BCE : après avoir rugi, elle ronronne

par Isabelle Job et Frederik Ducrozet, économistes au Crédit Agricole

Le plus dur pour la BCE a été sans doute d’enclencher la première hausse de taux. Elle est maintenant dans la position plus confortable de pouvoir appuyer sur le frein ou l’accélérateur au gré des informations conjoncturelles et de marchés, avec un point particulier d’attention sur l’évolution des anticipations d’inflation.

La BCE a été la première grande Banque centrale à délivrer une hausse de taux après deux ans de statu quo, une manière de tourner la page d’une politique exceptionnellement accommodante concédée en temps de crise. L’urgence étant passée, la BCE a délibérément choisi de revenir plus vite que ses consœurs à une forme de « normale », avec l’idée de ne pas trop tarder pour ramener le taux directeur sur un niveau plus en ligne avec les conditions d’activité.

Néanmoins, on la sent particulièrement prudente cette fois- ci, en raison, d’une part, de la fragilité du processus de reprise à l’œuvre et, d’autre part, parce que le maintien du statu quo monétaire ailleurs implique des ajustements de marchés pénalisants pour la zone euro (en particulier sur le volet des changes). Néanmoins, son choix est guidé par l’orientation toujours haussière des prix avec un risque inflationniste jugé suffisamment sérieux pour nécessiter une action. C’est son mandat et il n’est pas question d’y déroger.

L’inflation aujourd’hui est au-dessus de sa cible des 2% (2,8% en avril), mais essentiellement en raison de la hausse en amont du prix des matières premières. Cela compte mais le point crucial est de savoir comment cette déformation des prix relatifs peut agir sur les anticipations d’inflation, lesquelles conditionnent à terme le risque d’enclenchement d’effets de second tour, lorsque hausses des prix et des salaires s’alimentent mutuellement. Il s’agit donc bien d’agir sur la psychologie des agents pour ancrer leurs anticipations. En effet, la situation sur le marché du travail, avec un taux de chômage élevé un peu partout en Europe, ne plaide pas en faveur de tensions salariales sauf que le thème du pouvoir d’achat revient en force et peut influencer les négociations collectives ou conduire les pouvoirs publics à faire des concessions en direction des salariés (on voit bien aujourd’hui le débat autour de la prime de 1 000 euros en France).

La BCE, s’engageant à faire ce qu’il faut pour ramener l’inflation vers sa cible à moyen terme, le choc actuel sur les prix ne doit être perçu que comme choc temporaire. C’est d’ailleurs le cas puisque les anticipations d’inflation sur cet horizon restent solidement ancrées autour des 2%, ce qui a été souligné par monsieur Trichet. Ce constat rassurant ne doit pas faire baisser la vigilance, confiance ne voulant pas dire complaisance.

L’analyse du pilier monétaire ne recèle pas d’informations nouvelles. Les agrégats de crédit se redressent progressivement en phase avec l’amélioration de la conjoncture tout en interagissant positivement avec elle. Monsieur Trichet a d’ailleurs souligné la nécessité pour les banques de continuer à financer l’activité économique et ainsi soutenir le processus de reprise à l’œuvre.

Côté budgétaire, M. Trichet a rappelé la nécessité pour tous les gouvernements de se conformer aux plans d’austérité de manière à remettre rapidement dettes et déficits sur des trajectoires viables, ce qui en retour devrait apaiser les tensions sur certains segments de marché. Il s’est félicité de l’accord trouvé avec les pouvoirs publics portugais qui en échange d’une aide de 78 milliards d’euros vont mettre en place un programme d’ajustement fait de rigueur et de réformes structurelles pour assainir les finances de l’Etat, tout en libérant les forces de croissance. Sur le sujet particulier de la Grèce, le patron de la BCE n’a pas souhaité s’étendre sur un éventuel rééchelonnement de sa dette, en précisant seulement que le pays devait suivre le plan négocié avec la Troïka.

Pour la BCE, le plus dur était sans doute d’enclencher la première, sans réactions intempestives des marchés. Elle est aujourd’hui dans la position plus confortable de pouvoir appuyer sur le frein ou l’accélérateur, en fonction des développements économique et financier. Pour le moment, l’ensemble conforte plutôt notre scénario d’une remontée graduelle et prudente des taux avec une prochaine hausse en juillet, suivie d’un autre geste en octobre, lesquels amèneraient le taux Refi à 1,75% fin 2011.

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