par Frederik Ducrozet, économiste au Crédit Agricole
L’arrivée à échéance au 1er juillet du prêt à douze mois de la BCE, pour 442 Mds d’euros, avait alimenté incertitude et tensions sur les marchés interbancaires. La transition s’est finalement opérée sans difficulté majeure. La BCE a alloué un montant moins important que prévu lors de son appel d’offres à trois mois du 30 juin (132 Mds), ce qui suggère que les difficultés de refinancement ne sont pas insurmontables. Au total, l’excès de liquidité s’est fortement réduit, mais il reste suffisamment important pour maintenir les taux d’intérêt à court terme à des niveaux relativement bas dans l’immédiat.
C'était une semaine décisive pour la BCE et pour les banques européennes, confrontées à la tombée du plus gros prêt jamais accordé par la Banque centrale (442 Mds d’euros alloués en juin 2009), et qui arrivait à maturité le 1er juillet 2010. Certes, cette échéance était connue, et les banques avaient pu l’anticiper en augmentant leur demande de refinancement aux autres appels d’offres illimités de la BCE ces dernières semaines. En dernier recours, les banques disposaient de deux opérations de refinancement, à trois mois le 30 juin et à six jours le 1er juillet, pour assurer un renouvellement suffisant de leur quote-part des 442 milliards (notamment pour les établissements qui devaient attendre de récupérer les actifs qu’ils avaient mobilisés comme collatéraux il y a un an). L'incertitude restait malgré tout élevée, alimentant les tensions sur le marché interbancaire : trop de demande et le marché aurait interprété les résultats comme le signe de difficultés de refinancement ; trop peu de demande et les taux d’intérêt à court terme menaçaient de remonter fortement, compliquant la tâche des établissements déjà fragilisés.
Finalement, la transition aura été opérée sans difficulté majeure, malgré quelques tensions – prévisibles – sur les taux interbancaires au jour le jour (Eonia). La BCE a alloué 132 Mds d’euros à trois mois (les anticipations étaient centrées sur une fourchette de 200 à 250 Mds), et 111 Mds à six jours (en ligne avec les attentes). Ces sommes viennent s'ajouter aux montants prêtés via les autres facilités de refinancement depuis fin 2009 : 163 Mds d’encours à une semaine, 32 Mds à un mois, 55 Mds à six mois et 172 Mds à douze mois, auxquels peuvent enfin être ajoutés les 61 Mds injectés via les rachats de covered bonds. Les besoins de liquidité, tels qu’estimés par la BCE en fonction des réserves obligatoires et des facteurs autonomes, sont proches de 600 Mds d’euros à ce jour. Au total, après la tombée des 442 Mds au 1er juillet, l'excès de liquidité circulant dans le système a été divisé par deux environ, de 300 Mds il y a une semaine à moins de 150 Mds (et même moins de 100 Mds en excluant les rachats de covered bonds). Avant l’opération à six jours, cet excès de liquidité a même chuté ponctuellement sous les 30 Mds, un niveau assez bas pour faire remonter l’Eonia au-dessus des 0,50 %.
Il y a deux façons d’interpréter ces résultats, selon que l’on considère le verre (de liquidité) à moitié plein ou à moitié vide. D’un côté, les opérations de cette semaine ont agi en tant que révélateur de la proportion de banques dépendantes de la BCE, dans la mesure où ce refinancement coûte cher et consomme du collatéral. Or, la demande des banques s'est avérée globalement moins importante que prévu, signe que les difficultés de refinancement sont a priori plus limitées que ce qu'on pouvait craindre. Les tensions restent relativement concentrées sur certains pays, et certains établissements, conformément à l’analyse du secteur bancaire par la BCE dans sa récente Revue de Stabilité Financière. Les données détaillées dont on dispose au niveau des Banques Centrales Nationales jusqu’au mois de mai confirment cette tendance, en montrant notamment que l’essentiel de la demande de refinancement BCE depuis le début de l’année provenait de Grèce, du Portugal et de l’Espagne. Les banques de ces trois pays représentent l’essentiel de l’augmentation des appels d’offres de la BCE à trois et six mois conduits en mars et en mai 2010.
