Dans ses travaux sur le sujet, la Banque des Règlements Internationaux (BRI) a retenu trois variables macroéconomiques : prime de risque, expansion du crédit en termes réels et indicateur composite combinant ratio crédit/PIB et prix réels des actifs. La variable macroéconomique retenue devra permettre d’identifier avec fiabilité les phases d’expansion et de contraction du cycle bancaire. Mais la définition de ces indicateurs avancés n’est pas la seule difficulté.

D’aucuns considèrent que le contrôle des risques macrofinanciers devrait être confié aux autorités monétaires (régulation macroprudentielle). Sous cette hypothèse, les banques centrales auraient pour mandat des objectifs explicites de stabilité financière. Elles pourraient intervenir en fonction de l’évolution de variables macrofinancières constituant des signaux avancés de détresse. De même que les banques centrales réagissent aujourd’hui aux anticipations d’inflation, ces dernières pourraient désormais réagir aux évolutions des prix d’actifs ou à la dynamique du crédit. Les critiques passées de cette approche restent valides. Il ne sera pas facile d’identifier les bulles et de calibrer les politiques destinées à les neutraliser. En outre, les évolutions des prix d’actifs ne sont pas toujours corrélées (prix immobiliers versus marchés de titres ou de matières premières). Mais la crise financière a démontré que ces pistes de réflexion méritaient d’être étudiées avec la plus grande attention.

-) Un réveil difficile

L’environnement économique et financier suggère toujours une contraction de l’activité. L’enquête de la BCE sur le crédit dans la zone euro signale toujours un durcissement des conditions d’octroi de crédit. Si les résultats par pays ne sont pas connus, il semble, toutefois, raisonnable de considérer un durcissement beaucoup plus prononcé en Irlande que dans certains pays de la zone euro. Les encours de crédit aux sociétés non financières devraient donc continuer de reculer, tandis que ceux des ménages pourraient se stabiliser.

L’augmentation du taux de chômage et la baisse des revenus nets devraient conduire à une hausse du nombre de créances douteuses. De son côté, le recul des prix immobiliers obligera les banques irlandaises à passer de nouvelles provisions pour dépréciations au cours des prochains trimestres (la cession des actifs immobiliers à la NAMA se fera très proba- blement avec un discount supérieur ou égal à 50%). La progression du coût du risque devrait concerner l’ensemble des prêts liés à des opérations immobilières, largement tributaires de la dynamique du marché immobilier et des performances économiques du pays. Dans ces conditions, les volumes de crédit devraient rester faibles et le coût du risque élevé.

Du côté des passifs bancaires, les difficultés d’accès au marché devraient perdurer, affectant sensiblement les marges d’intérêt. A titre d’illustration, Bank of Ireland a estimé que la hausse du coût des ressources en 2010 conduirait à une baisse de 35 à 40% de ses résultats. Or, la normalisation des conditions sur les marchés financiers n’est toujours pas à l’ordre du jour. La défiance vis-à-vis des établissements de crédit irlandais reste grande (doute sur la qualité de leurs actifs) et la persistance de tensions sur les titres d’emprunts d’Etat irlandais semble s’être durablement installée, malgré le plan de soutien UE-FMI. En outre, les retraits de dépôts de la clientèle pourraient s’intensifier si la question de la garantie publique de la dette bancaire devait à nouveau se poser.

Par ailleurs, la perspective de mise en œuvre des accords de Bâle 3 (volet liquidité) devrait conduire les banques du pays à accroître davantage encore leurs ressources à long terme, ce qui se traduira par une nouvelle augmentation du coût des ressources. Dans ces conditions, un retour aux profits n’est pas envisagé avant la fin 2011. C’est d’ailleurs ce qu’indique le consensus des analystes financiers, qui prévoient que les banques irlandaises renoueront avec les profits en 201210.

-) Un paysage bancaire profondément modifié

Les derniers développements devraient conduire à une nationalisation temporaire du secteur bancaire. La restructuration nécessaire du secteur passera par un repli des banques sur leur marché domestique et un vaste mouvement de consolidation.

– Vers une nationalisation temporaire du secteur

Afin d’éviter la faillite de son système bancaire, l’Etat irlandais a nationalisé plusieurs établissements. Il détient désormais 100% du capital de Anglo Irish Bank et 51% du capital de Irish Nationwide et EBS. En outre, sa participation dans Allied Irish Banks et Bank of Ireland s’élève respectivement à 18% et 36%. Elle pourrait se renforcer très bientôt, grâce aux fonds du plan de soutien UE-FMI. Allied Irish Banks pourrait être totalement nationalisée, tandis que l’Etat deviendrait majoritaire dans le capital de Bank of Ireland.