En proportion du total des actifs bancaires, la hausse est surtout visible en Grèce et au Portugal depuis le début de l’année.
Le fait qu’une majorité de banques se refinance désormais à plus court terme est également un bon signe, même s’il est synonyme de plus de volatilité sur les taux Eonia. Cela signifie que les banques peuvent se permettre de rester flexibles, et qu’elles préfèrent renouveler leurs financements à une semaine pour s’adapter aux nouvelles conditions de marché. Or, il faudra bien composer, tôt au tard, avec une liquidité moins abondante. C’était par ailleurs la volonté initiale de la BCE que de revenir sur des maturités plus courtes, comme dans la situation qui prévalait avant la crise. En revanche, ce que les événements de cette semaine confirment aussi, c’est que le marché interbancaire reste fragmenté et largement inefficace pour faire circuler la liquidité entre les banques. Les petits établissements fragilisés qui ont du mal à refinancer leur bilan sur les marchés, continuent de passer par la BCE, alors que les grands groupes en bonne santé redéposent toujours leurs réserves excédentaires auprès de la Banque centrale. Afin de poursuivre la normalisation des marchés monétaires, la BCE doit apporter des solutions à ces dysfonctionnements.
Amorce de normalisation des taux interbancaires
Comme nous l’avions imaginé, le marché interbancaire européen s’est donc retrouvé ponctuellement, en milieu de semaine, dans une situation inédite de liquidité tout juste excédentaire. Compte tenu de la réticence des banques à faire circuler cette liquidité, les premières tensions sont apparues sur le taux Eonia, dont le fixing est remonté de 0,32 % à 0,54 %, avant de se stabiliser un peu en dessous des 0,50 %. Des facteurs techniques liés à la gestion des réserves en fin de mois sont venus s’ajouter aux tensions de nature « fondamentale », liées à l’incertitude vis-à-vis de l’évolution des conditions de liquidité dans les semaines qui viennent. Enfin, les anticipations de marché tablaient encore récemment sur un maintien de l’Eonia sous les 1 % pendant près de deux ans, un scénario beaucoup trop optimiste à nos yeux. La combinaison de perspectives moins négatives sur l’économie et les taux directeurs, et moins optimistes en termes de conditions de liquidité, ont conduit à une hausse des taux interbancaires aux maturités les plus longues.
A l’horizon de six mois, notre scénario table sur une hausse graduelle des taux interbancaires (amorcée sur les taux Euribor non sécurisés à trois mois et plus, et sur les taux forward), et une volatilité élevée sur l’Eonia. Dans l’immédiat, l’excès de liquidité reste assez élevé, au-dessus des 100 Mds d’euros, pour maintenir les taux courts à des niveaux relativement bas. L’Eonia pourrait donc continuer d’évoluer dans une fourchette comprise entre 0,50 % et 0,570 % en moyenne dans les prochaines semaines, mais il devrait selon nous converger vers le taux Refi (1 %) d’ici la fin de l’année au plus tard.
Si l’échéance de juillet est désormais derrière nous, les prochaines tombées de refinancement de la BCE ne sont pas négligeables pour autant. Le 1er octobre, en particulier, pourrait bien s’apparenter au « nouveau 1er juillet », avec plus de 225 Mds d’échéances d’appels d’offres à différentes maturités.
Place au fine-tuning, avec le bon timing
La stratégie de sortie de la BCE, qui consiste à réduire progressivement les montants et les maturités des prêts accordés aux banques semble bien enclenchée. Elle sera nécessairement accompagnée et graduelle. D’autres questions restent par ailleurs en suspens. Lors de sa réunion du 8 juillet, la BCE devrait insister sur les aspects positifs des opérations de refinancement effectuées cette semaine, mais elle devra également répondre des dysfonctionnements toujours visibles sur le marché, ainsi que de l’échec de son opération de stérilisation des rachats de dette souveraine (32 Mds d’euros seulement ont été absorbés sur l’objectif des 55 Mds de rachats cumulés la semaine passée). Tout est question de timing. Une accalmie sur le front de la crise souveraine, mais aussi la perspective de publication de stress tests pour les banques européennes courant juillet pourraient permettre d’apaiser les tensions dans les semaines qui viennent et de faciliter la tâche de la BCE.
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