La nationalisation du secteur bancaire en cas de crise majeure est une mesure radicale, mais classique. En 1991, l’Etat norvégien est devenu l’actionnaire unique ou principal des trois plus grandes banques commerciales du pays. En 1994, les autorités du pays ont indiqué leur volonté de rester actionnaire des deux plus grandes banques du pays. La Suède a également nationalisé temporairement ses principales banques. Plus récemment, le gouvernement britannique a été contraint de nationaliser Northern Rock pour éviter l’effondrement de son système bancaire. Si la propriété privée des banques est probablement la meilleure structure de propriété dans le long terme, la nationalisation temporaire peut apparaître comme la moins mauvaise des solutions en cas de crise bancaire de nature systémique. D’après l’OCDE, la nationalisation temporaire « présente un certain nombre d’inconvénients mais elle n’est pas à exclure totalement à condition que des garde-fous appropriés soient en place ». La question du désengagement de l’Etat devra donc être inscrite à l’ordre du jour des autorités du pays, afin qu’un retour à une structure de propriété privée se produise dans les meilleurs délais et dans l’intérêt du contribuable. Les propos du gouverneur de la Banque centrale d’Irlande, M. Honohan, qui a déclaré fin novembre : « Les banques irlandaises sont à vendre », reflètent cette préoccupation.

– Un repli des banques sur leur marché domestique et leurs activités traditionnelles

La restructuration du système bancaire irlandais passera nécessairement par des cessions d’actifs « non stratégiques et internationaux ». Il s’agit notamment des participations des banques irlandaises dans certains établissements de crédit étrangers. Si les banques ont déjà cédé quelques-unes de leurs filiales à l’étranger, de nombreuses cessions restent encore possibles.

A titre d’illustration, Allied Irish Banks pourrait céder ses filiales présentes dans les pays de l’Est de l’Europe, ou encore ses activités au Royaume-Uni. De son côté, Bank of Ireland pourrait céder ses actifs britanniques ou ses activités de financement à l’étranger.

Toutefois, dans un contexte où les incertitudes réglementaires et prudentielles focalisent toutes les attentions sur le capital et la liquidité, les opérations pourraient tarder à se finaliser. Dans ces conditions, le salut pourrait venir des acteurs en provenance des pays émergents, notamment asiatiques, à la recherche d’un point d’entrée sur les marchés européens. Mais, quelle que soit l’origine des acteurs, les prix demandés sont encore jugés trop élevés au regard de la qualité des actifs cédés. Des opérations pourraient donc se conclure dans les prochains mois, lorsque les prix demandés auront significativement baissé.

Nécessaires pour consolider leur situation financière, les cessions d’actifs étrangers risquent de limiter leur croissance à moyen terme en les privant de relais de croissance et entraînant un recentrage de leurs activités sur un marché domestique atone. Les banques irlandaises sont également encouragées à réduire leurs activités les plus risquées afin de diminuer le montant de leurs actifs pondérés par les risques. Cette stratégie devrait également conduire à une moindre rentabilité dans les prochaines années.

– Un vaste mouvement de consolidation du secteur bancaire

La crise actuelle pourrait également se traduire par des rapprochements entre établissements de crédit afin de faciliter les réductions de coûts et renforcer la solidité du secteur. Ces opérations pourraient prendre la forme d’un rapprochement entre banques défaillantes, ou entre banques « saines » et banques défaillantes. Dans ce dernier cas, il s’agira nécessairement d’une opération transfrontalière. La reprise des banques en difficulté par des établissements étrangers a d’ailleurs été encouragée par le gouverneur de la Banque centrale d’Irlande. Aucun obstacle politique ne semble donc s’y opposer. Il faudrait, toutefois, que les prix d’acquisition soient en rapport avec la qualité des actifs cédés et les perspectives de croissance du pays. Jusqu’ici, les banques étrangères ont semblé davantage intéressées par des opérations d’acquisitions ciblées, plutôt que de grandes opérations de fusion. A très court terme, un rapprochement entre banques nationales apparaît plus probable qu’une opération transfrontalière.

Les difficultés des banques irlandaises ne sont que le résultat des excès passés. L’économie irlandaise a connu une phase de forte croissance entretenue par la dynamique du crédit. Celle-ci s’est traduite par une hausse spectaculaire des prix des actifs patrimoniaux, notamment immobiliers. Le retournement de la conjoncture (hausse des taux d’intérêt, baisse des prix immobiliers, crise de liquidité sur le marché interbancaire…) a donc profondément affecté les banques irlandaises, dont l’activité était très largement concentrée sur les secteurs de l’immobilier et de la construction, en Irlande et à l’étranger. Ces difficultés ont été exacerbées par la structure de financement des établissements de crédit irlandais. En effet, les banques irlandaises étaient très largement dépendantes des financements de marché, dont les conditions se sont particulièrement détériorées depuis la crise.

Aujourd’hui, encore, elles continuent d’avoir un accès limité au marché interbancaire et dépendent très largement des opérations de la BCE pour leur refinancement. Les banques ont donc souffert du renchérissement brutal des ressources, de l’érosion des volumes de crédit et de l’alourdissement du coût du risque. Dans ces conditions, elles ont affiché de lourdes pertes et leurs ratios prudentiels se sont dégradés, obligeant les pouvoirs publics à recapitaliser les établissements en difficulté et à nationaliser Anglo Irish Bank. Mais ces mesures se sont avérées insuffisantes. Les tensions sur les marchés financiers ont persisté, conduisant le gouvernement irlandais à accepter un plan de soutien international, d’un montant estimé à 85 milliards d’euros.

Ce plan devrait permettre de maintenir les ratios de solvabilité à des niveaux acceptables, mais la convalescence promet néanmoins d’être longue. Le processus de désendettement du secteur privé – toujours à l’œuvre – devrait durablement peser sur les volumes de prêts, tandis que la reconstitution des marges d’intérêt pourrait être contrariée par la faible rotation de l’encours et par la perspective de l’application du volet liquidité de Bâle 3. Les banques devront accroître progressivement la part des ressources financières à long terme ou stables (NSFR) et raccourcir la maturité moyenne des emplois afin d’augmenter les cash-flows entrants (LCR). Dans le même temps, l’effort de provisionnement, quoique considérablement allégé par les transferts d’actifs vers la structure de défaisance NAMA, devrait demeurer très important jusqu’à la fin de l’année prochaine. Ne pouvant plus compter sur des revenus récurrents pour sortir de l’ornière, les banques irlandaises ne devraient renouer avec les profits qu’à partir de 2012 et ce, de manière timide. Le système bancaire irlandais devra donc se restructurer dans un contexte radicalement modifié et nettement défavorable (désendettement prolongé, coût des ressources élevé, contraintes réglementaires accrues). Dans les prochaines années, nous devrions assister à un double mouvement de privatisation / consolidation, visant à restaurer la solidité et la profitabilité du secteur bancaire.

NOTES

  1. Les entreprises ont cherché à réduire leur dépendance aux financements externes. Toutefois, comme elles ne disposaient pas de l’ensemble des fonds nécessaires à la réalisation de leurs opérations, elles se sont, bien souvent, adressées au marché (financement externe direct). Au plus fort de la crise, on a pu observer une substitution des financements désintermédiés (émission de dette obligataire privée) aux financements intermédiés (crédit bancaire).
  2. Pour un bref résumé de la littérature sur les bulles du prix des actifs et les crises bancaires, consulter ; « Cette fois, c’est différent, Huit siècles de folie financière », Carmen M. Reinhart et Kenneth S. Rogoff, éd. Pearson, 2010.
  3. Idem.
  4. Ce ratio correspond, au sens strict, aux crédits octroyés par les Institutions financières et monétaires (IFM) aux agents non financiers (ANF). Il rapporte l’endettement des (ANF) – sociétés non financières (SNF), ménages et administrations publiques (APU) – au PIB. S'agissant des SNF, des estimations ont été effectuées afin de neutraliser les flux intra-groupes et éviter une double comptabilisation : les crédits obtenus ont été calculés nets de ceux qui ont été consentis. Cette méthodologie s’inspire de celle utilisée par la Banque de France pour calculer le taux d’endettement des agents non financiers.
  5. L’auteur retient un échantillon de soixante-six pays, entre 1960 et 2007. Cf. « Cette fois, c’est différent, Huit siècles de folie financière », Carmen M. Reinhart et Kenneth S. Rogoff, éd. Pearson, 2010.
  6. Nous retenons ici les créances irlandaises des institutions financières étrangères sur la base du risque ultime. Le risque ultime identifie le prêteur selon la localisation du risque et non plus en fonction du lien contractuel créanciers – débiteurs dans le cas où le risque est finalement supporté par un tiers qui apporte une garantie aux créanciers. Les créances des institutions financières étrangères à l’Irlande incluent dans ce cas les garanties qu'elles accordent aux institutions financières étrangères créancières de l’Irlande.
  7. Notre échantillon est constitué des cinq premiers établissements de crédit irlandais en termes de capital tier one. Ces données ne sont donc pas corrigées des effets de périmètre. Par conséquent, les évolutions commentées dans cet article sont à considérer avec la plus grande prudence. Elles nous renseignent, toutefois, sur les grandes tendances à l’œuvre. 8 En temps normal, après prise en compte des réserves obligatoires imposées par la BCE, les banques qui disposent d’un excédent de liquidité à la fin d’un jour ouvré prêtent des fonds à d’autres institutions financières qui en ont besoin. 9 Cf. Enseignements de la résolution des crises bancaires dans quelques pays industrialisés, Revue économique, août 2000, Banque de Belgique. 10 C’est notamment le cas pour Bank of Ireland et Allied Irish Banks. Depuis sa nationalisation, aucune prévision n’est disponible pour Anglo Irish Bank.

REFERENCES

Irlande, Etudes économique de l’OCDE, Volume 2009/17, novembre 2009, OCDE Les mesures prises par la BCE en réponse à la crise financière, Bulletin mensuel, octobre 2010, BCE BCE et Réserve fédérale : portraits croisés sur fond de crise financière, Clemente De Lucia et Jean-Marc Lucas, Conjoncture, juin 2010, BNP Paribas Irlande : la dette en héritage (partie 1 – les banques), Philippe Sabuco, EcoWeek, 8 octobre 2010, BNP Paribas Irlande : la dette en héritage (partie 2 – les finances publiques), Thibault Mercier, EcoWeek, 15 octobre 2010, BNP Paribas

Retrouvez les études économiques de BNP Paribas